Installé en 2022 sur la Station spatiale internationale, le spectroscope imageur Emit (Earth Surface Mineral Dust Source Investigation) était initialement conçu pour étudier les effets des poussières atmosphériques sur la température à la surface de la Terre. Selon une récente étude, le spectroscope est également capable d’identifier depuis l’espace les grandes sources de dioxyde de carbone et de méthane, qui comptent parmi les principaux gaz à effet de serre. Les données collectées par Emit seront disponibles en libre service. 

Depuis la révolution industrielle au XIXe siècle, l'humanité a progressivement commencé à manufacturer des produits à grande échelle, entraînant des besoins de plus en plus grandissants en énergie. D'abord majoritairement produite grâce à la combustion de charbon (on peut par exemple penser à la machine à vapeur), les secteurs de production d'énergie se sont ensuite élargis à l'ensemble des énergies fossiles, comme le pétrole ou le gaz naturel. Ces énergies fossiles sont issues de la lente décomposition de matières organiques (constituées entre autres de carbone) d'êtres vivants (plantes, bactéries, animaux...) dans les profondeurs des sols, sur plusieurs centaines de millions d'années. Si ces sources d'énergies assurent un rendement satisfaisant, l'utilisation des énergies fossiles représente aujourd'hui un inconvénient de taille : la production d'énergies fossiles est émettrice de gaz à effet de serre (comme l'eau, H2O, le dioxyde de carbone, CO2, ou le méthane, CH4), qui retiennent dans la basse atmosphère une partie de la chaleur émise vers l'espace et la réchauffent.

Le problème des gaz à effet de serre

Sans ces gaz à effet de serre, le climat terrestre serait très inhospitalier (la température à la surface de la Terre serait d'environ -18 °C). En revanche, un excès de gaz à effet de serre atmosphérique tend à réchauffer l'atmosphère de manière excessive. C'est exactement le problème auquel l'humanité fait face actuellement : depuis la révolution industrielle, la température moyenne à la surface de la Terre a déjà augmenté de 1,5 °C, du fait des émissions anthropiques de gaz à effet de serre. La tendance est toujours à la hausse, impliquant des conséquences dramatiques pour notre environnement et notre climat (vagues de chaleur, montée des eaux, sécheresses et inondations), voire nos vies.

Explications des effets des gaz à effet de serre sur les températures à la surface de la Terre, extrait du webdoc Paroles de climatologues. © CEA

Les deux principaux gaz à effet de serre d'origine anthropique, c'est-à-dire émis par l'action des êtres humains, sont le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4), émis par exemple par la combustion de charbon ou l'extraction et l'utilisation de gaz naturel. Si les scientifiques connaissent bien leurs principaux types de sources d'émissions (centrales électriques, raffineries, etc), il demeure en revanche difficile d'identifier précisément les sources d'émissions de gaz à effet de serre. Les émissions de dioxyde de carbone et de méthane constituent en effet une source importante d'incertitudes dans l'appréciation du bilan carbone mondial, d'autant plus lorsque les émissions sont produites à de faibles échelles spatiales (typiquement inférieures au kilomètre). Ces incertitudes varient en fonction des pays (de quelques pourcents pour les pays les plus transparents, jusqu'à plusieurs dizaines de pourcents pour les pays plus discrets sur leurs émissions, comme la Chine).

Dans le but de calculer plus précisément le bilan carbone mondial, les scientifiques cherchent depuis plusieurs décennies à détecter les émissions de carbone depuis l'espace. Les satellites Tropomi (Tropospheric Monitoring Instrument) ou OCO (Orbiting Carbon Observatory), par exemple, avaient déjà été lancés dans cet objectif ; mais les scientifiques faisaient face soit à une résolution spatiale trop faible pour identifier précisément les sources d'émissions (ils ne caractérisaient les émissions qu'à des échelles globales), soit à une capacité de couverture spatiale trop faible (ils n'étaient pas capables d'observer d'assez grandes régions). Un problème de taille, jusqu'au lancement en juillet 2022 de l'instrument Emit (Earth Surface Mineral Dust Source Investigation) embarqué sur la Station spatiale internationale qui, selon une nouvelle étude publiée dans la revue Science, est capable d'identifier les sources d'émissions de dioxyde de carbone et de méthane à des échelles inférieures à 60 mètres.

Observer les émissions de gaz à effet de serre depuis l’espace

Déployé en juillet 2022 à bord de la Station spatiale internationale (ISS), Emit est un spectroscope imageur fabriqué par la Nasa, observant dans la lumière visible et le proche infrarouge. Il est initialement conçu pour mesurer l'effet des poussières en suspension dans l'atmosphère sur la température atmosphérique, et identifier leurs sources d'émissions (typiquement les régions arides). Selon l'équipe de scientifiques, ces caractéristiques permettent également à l'instrument d'identifier avec précision les sources d'émission de dioxyde de carbone et de méthane à la surface de notre Planète.

(A) Observations d'Emit indiquées en blanc, avec les emplacements des centrales d’une capacité de 500 MW sont indiqués en bleu. (B) Observations totales pour l'entièreté de la mission. © Thorpe et <em>al.</em>, 2023, <em>Science</em>
(A) Observations d'Emit indiquées en blanc, avec les emplacements des centrales d’une capacité de 500 MW sont indiqués en bleu. (B) Observations totales pour l'entièreté de la mission. © Thorpe et al., 2023, Science

Dans le but de remplir son objectif initial, la première mission du spectroscope Emit visait l'observation de régions arides -- les plus émettrices de poussières atmosphériques -- comme le Moyen-Orient. En utilisant les données récoltées par le spectroscope lors de ses 30 premiers jours d'activité, l'équipe de chercheurs a identifié avec précision 65 sources de dioxyde de carbone et de méthane au Moyen-Orient et en Asie Centrale, provenant principalement des secteurs pétrolier et gazier, ainsi que des installations de traitement des eaux usées et des centrales électriques. Les données récoltées par le spectroscope concernaient en partie des régions dont les taux d'émissions exacts sont peu connus des scientifiques, accentuant les incertitudes concernant l'évaluation du bilan carbone mondial.

En seulement 30 jours, l'instrument a pu couvrir une surface supérieure à la superficie de l'Afrique du Sud, démontrant son haut potentiel de couverture spatiale, tout en parvenant à identifier des sources d'émissions à des échelles inférieures à 60 mètres. Les chercheurs prévoient de capturer au cours de sa première année de mission les émissions de plus de 1 600 centrales électriques dans le monde entier. Les futures données sur les émissions de gaz à effet de serre provenant d'Emit seront mises à la disposition du public.