Avec son programme Artemis, la Nasa relance la conquête de la Lune. Pour aller plus vite et diminuer les coûts, la Nasa se tourne vers le privé et les petites sociétés du New Space. C’est le cas de Venturi Lab qui, associé à Venturi Astrolab, a répondu à un appel d’offres de la Nasa pour la fourniture de rovers lunaires et martiens. Antonio Delfino, directeur et cofondateur de Venturi Lab, répond à nos questions et fait le point sur l’état d’avancement de ses rovers.
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Avec son programme Artemis, la Nasa relance la conquête de la Lune. Mais, contrairement au programme ApolloApollo des décennies 1960-1970, Artemis se fait dans un cadre international et fait appel au secteur privé pour la réalisation de pans entiers du programme. C'est notamment le cas pour les rovers lunaires, qu'ils soient autonomes ou pilotés par des astronautes. Il y a plus de deux ans, la Nasa a lancé un appel à idées pour la fourniture d'un véhicule pour terrains lunaires et martiens auquel a répondu Astrolab associé à Venturi Lab.
Deux ans plus tard, le projet a bien progressé. Il nous a semblé intéressant de faire le point sur son état d'avancement avec Antonio Delfino, directeur et cofondateur de Venturi Lab.
Futura : Où en sont vos projets de rovers lunaires et martiens ?
Antonio Delfino : Le projet a démarré il y a deux ans sous l'impulsion du président du Groupe Venturi, Gildo Pastor. Nous avons fondé une entité suisse, Venturi Lab, qui se consacre au domaine spatial. Dans le même temps, nous avons établi un partenariat stratégique avec une société 100 % américaine basée à Los Angeles, Venturi Astrolab. Ces deux pôles constitués d'ingénieurs chevronnés dans le domaine spatial et scientifique travaillent en association avec la base historique de la marque à Monaco. Tous ensemble, nous sommes partis d'une page blanche et nous concevons, développons, et construisons un véhicule lunaire polyvalent. Pendant cette phase, c'est-à-dire durant les deux dernières années, nous avons beaucoup échangé avec la Nasa sur ce projet d'envergure.
Futura : Quelles sont les spécifications qui encadrent le développement de ces rovers ? Ont-elles été fournies par des agences spatiales ou définies par vous-même ?
Antonio Delfino : Il y a deux ans, nous avons commencé notre travail sur fonds propres. Un cahier des charges interne est né et ce, sans que la Nasa nous ait donné des spécifications précises. Ensuite, nous avons échangé périodiquement avec eux et, en dernier lieu, ils ont édité leur cahier des charges. Sans entrer dans les détails, les points principaux en termes techniques sont : une charge utile d'une tonne, une énergie embarquée d'environ 30 kWh, une massemasse du véhicule d'une tonne (sans la charge utile), 75 à 100 kilomètres d'autonomieautonomie, une capacité du rover à opérer deux heures dans des zones de nuit lunaire permanente avec des températures ne dépassant pas - 200 °C (!) - et puis, et ce n'est pas la moindre des contraintes, protéger les organes « vitaux » contre les radiations (détails à lire plus bas).
Futura : Un calendrier réaliste de développement et de mise en service ?
Antonio Delfino : Le calendrier est dicté par la Nasa, et il est légèrement glissant, comme de coutume dans le domaine spatial. De plus, on n'est pas à l'abri d'un problème technique comme on l'a vu avec Artemis I ces dernières semaines. Ceci étant, les lanceurslanceurs lourds SLS (Space Launch System) d'Artemis ne transporteront pas de rovers, cette tâche sera confiée aux lanceurs commerciaux (HLS pour Human Landing System) avec qui nous échangeons actuellement. À l'issue de ces discussions, nous ferons notre choix, un accord sera conclu et notre timing sera aligné sur le leur. Comme chacun sait, SpaceXSpaceX est très en avance et a reçu des fonds conséquents (environ 2,8 milliards de dollars) de la Nasa pour développer le StarshipStarship. Leur démonstration d'alunissage devrait avoir lieu fin 2025 ou début 2026. C'est donc aujourd'hui cette période calendaire qui est la plus réaliste, même si nos discussions se poursuivent tant avec SpaceX qu'avec leurs concurrents, tels que Blue Origin, Astrobotics et Dynetics.
Futura : Comment sont accueillis vos projets de rover par la Nasa et l'ESA ? En dehors des formules de politesse, ces deux agences souhaitent-elles vous aider à les développer en finançant des études ou en vous apportant un support technique ?
Antonio Delfino : La Nasa a apprécié qu'une petite entreprise dynamique ait pris les devants et propose des solutions innovantes et concrètes car notre rover dans sa version terrestre, équipé de technologies spatiales, existe et fonctionne ! Ceci étant, la Nasa reste une agence gouvernementale indépendante qui fera son choix sur la base d'éléments objectifs. Même si l'agence spatiale américaine est notre priorité aujourd'hui, notre entité suisse Venturi Lab est en bon contact avec l'ESA ; la Suisse étant l'un des pays fondateurs de l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne et, par ailleurs, l'un de ses contributeurs importants. L'ESA peut effectivement parfois répondre avec des formules de politesse mais ça se comprend puisqu'ils n'ont pas de programme lunaire d'envergure, tout reste à construire pour eux. Ce n'est pas par manque de volonté, c'est seulement que l'ESA a privilégié l'observation de la Terreobservation de la Terre et le développement de nouveaux lanceurs (Ariane 6, VegaVega) pour mettre en orbitesorbites basse et géostationnaire des satellites. L'exploration des astresastres n'était pas sa principale priorité.
Quoi qu'il en soit, nous dialoguons avec eux et avec le Bureau spatial Suisse ; d'autant plus que le nouveau directeur général de l'ESA, M. Josef Aschbacher, ainsi que son équipe de direction ont pris conscience, via Terrae NovaeNovae, qu'il fallait avoir un nouveau programme d'exploration des astres (Lune, Mars et au-delà) autonome afin de renforcer les activités spatiales de l'Europe et, par conséquent, rattraper le retard pris sur les États-Unis, la Chine et la Russie. Espérons donc que l'Europe, lors du Conseil ministériel des États membres de l'ESA (les 22-23 novembre 2022), se décide enfin à mettre sur pied des programmes d'exploration très ambitieux.
Quant à la question du financement des activités de Venturi, c'est simple : sans les fonds personnels de Gildo Pastor, sa vision, son enthousiasme et sa passion pour les nouvelles technologies, nous n'aurions pas aujourd'hui de prototypes roulants. L'été prochain, si nous devions être choisis par la Nasa, un financement serait débloqué pour poursuivre la conception, le développement, la constructionconstruction et la qualification en milieu spatial d'un rover lunaire à proprement parler.
En mode automatique ou autonome, les différentes possibilités d’utilisations du rover Flex sans équipage. © Astrolab
Futura : Quels sont les principaux points durs auxquels vous êtes confronté ?
Antonio Delfino : La tenue des matériaux à très basses températures (entre -90 °C et -200 °C) est un des points durs. Dans l'histoire de la Nasa, les différents problèmes majeurs rencontrés étaient liés aux matériaux. Qu'il s'agisse des accidentsaccidents de Challenger (joint du boosterbooster latéral) ou de ColumbiaColumbia (impact de moussemousse d'isolationisolation sur le bord d'attaque de l'aile de la navette), de l'incident sur Apollo 13 (mauvaise isolation électrique et court-circuitcourt-circuit) ou même de la fuite d'hydrogènehydrogène sur Artemis I (joint d'étanchéitéjoint d'étanchéité), ils sont tous dus à une mauvaise appréciation de la tenue des matériaux en milieux extrêmes. Il faut savoir qu'un rover opérant au pôle Sud de la Lune va aussi subir des radiations agressives et des variations cycliques de température extrême. Il faut donc limiter l'affaiblissement au cours du temps des différents matériaux et organes, y compris tous les composants électroniques qui constituent l'avionique du rover (c'est-à-dire son intelligenceintelligence).
Futura : Développez-vous des technologies innovantes, voire de ruptures, pour la réalisation de ces rovers ?
Antonio Delfino : Il le faut, c'est impératif ! Nous développons des technologies de rupture et des technologies innovantes car nos véhicules vont subir un environnement hostile jamais rencontré lors de toutes les dernières missions lunaires et, de surcroît, cet environnement est partiellement inconnu. Nos percées technologiques restent pour l'instant très confidentielles. Nous devrions être en mesure de lever un premier coin du voile après le premier semestre 2023, lorsqu'une série de brevets seront déposés, voire publiés.
Futura : Des rovers pilotés depuis le sol ou une station en orbite, des rovers autonomes et/ou des rovers pilotés par des astronautes ?
Antonio Delfino : La Nasa a besoin d'un rover polyvalent. Un rover qui puisse à la fois se déplacer de manière autonome, être piloté par les astronautes à bord du véhicule, être piloté depuis la future station en orbite lunaire, le GatewayGateway, mais aussi depuis la Terre. Le pilotage autonome est un défi très intéressant car des missions scientifiques seront confiées au rover, missions qu'il mènera à bien en adaptant lui-même ses paramètres pour aller d'un point A à un point B de manière optimale, c'est-à-dire en utilisant de l'intelligence artificielleintelligence artificielle. Si nous sommes choisis, notre mission en tant que contractant sera d'opérer une prestation de service sur plusieurs années (au minimum 10 ans). Il ne s'agit pas de juste livrer un véhicule à la Nasa.
Futura : Prospectez-vous des clients ou de futurs utilisateurs privés ou commerciaux de la Lune ?
Antonio Delfino : Dans le cadre de l'appel d'offres de la Nasa, 20 % du temps d'exploitation du rover sera réservé au contractant. Il aura le loisir de monétiser ce temps disponible à sa guise, en autonomie totale par rapport à la Nasa. Le contractant pourra générer du bénéfice au travers de la nouvelle économie lunaire qui va se développer.
Voici le nouvel astromobile qui pourrait rouler sur la Lune
Article de Daniel ChrétienDaniel Chrétien, publié le 15/03/2022
Plus de 50 ans après les missions Apollo, la Nasa se prépare à revenir sur la Lune avec le programme Artemis. À nouveau, l'agence a besoin d'un rover lunaire et a lancé un appel à idées. La start-upstart-up américaine Astrolab y répond avec le projet Flex.
La première fois que l'on a roulé sur la Lune, c'était le 31 juillet 1971, avec la mission Apollo 15. Le Lunar Roving Vehicle (LRV) avait également été utilisé lors des missions 16 et 17. Le LRV était un formidable atout pour récupérer des échantillons sélènes plus loin qu'aux alentours du module lunaire. Cela permettait une meilleure diversité des roches prélevées. Une fois de plus, la Nasa a besoin d'un futur LRV pour son programme Artemis. Le projet Flex y répond.
En février 2020, la Nasa lance son appel à idées à toute l'industrie américaine sur un concept de futur Lunar Terrain Vehicle (LVT, véhicule pour terrain lunaire). Comme condition, il faut que le rover ne soit pas pressurisé. Il sera utilisé pour explorer la surface du pôle Sud de la Lune, futur site d'exploration du programme Artemis.
Plusieurs pontes de l'industrie aérospatiale ont déjà répondu. Northrop Grumman, en partenariat avec plusieurs compagnies, travaille à un design de rover. Il y a également Lockheed Martin en partenariat avec le géant automobileautomobile General Motors. Pour des missions ultérieures, le Japon fournira une astromobile pressurisée. La compétition est donc serrée pour Astrolab, mais leur mode de développement semble bien plus efficace.
Flex, mais pas seulement dans son nom !
Le rover Flex (Flexible Logistics and Exploration) est un véritable petit camion. Il est capable d'emporter 1.500 kilos de charge comme cargo. Deux marcheurs pourront embarquer et le conduire mais le rover est aussi pilotable à distance. Il est modulable aux choix de la Nasa : si l'agence souhaite s'en servir pour du fret, pour installer des panneaux solaires à la surface de la Lune, ou pour le transport d'astronautes. Astrolab envisage même des applicationsapplications terrestres.
L'astromobile est équipée de quatre roues. La start-up a monté un partenariat stratégique avec le groupe Venturi, producteur de véhicules électriques. Venturi fournit les roues, les batteries et de possibles échanges de technologie.
Astrolab est très efficace. Ils ont déjà un prototype de Flex et ont commencé à le tester. Ils ont même réalisé des tests avec l'astronaute canadien retraité Chris Hadfield, qui a réalisé trois vols spatiaux, et qui a également été chef du département de robotiquerobotique au bureau des astronautes de la Nasa. Son expérience aide beaucoup Astrolab à bien cerner les attentes des futurs astronautes sur la Lune.
Chris Hadfield, retraité de la Nasa a testé la conduite du rover Flex et partage son expérience. © Astrolab
Le New Space sur la Lune
Astrolab est vite passé au prototypage dans le même esprit que SpaceX avec le Starship. Il faut dire que le fondateur, Jaret Matthews, est un ancien de SpaceX. Il est aussi passé par le Jet Propulsion LaboratoryJet Propulsion Laboratory et avait travaillé sur des rovers martiensrovers martiens et sur un concept de rover lunaire pour le programme ConstellationConstellation, ancêtre du programme Artemis. Le maître mot est « itération », c'est-à-dire prévaloir les essais sur les modélisationsmodélisations comme le font souvent les industriels classiques.
Astrolab n'est pas la première compagnie du New SpaceNew Space à tenter l'aventure de la Lune. Depuis plusieurs années, la Nasa invite le New Space à venir proposer ses innovations pour le programme Artemis. Cela s'est vu quand la Nasa a choisi le Starship de SpaceX comme unique atterrisseur lunaire, mais aussi à travers le programme CLPS (Commercial Lunar Payload Services). La start-up californienne a pour but de se joindre à l'aventure Artemis avec Flex. Mais il reste encore du chemin à parcourir pour avoir un vrai modèle, il faudra probablement s'agrandir (Astrolab a 15 employés), et assurer son financement.