Lors de la conférence de l'Esa révélant les résultats des observations de Planck, le cosmologiste George Efstathiou avait déjà laissé entendre qu'ils indiquaient peut-être l'existence d'un « avant Big Bang ». Deux physiciens viennent de proposer une explication aux curieuses anomalies dans le rayonnement fossile qui conduisaient à cette hypothèse. Nous serions dans un univers bulle en expansion au sein d'un multivers infini, du genre de celui découlant de la théorie de l'inflation éternelle de Linde.

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    Planck et WMap ont fourni des mesures du rayonnement fossile dont on peut déduire le contenu et la forme de l'univers observable. Cela a permis de vérifier plusieurs prédictions généralement basées sur des modèles cosmologiques reposant sur la théorie de l'inflation. Mais pour en avoir une preuve solide, il faut détecter les fameux modes B dans la polarisation du rayonnement fossile et les confronter aux prédictions de la théorie de l'inflation.

    Certaines anomaliesanomalies dans le rayonnement fossile pourraient cependant être dérangeantes pour la théorie de l'inflation. Elles avaient déjà été détectées dans les mesures de WMap. Mais le doute était de mise jusqu'à ce que PlanckPlanck confirme leur existence. L'une d'elles concerne une étrange asymétrie dans les fluctuations de température du rayonnement fossile. On observe en effet que la voûte céleste est constituée de deux hémisphères opposés, grossièrement divisés le long du plan de l'écliptique (le plan défini par l'orbite de la Terre autour du SoleilSoleil). La température moyenne est la même dans les deux hémisphères, mais la valeur moyenne des fluctuations de température (si l'on peut dire puisque techniquement parlant il s'agit d'écart-type) est à peu près 10 % plus grande sur un côté du ciel par rapport à l'autre, lorsque l'on considère des portions ayant une taille angulairetaille angulaire d'au moins 3°.

    Un univers bulle né d'une transition de phase du vide

    Les cosmologistes sont perplexes. Selon les modèles d'inflation les plus courants, on ne devrait pas voir de différences notables entre les deux hémisphères. Certes, l'anomalie n'est pas statistiquement très importante et il se pourrait que ce résultat ne soit ni la pointe émergée d'un iceberg de nouvelle physiquephysique, ni même d'une révolution de notre modèle cosmologique.

    Pour Andrew Liddle et Marina Cortes de l'université d'Édimbourg (Royaume-Uni), comme ils l'expliquent dans un article publié sur arxiv, il se pourrait bel et bien que cette anomalie soit en fait la trace laissée par des modèles d'inflation bien particuliers. Ces modèles font intervenir les travaux de Sidney Coleman en cosmologiecosmologie quantique, et la théorie du paysage cosmique, impliquée, selon Leonard Susskind, par la théorie des supercordesthéorie des supercordes. Selon ces théories, notre univers ne serait que l'équivalent d'une sorte de bulle de gazgaz apparue comme beaucoup d'autres dans un liquideliquide, c'est-à-dire dans le cas présent une portion d'un multivers, comme ceux que l'on rencontre dans la théorie de l'inflation éternelle de Linde.

    Ce schéma en deux dimensions représente une portion de l'espace-temps d'un multivers infini que l'on peut considérer localement comme plat. À un instant T0, un univers bulle naît et gonfle presque à la vitesse de la lumière dans ce multivers. Il correspond aux cercles rouges que l'on voit représentés aux dates T1 et T2. Mais dans cette bulle, du fait de la géométrie particulière de l'espace-temps plat, un univers à courbure négative apparaît comme infini, mais en expansion pour des observateurs y existant. Différentes dates de son histoire sont représentées par les temps cosmiques t1 et t2 de cet univers : ils correspondent à une sorte d'instantané de la structure spatiale de cet univers infini, mais néanmoins contenu dans une bulle de taille finie. Il se pourrait que les anomalies dans le rayonnement fossile signalent que nous sommes dans un univers ressemblant beaucoup à cette bulle. On voit sur ce diagramme d'espace-temps les trajectoires de galaxies (en jaune). © Alan Stonebraker, Planck Collaboration, Esa

    Ce schéma en deux dimensions représente une portion de l'espace-temps d'un multivers infini que l'on peut considérer localement comme plat. À un instant T0, un univers bulle naît et gonfle presque à la vitesse de la lumière dans ce multivers. Il correspond aux cercles rouges que l'on voit représentés aux dates T1 et T2. Mais dans cette bulle, du fait de la géométrie particulière de l'espace-temps plat, un univers à courbure négative apparaît comme infini, mais en expansion pour des observateurs y existant. Différentes dates de son histoire sont représentées par les temps cosmiques t1 et t2 de cet univers : ils correspondent à une sorte d'instantané de la structure spatiale de cet univers infini, mais néanmoins contenu dans une bulle de taille finie. Il se pourrait que les anomalies dans le rayonnement fossile signalent que nous sommes dans un univers ressemblant beaucoup à cette bulle. On voit sur ce diagramme d'espace-temps les trajectoires de galaxies (en jaune). © Alan Stonebraker, Planck Collaboration, Esa

    Des instantons pour décrire un multivers infini et éternel

    On peut en effet comparer l'espace-tempsespace-temps lorsqu'il contient une énergieénergie du vide similaire, peut-être, à l'énergie noireénergie noire, à un fluide dans lequel des transitions de phase peuvent se produire. Ces transitions font passer le vide d'un état d'énergie à un autre. Elles peuvent intervenir par effet tunneleffet tunnel à travers des barrières d'énergie. Le processus est décrit en utilisant la fameuse intégrale de chemin de Feynman, celle que Hawking et Hartle ont utilisée pour leur célèbre modèle cosmologique avec un temps imaginaire. Avec le temps imaginaire, on peut trouver des solutions aux équationséquations d'EinsteinEinstein couplées à des théories quantiques des champs que l'on appelle des instantons. L'une de ces solutions a été trouvée par Sidney Coleman et un de ses collègues en 1987 : on l'appelle l'instanton de Coleman-de Luccia.

    Avec cet instanton, on peut décrire un multivers éternel et infini dans lequel des bulles d'états d'énergie différentes apparaissent spontanément et se dilatent presque à la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière. Dans ces bulles, étrangement, la courbure de l'espace en expansion apparaît comme négative (une situation similaire se trouve dans ce qu'on appelle l'univers de Milne). À l'intérieur, d'autres univers pourraient prendre naissance un jour de la même façon. Selon Andrew Liddle et Marina Cortes, l'anomalie découverte par WMap et Planck serait un résultat naturel des théories de ce genre, reposant sur l'instanton de Coleman-de Luccia et des transitions d'énergie locales dans un multivers où les énergies du vide varient en accord avec la théorie du paysage cosmique des supercordes.

    Deux champs scalaires pour la naissance de l'univers observable

    Les deux physiciensphysiciens utilisent plus précisément la possibilité que ce soit non pas un, mais deux champs scalaires qui soient à l'origine de l'expansion accélérée de l'universexpansion accélérée de l'univers observable lors de l'inflation, mais aussi des fluctuations de son contenu en matièrematière, à l'origine de la naissance des galaxies.

    Dans les théories les plus courantes de l'inflation, une sorte de champ de Higgs, que l'on appelle l'inflatoninflaton, joue les deux rôles précédents. Malheureusement, on ne peut pas expliquer les observations de Planck de cette façon. Or, on a pu construire des modèles inflationnaires où l'inflaton se contente de produire une expansion très forte et très rapide de l'espace pendant un temps très bref. Un second champ, baptisé le curvaton, produit lui les fluctuations du contenu de l'univers que l'on voit sous forme de fluctuations de température dans le rayonnement fossile, et qui sont responsables de la naissance des galaxiesgalaxies.

    La théorie de Liddle et Cortes n'est pas à l'abri de certaines objections. Elle ne prédit pas correctement la répartition moyenne des quasars, par exemple. Mais elle prédit que la géométrie de notre univers n'est pas tout à fait plate. Sa courbure est négative comme celle d'une selle de cheval (la courbure d'une sphère est positive). Il est possible que cette prédiction soit vérifiable lorsque les analyses des mesures de Planck seront terminées. Dans le cas contraire, il faudra attendre une autre génération d'expériences pour, peut-être, connaître la géométrie réelle de la portion d'espace de l'univers observable.