L'atmosphère de Titan fait rêver les spécialistes de la chimie prébiotique, qui y voient la possibilité de mieux comprendre l'apparition de la vie sur Terre. Curieusement, alors que des alcanes et des alcènes simples y avaient été découverts depuis la mission Voyager 1, le propène semblait absent. On vient de le détecter grâce à la sonde Cassini : une première pour une planète du Système solaire autre que la Terre.

La lune de Saturne, Titan, apparaît comme une simple boule orangée dans le visible. Elle fascine pourtant les exobiologistes depuis des dizaines d'années. En effet, la composition chimique de son atmosphère en fait une fenêtre sur la chimie prébiotique à l'origine de la vie sur Terre.

Le premier à suspecter l'existence d'une atmosphère épaisse pour Titan a été l'astronome catalan Josep Comas i Solá, au début du XXe siècle. Il avait observé des différences d'intensité lumineuse entre le centre brillant et les bords plus sombres du satellite. Mais il faudra attendre les mesures spectroscopiques effectuées depuis le sol en 1944 par l'astrophysicien néerlandais et américain Gerard Kuiper, pour que l'existence de cette atmosphère soit démontrée. Kuiper, le futur directeur de thèse de Carl Sagan, avait en effet détecté la présence de molécules de méthane sur Titan.

Titan, l'atmosphère de la Terre primitive au congélateur

La connaissance de la composition de l'atmosphère de Titan a beaucoup progressé grâce aux observations de la sonde Voyager 1. On sait maintenant qu'elle est constituée à environ 98 % d'azote moléculaire, le reste étant essentiellement du méthane et d'autres hydrocarbures. Remarquablement, des molécules organiques impliquées dans différents modèles de chimie prébiotique, comme le cyanogène et le cyanure d'hydrogène, ont aussi été détectées. Par certains aspects, l'atmosphère de Titan ressemble donc probablement à celle de la Terre avant que des organismes vivants n'y injectent de l'oxygène. Mais comme les températures y sont de l'ordre de -180 °C à sa surface, il s'agit plutôt d'une Terre « au congélateur » comme on le dit parfois.


Une vidéo sur la découverte du propène (anciennement appelé propylène). Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle avec deux barres horizontales en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître, si ce n'est pas déjà le cas. En passant simplement la souris sur le rectangle, vous devriez voir l'expression « Traduire les sous-titres ». Cliquez pour faire apparaître le menu du choix de la langue, choisissez « français », puis cliquez sur « OK ». © NasaExplorer, YouTube

Il n'y a pas d'eau liquide à la surface de Titan. Les lacs que l'on y observe sont formés d'hydrocarbures liquides. On ne peut donc pas imaginer que des formes de vie similaires à celles connues sur Terre aient émergé dans une soupe chaude primordiale postulée par le biochimiste russe Oparine. Mais la haute atmosphère de Titan pourrait bien être un équivalent, une brume primordiale.

Les chimistes passionnés d'exobiologie tentent donc de mieux comprendre ce qui se passe dans cette haute atmosphère. Une curieuse anomalie était connue depuis la mission Voyager 1. Des alcanes, des alcènes et des alcynes simples avaient pu être identifiés dans l'atmosphère de Titan. Mais alors que l'on savait qu'il y avait des molécules de propane et de propyne (un composé insaturé aliphatique de formule chimique C3H4), l'alcène intermédiaire, le propène, semblait absent. Rappelons que le propène, anciennement appelé propylène, est un alcène de formule semi-développée CH2=CH-CH3. C'est un important composé de l'industrie pétrochimique, en particulier parce qu'il est utilisé pour la synthèse d'autres composés plus complexes tels le polypropylène (PP), un plastique très commun.

Une chasse aux molécules encore à ses débuts sur Titan

Cette absence de détection du propène, que ce soit au moyen d'instruments au sol sur Terre ou dans l'espace au voisinage de Titan, était très curieuse. Mais voilà qu'un article déposé sur arxiv par des planétologues vient éclaircir ce mystère. Les chercheurs ont utilisé le Composite Infrared Spectrometer (CIRS), équipant la sonde Cassini, pour étudier plus soigneusement la lumière infrarouge en provenance de la stratosphère de Titan. Ils ont fini par trouver la signature du propène. C'est la première fois que l'on démontre la présence de cette molécule dans une des planètes du Système solaire autre que la Terre.

« Cette mesure a été très difficile à faire parce que la faible signature de propène était noyée sous celles d'autres produits chimiques connexes avec des signaux beaucoup plus forts, a déclaré Michael Flasar, le chercheur à la tête de l'équipe utilisant le CIRS. Ce succès renforce notre certitude que nous allons trouver de plus en plus de molécules restées longtemps cachées dans l'atmosphère de Titan»