Au Japon, poser sa démission est une épreuve pour de nombreux salariés qui craignent d’affronter leur manager. Certains, paralysés par cette démarche, font appel à des agences spécialisées pour démissionner à leur place. Selon une enquête menée auprès de 800 travailleurs, un sur six a eu recours à ce type de service entre janvier et juin 2024. Mais pourquoi cette peur ?


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    C'est une pratique peu commune en Occident, mais très répandue au Japon. Un salarié nippon sur six a déjà utilisé les services d'une entreprise spécialisée dans les démissions par procuration entre les mois de janvier et juin 2024, selon une enquête de Mynavi menée auprès de 800 travailleurs, et relayée par le Japan Times

    Quand démissionner est une épreuve...

    Les jeunes sont plus nombreux que leurs aînés à avoir besoin de soutien pour quitter leur emploi de leur propre chef. Pour preuve, 18,6 % des vingtenaires se sont déjà fait aider par une agence de ce type pour poser leur démission, contre seulement 4,4 % des plus de 50 ans.

    Les Japonais ont recours à ces entreprises par peur du qu'en-dira-t-on. Les salariés de l'archipelarchipel entretiennent un rapport très particulier au travail. La culture de l'entreprise a été fortement influencée par le confucianisme, une doctrine qui met l'accent sur une structure sociale hiérarchique caractérisée par l'obéissance des subordonnés à leurs supérieurs. La désobéissance n'y est pas acceptée, tout comme la déloyauté. Rien d'étonnant donc à ce que les Japonais restent traditionnellement fidèles au même employeur pendant des décennies, voire toute leur carrière.

    Dans ce contexte, poser sa démission représente un véritable challenge. Les employés sont souvent réticents à l'idée de devoir expliquer les raisons de leur départ à leur manager, et préfèrent qu'un tiers s'en charge pour eux.

    Au Japon, pour quitter leur emploi, de nombreux salariés, paralysés par la démarche et la peur d'affronter leur manager, font appel à « une agence de démission ». © Ryanking999, Adobe Stock
    Au Japon, pour quitter leur emploi, de nombreux salariés, paralysés par la démarche et la peur d'affronter leur manager, font appel à « une agence de démission ». © Ryanking999, Adobe Stock

    Faire appel à des agences de démission pour quitter son job

    Pour quelques dizaines de milliers de yens (centaines d'euros), des agences spécialisées contactent l'employeur du démissionnaire pour lui signifier son intention de partir et lui transmet ses demandes concernant, par exemple, les jours de congé non utilisés. Mais elles s'occupent rarement des questions plus délicates comme les indemnités de démission, préférant adresser leurs clients à des avocatsavocats en cas de litige.

    Quoi qu'il en soit, les Japonais sont convaincus de l'utilité de telles firmes. Elles permettent de dédramatiser les départs des collaborateurs. Car certains employeurs du pays refusent de se séparer de leurs salariés, allant jusqu'à déchirer leur lettre de démission. 40,7 % des travailleurs interrogés par Mynavi ont déjà été confrontés à de telles situations, ou craignent de l'être s'ils font part à leur n+1 de leur intention de voguer vers d'autres horizons professionnels, selon le Japan Times.

    L'essor des agences de démission par procuration atteste des pressions que subissent les salariés de l'archipel, souvent contraints de travailler de longues heures pour compenser des salaires de base plutôt faibles. Beaucoup finissent par développer un stress chronique qui peut, dans les cas les plus extrêmes, les conduire au karoshi, soit littéralement à « la mort par dépassement du travail ». Le problème a pris une telle ampleur dans le pays qu'une loi sur le sujet a été adoptée par le Parlement japonais en 2014.

    Un changement en cours chez les jeunes générations

    Tous les moyens sont bons pour tenter de changer les mentalités dans l'archipel, le surmenage étant un véritable problème de santé publique. Les jeunes générations de travailleurs sont les moteurs de ce changement. Désireuses de ne pas tomber dans le même engrenage que leurs aînés, elles aspirent à un meilleur équilibre entre leurs vies personnelle et professionnelle. Ce qui les pousse à envisager une expatriation ou à démissionner avec l'aide d'une agence spécialisée.