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Europe possède une épaisse croûtecroûte de glace, protégeant un océan global constitué d'eau salée. Qui eût cru que c'était en fait une armure hérissée de pointes ? D'après une recherche parue dans Nature Geoscience, des pinaclespinacles de glace de plusieurs mètres de hauteur s'élèveraient en effet au niveau de la ceinture équatoriale de la lune de JupiterJupiter. Appelés pénitents, ces pics donnent un visage bien moins accueillant à Europe, dont on estimait que la surface était relativement lisse et appropriée pour faire atterrir un engin d'exploration.
Les pénitents de neige ou de glace existent aussi sur Terre : ce sont des lames sculptées par sublimation, à savoir le changement de phase directement du solide au gaz. Ils se forment en haute altitude, dans un climatclimat froid et sec, dans des régions bénéficiant d'un bon ensoleillement.
Le saviez-vous ?
C'est bien la sublimation et non le ventvent qui est à l'origine des pénitents, contrairement à ce que l'on pourrait croire. Comme elle se produit de façon non homogène, des creux se forment çà et là dans la neige ou la glace. Ces petites dépressions concentrent et absorbent mieux les rayonnements du Soleil, ce qui accélère la sublimation et creuse des puits de plus en plus profonds. Les pics, au lieu de croître vers le haut, sont donc des vestiges ayant échappé à la sublimation.
Sur Terre, on observe des pénitents aux latitudes tropicales et subtropicales, comme par exemple ici dans les Andes, au Chili. Les pénitents se forment d’autant mieux que les rayons du Soleil frappent à la verticale, touchant les creux dans la neige ou la glace plutôt que les parois. Ici, la sublimation a creusé la glace jusqu’à atteindre le sol rocheux. © ESO
Des colonies de pénitents au niveau de l’équateur d'Europe
Ailleurs dans le Système solaireSystème solaire, le monde glacé qu'est Europe constitue un environnement parfait pour des pénitents. Mais pour qu'ils se développent, le mécanisme de sublimation doit se faire assez rapidement, avant que d'autres processus d'érosion ne viennent modifier la surface. Sur Terre en effet, ils subsistent seulement le temps d'une, voire deux saisonssaisons, avant de fondre ou d'être ensevelis sous la neige. Sur Europe, de telles structures pourraient être lissées par les bombardements de météoritesmétéorites, de comètescomètes, ainsi que de particules chargées accélérées par la magnétosphèremagnétosphère de Jupiter.
Or, d'après les calculs de Daniel Hobley de l'université de Cardiff, Royaume-Uni, et de ses collègues américains au NasaNasa Ames Research Center et à l'université de Virginie, la sublimation est le phénomène prédominant à la surface d'Europe au niveau de l'équateuréquateur et dans les régions situées de part et d'autre, entre les latitudeslatitudes + 23° et - 23°. Il y a donc fort à parier que des pénitents se soient formés.
“Certains champs de pénitents peuvent présenter des pics de 15 m de haut.”
Selon les chercheurs, la sublimation creuserait des pénitents à un rythme de 0,3 mètre par million d'années. Certains champs de pénitents pourraient donc présenter des pics de 15 mètres de haut, espacés de 7,5 mètres en moyenne, en admettant qu'ils se soient développés en toute tranquillité pendant les 50 millions d'années correspondant à l'âge moyen de la croûte d’Europe. Ces tours de glace sont plutôt impressionnantes quand on les compare avec les pénitents terrestres mesurant entre quelques centimètres et cinq mètres de haut.
Un obstacle épineux pour de futures missions d’exploration
Cette étude vient jeter comme un froid sur les projets d'exploration de la lune glacée de Jupiter, telle la mission Europa Clipper prévue par la Nasa dans les années 2020, qui doit étudier Europe et identifier de potentiels sites d'atterrissage pour un engin qui chercherait des traces d'une vie extraterrestre. Dans leur publication, les chercheurs mettent en garde : « les pénitents représentent un risque pour un futur atterrisseur sur Europe ».
Les pénitents n'ont pas été directement observés sur Europe, car les images actuellement disponibles ne permettent pas de distinguer ces structures à la surface. Toutefois, ils pourraient expliquer l'étrangeté des données radar relevées par le radiotélescope d'Areciboradiotélescope d'Arecibo à Porto Rico, en l'occurrence un faible albédoalbédo (part d'ondes réfléchies) au niveau de l'équateur. Les ondes semblent avoir rebondi sur de multiples surfaces, comme elles le feraient si elles étaient piégées entre des pics de glace. « Nous n'avons pas modélisé ce phénomène », précise Daniel Hobley dans des propos rapportés par Space.com, « mais nous sommes plutôt certains que des pénitents feraient l'affaire ».
La surface accidentée de Pluton serait également hérissée de pénitents sculptés dans de la glace de méthane. On les observe ici sur cette image prise par la sonde New Horizons lors d’un survol de Pluton en 2015. © Nasa/JHUAPL/SwRI
D'autre part, les pénitents expliqueraient les terrains en lames (bladed terrain) découverts sur PlutonPluton grâce à la sonde New HorizonsNew Horizons, de passage dans les environs de la planète naineplanète naine en 2015. Pluton présente en effet des reliefs similaires aux pénitents terrestres, sauf qu'ils sont sculptés dans de la glace de méthane. Pour avoir confirmation que ces mêmes formations existent sur Europe, on attend les nouvelles données que nous renverront les prochaines missions à destination d'Europe : Europa ClipperEuropa Clipper de la Nasa, mais aussi Juice (Jupiter Icy Moons Explorer) de l'ESAESA.
Ce qu’il faut
retenir
- Des chercheurs ont calculé que le phénomène de sublimation prédomine au niveau de l’équateur d’Europe, satellite de Jupiter, par rapport à d’autres processus d’érosion concurrents.
- La sublimation, sur cette lune couverte d’une croûte glacée, entraînerait la formation de pénitents, des pics de glace pouvant mesurer plusieurs mètres de haut.