En s’inspirant de la situation actuelle de Io, satellite de Jupiter, des chercheurs ont réussi à concilier les données a priori contradictoires sur l’âge de la Lune. Depuis de nombreuses années, les scientifiques se heurtent en effet à un dilemme : comment expliquer que 160 millions d’années séparent la formation de la Lune de celle des roches de sa croûte ?


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    On sait que la Lune s’est formée suite à une collision titanesque entre la Terre et une autre planète de la taille de Mars, appelée Théia. En pulvérisant la surface terrestre, ce cataclysme a éjecté une masse énorme de roches, qui s'est rapidement accrétée pour former notre satellite. Mais quand cet épisode majeur dans l'histoire de la Terre s'est-il produit ?

    Si l'on sait qu'il a eu lieu très rapidement après la formation de la Terre, les scientifiques ont cependant bien du mal à proposer une date précise. Et pour cause : alors que l'on pensait que les échantillons lunaires rapportés par les diverses missions depuis Apollo 11Apollo 11 aideraient à clarifier l'âge de la Lune, la datation des roches lunaires a au contraire brouillé les pistes. Ces roches ne seraient en effet âgées que de 4,35 milliards d'années, ce qui est venu contredire les modèles basés sur la datation de quelques grains de zircon suggérant une formation de la Lune il y a 4,51 milliards d'années. Et une incertitude de 160 millions d'années, ce n'est tout de même pas rien !

    La collision entre la toute jeune Terre et Théia a donné naissance à la Lune. © Nasa, JPL-Caltech
    La collision entre la toute jeune Terre et Théia a donné naissance à la Lune. © Nasa, JPL-Caltech

    Âge de la Lune : faire confiance aux zircons

    Pour les chercheurs de l'université de Californie Santa Cruz, cette discordancediscordance d'âge pourrait en réalité être liée à une histoire géologique de la Lune plus complexe qu'on ne le pensait. Dans un article publié par la revue Nature, ils présentent ainsi un scénario qui permet de réconcilier ces différentes données a priori contradictoires.

    Les auteurs suggèrent ainsi que les quelques zircons retrouvés dans les échantillons lunaires indiquent bien l'âge de la Lune. Les zircons, ce sont de minuscules minérauxminéraux dont la résistancerésistance extrême leur permet de traverser le temps sans être altérés ou modifiés. Ils sont ainsi capables de garder une signature chimique directement acquise au moment de leur formation. Sur Terre, les forces tectoniques et l'érosion remanient continuellement les roches et les minéraux qui les composent. Un processus essentiel dans la dynamique terrestre, mais qui représente une sacrée épine dans le pied des scientifiques, car cela signifie que le signal chimique originel est presque toujours effacé. Sauf pour les zircons, qui s'avèrent être les uniques témoins directs des premiers temps de la Terre... et de la Lune.

    La datation des zircons des roches lunaires a ainsi permis de dire que la Lune se serait formée entre 4,51 et 4,43 milliards d'années. Mais comment expliquer l'âge, de 80 à 160 millions d'années plus jeune, des roches auxquelles ils appartiennent ? Eh bien, tout simplement par ce même processus d'effacement de la donnée initiale.

    Il y a 4,35 milliards d’années, une Lune très similaire à Io ?

    Pour les chercheurs, la croûtecroûte lunaire aurait en effet connu un second épisode de fusion quasi totale vers 4,35 milliards d'années. En fondant, les roches auraient ainsi perdu leur signal chimique initial acquis lors de la cristallisation de l'océan de magmamagma primitif, pour en acquérir un nouveau, pointant vers un âge plus jeune. Seuls les zircons seraient sortis indemnes de cet épisode d'intense volcanismevolcanisme qui semble avoir totalement remanié la surface de la Lune.

    Aujourd'hui, le corps céleste qui connaît l'activité volcanique la plus importante dans notre Système solaire est Io, lune de Jupiter. Cette activité est alimentée par les puissantes forces de maréeforces de marée induites par sa proximité avec la géante gazeusegéante gazeuse. Une relation de cause à effet que les scientifiques pensent pouvoir également appliquer à la Lune, pour expliquer cet épisode volcanique majeur il y a 4,35 milliards d'années.

    Io est une lune de Jupiter très active du point de vue volcanique. © Données d'image : Nasa, JPL-Caltech, SwRI, MSSS - Traitement d'image par Gerald Eichstädt
    Io est une lune de Jupiter très active du point de vue volcanique. © Données d'image : Nasa, JPL-Caltech, SwRI, MSSS - Traitement d'image par Gerald Eichstädt

    À cette époque, la Lune est en effet située sur une orbiteorbite bien plus proche de la Terre. La distance Terre-Lune correspondait alors à environ un tiers de la distance actuelle. L'orbite est, de plus, devenue beaucoup plus elliptique. Une situation relativement similaire à celle de IoIo actuellement.

    Scénario proposé pour expliquer la divergence entre l'âge des zircons et celui des roches de la croûte lunaire. En 4, on voit l'épisode de fusion du manteau qui a produit d'importants épanchements de lave en surface et un remaniement global de la croûte lunaire. © Nimmo et <em>al.</em> 2024,<em> Nature</em>
    Scénario proposé pour expliquer la divergence entre l'âge des zircons et celui des roches de la croûte lunaire. En 4, on voit l'épisode de fusion du manteau qui a produit d'importants épanchements de lave en surface et un remaniement global de la croûte lunaire. © Nimmo et al. 2024, Nature

    La Lune aurait donc été soumise à d'intenses forces de marée qui auraient « réchauffé » son intérieur, entraînant une fusion partiellefusion partielle de son manteaumanteau et le déclenchement d'une phase d’intense volcanisme qui aurait donc remanié toute sa surface.