Récemment les acteurs de la politique et du spatial européens font de plus en plus entendre leur volonté de disposer d'un vaisseau spatial habité européen. Cela s'inscrit dans un contexte géopolitique changeant et l'apparition de nouveaux enjeux techniques. Analyse.
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Le sommet européen de l'espace à Toulouse vient de se terminer, pas de décision franche concernant le vol spatial habité européen mais le germegerme d'une volonté de développer, pour la première fois, un véhicule spatial habité. Une volonté de plus en plus assumée allant jusqu'à la prise de parole des astronautes européens eux-mêmes.
Pourquoi pas avant ?
Car oui, pour qu'un astronaute européen rejoigne l'espace, il faut forcément compter sur une puissance étrangère, et ça a toujours été le cas. Les premiers à rejoindre l'espace furent les Soviétiques avec la capsule Vostok, qui a emmené Youri Gagarine en orbite, puis Voskhod et enfin Soyouz qui emmène encore aujourd'hui les astronautes vers la Station spatiale internationale.
Ensuite sont venus les Américains avec le programme Mercury, puis Gemini, puis Apollo qui a servi jusqu'à la station spatialestation spatiale Skylab avant de n'utiliser plus que les navettes, jusqu'à l'arrêt du programme en 2011. Après 10 ans de dépendance à la Russie, les Américains ont finalement retrouvé leur accès habité à l'espace, aussi bien pour les astronautes professionnels que pour le tourisme, grâce à leurs programmes commerciaux.
Enfin, la Chine a accompli le voyage spatial habité avec son programme Shenzhou. Et aujourd'hui, pour aller dans l'espace, il faut compter sur ces trois nations uniquement.
L'ambition européenne du vol spatial habité a commencé au temps de Mir, époque de la naissance d'une grande entente internationale où Américains et Russes se retrouvaient enfin amicalement sur le long terme. En ce temps, l'Europe était déjà l'un des leaders du domaine spatial, concevait d'ambitieuses missions scientifiques et dominait le marché des lancements de satellites commerciaux grâce à Ariane. Nul doute qu'elle avait la capacité de développer son propre véhicule spatial, normal, vu qu'elle l'a déjà fait.
Ce véhicule, c'était la petite navette européenne, Hermès, version réduite de ses équivalents américains et soviétiques, qui aurait été lancée sur une Ariane 5. Mais, d'une part, les catastrophes connues par la navette américaine ont fortement réduit l'engouement dans le projet d'une autre navette, et d'autre part, quel intérêt ?
“À vouloir être bon partout, on finit par être bon nulle part”
La guerre froide est terminée, le spatial évolue vers toujours plus de collaborations internationales, et d'autres pays ont déjà le savoir-faire d'un véhicule habité. Inutile de jouer la redondance, utilisons plutôt le budget pour apporter quelque chose de nouveau à ces collaborations.
Ce fut le choix de l'Europe, un choix qui a porté ses fruits, car l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (ESA), et tout ce qui est en lien, a pu poursuivre son savoir-faire en matière de lanceur avec Ariane, mais a aussi acquis une brillante expérience en conception de satellites, de sondes et d'instrumentation spatiale et scientifique qui se retrouve aujourd'hui sur les plus ambitieuses missions d'exploration. Avec un budget plus modeste que d'autres puissances spatiales, à vouloir être bon partout, on finit par être bon nulle part.
Le saviez-vous ?
C'est lors du développement du vaisseau Hermès qu'est apparu le terme « spationaute », comme passager d'un véhicule européen, similaires aux cosmonautes de nationalité russe. Aujourd'hui, le terme est abandonné, à part les cosmonautes russes, les autres professionnels du voyage spatial sont appelés indifféremment « astronautes ».
Les temps changent
Mais voilà, nous ne sommes plus dans les années 2000, encore moins dans les années 1990. La Station spatiale internationale (ISS) n'est pas éternelle, les Russes semblent vouloir reprendre leur propre chemin, et la politique américaine interdit toute collaboration avec la Chine. Il y a deux stations spatiales qui tournent au-dessus de nos têtes en ce moment, l'ISSISS et la station spatiale chinoise (CSSCSS), mais bientôt, ce sera certainement bien plus.
La succession de l'ISS est assurée en quelque sorte par la station Gateway qui tournera cette fois autour de la Lune. Tout comme l'ISS est à moitié américaine, à moitié russe, la GatewayGateway sera à moitié américaine et à moitié européenne. Un seul astronef sera disponible pour y accéder : Orion, qui lui aussi est à moitié américain et à moitié européen, héritier du savoir-faire du vaisseau cargo européen ATV. Dans ce cas, le rôle comme l'importance de l'ESA est assuré.
“Certains voudront travailler main dans la main, d'autres voudront faire cavalier seul. Quel sera le rôle de l'Europe ?”
Mais qu'en est-il du reste des pays ? Si les États-Unis ont décidé de ne pas collaborer avec la Chine, ce n'est pas le cas de l'Europe, de la Russie, du Japon ou même de l'Inde ou des autres puissances spatiales émergeantes. Et d'autres collaborations verront le jour, d'autres seront brisées. Certains voudront travailler main dans la main, d'autres voudront faire cavalier seul. Quel sera le rôle de l'Europe ?
La CSS pose déjà cette problématique, car seuls les vaisseaux ShenzhouShenzhou chinois peuvent y accéder. En effet, hors de question d'envoyer une capsule Crew Dragon ou Starliner s'y amarrer, et les SoyouzSoyouz ne peuvent simplement pas atteindre la station, du fait de la latitudelatitude élevée de la Russie. Un vaisseau habité lancé depuis Kourou en Guyane, lui, pourrait atteindre en théorie n'importe quelle station.
Dépendre des autres dans un contexte de collaboration internationale ne posait pas de problème à l'ESA ; par contre, dans un contexte de mésentente, ou du moins d'incertitude, les cartes sont redistribuées.
Alors on fait quoi ?
Les voix s'élèvent pour la capacité de l'ESA à envoyer elle-même ses astronautes sur leur lieu de travail, mais aucune décision n'est prise encore, car reste une problématique : que faire ? Ressortir HermèsHermès du grenier ? Une capsule basée sur le vaisseau ATVATV, à la manière d'OrionOrion ?
La première proposition concrète vient en réalité des Russes. Car oui, l'Europe possède déjà une fuséefusée apte au voyage habité : Soyouz, opérée par ArianespaceArianespace, en Guyane. Le directeur général de Roscosmos, Dmity Rogozin, a alors suggéré la possibilité d'adapter les fusées Soyouz européennes pour le lancement des vaisseaux Soyouz russes, depuis Kourou.
Cette idée concrétisée renforcerait la coopération entre Européens et Russes, bien qu'avantageant surtout ces derniers, et permettrait de posséder temporairement une capsule habitée le temps de développer un véhicule 100 % européen. Mais cela va à l'encontre de la volonté d'indépendance, et même temporairement cela pourrait casser l'engouement et la dynamique du projet.
Plusieurs années seront donc nécessaires pour mûrir la réflexion, comptons une décennie ensuite de développement du véhicule, ce qui nous amène pile au milieu des années 2030, époque de la fin de vie de l'ISS et où les nouvelles stations spatiales des différents pays seront sorties des usines. Le bon moment pour faire naître une telle ambition, c'est donc maintenant !