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Ettore Majorana (né à Catane, en Sicile, le 5 août 1906 et présumé disparu en mer Tyrrhénienne le 27 mars 1938) avait, selon les dires de son mentor, Enrico Fermi, une intelligence supérieure à la sienne. Faire de la physique théorique lui était aussi naturel que respirer, selon l’expression d’Étienne Klein. Ses découvertes les plus célèbres concernent une des bases de la physique de l’IRM et les premiers modèles de noyaux avec l’interaction nucléaire forte, avant celui de Heisenberg. © Wikipédia, DP
Environ une seconde après le début de l'univers observable, dans le modèle standard de la cosmologiemodèle standard de la cosmologie relativiste du Big Bang, la température du cosmoscosmos était de 10 milliards de degrés et sa densité était comparable à celle de l'eau. L'univers contenait une soupe de leptons, de photons et surtout de protons et de neutrons se transformant les uns dans les autres en absorbant et émettant des neutrinos. Cela n'allait pas durer...
En dessous de ce seuil de température qui correspond à des énergiesénergies pour les neutrinosneutrinos de l'ordre de 1 MeV, ils ont cessé d'interagir avec les nucléonsnucléons pour se propager finalement librement dans l'espace. Environ 380.000 ans plus tard, un phénomène similaire s'est produit, celui de la recombinaisonrecombinaison. Lorsque la température de l'univers observable est passée sous la barre des 3.000 degrés kelvinskelvins environ, les photons ont cessé d'interagir avec les noyaux et les électronsélectrons qui se sont assemblés pour former les premiers atomesatomes neutres. C'est alors qu'a été émis le fameux rayonnement fossilefossile ou cosmic microwave background (CMB), comme on l'appelle en anglais.
L’astronomie des neutrinos, une fenêtre sur l’univers primitif
Il existe donc, en plus du fond diffus cosmologiquefond diffus cosmologique de photons, un rayonnement cosmologique de neutrinos qui nous donnerait directement accès, si l'on pouvait l'observer, le mesurer et le cartographier, à une image de l'état de l'univers lorsqu'il n'était âgé que de quelques secondes tout au plus. Ce fond cosmologique de neutrinos (en anglais cosmic neutrino background soit CNB ou encore CνB, lire C-nu-B), nous pouvons l'observer indirectement par ses effets sur le rayonnement fossile comme l'ont montré les analyses récentes des mesures de la mission Planck.
Mais le mettre directement en évidence représente un défi technologique que tentent de relever les membres du Princeton Plasma Physics Laboratory (PPPL) à travers le projet Ptolemy (Princeton TritiumTritium Observatory for Light, Early Universe Massive Neutrino Yield).
Une vue du prototype de l’expérience Ptolemy, le nom en anglais du célèbre astronome de l’Antiquité, Ptolémée. À terme, elle utilisera 100 g de tritium. © Elle Starkman, PPPL Office of Communications
En effet, les neutrinos interagissent très faiblement avec la matièrematière quand ils sont à basse énergie. Certes, il existe plus de neutrinos fossiles que de photons fossiles dans le cosmos. On estime même qu'il en existe environ 450 par cm3. Mais du fait de l'expansion de l'univers et de son refroidissement, la température moyenne du CNB est aujourd'hui de seulement 1,95 kelvin soit légèrement plus froide que celle du CMB (2,725 K). On est donc loin des 10 milliards de kelvins initiaux et à une température aussi basse, les neutrinos cosmologiques semblaient, pour beaucoup, insaisissables puisque capables de traverser en moyenne, pour chacun d'entre eux, un bloc de ferfer d'une année-lumièreannée-lumière d'épaisseur.
Des supraconducteurs pour évaluer l’énergie des neutrinos fossiles
C'était sans compter sur les progrès des détecteurs de particules utilisant le phénomène de supraconductivité ainsi que sur les découvertes des nanosciences. On a ainsi vu récemment que des bolomètresbolomètres basés sur cette technologie ont été en mesure de détecter les fameux modes Bmodes B de la polarisation du rayonnement fossile dans le cadre de l'expérience Bicep2. L'idée de base est que de tels détecteurs absorbant une particule qui y dépose de l'énergie s'échauffent localement et cessent d'être alors dans un état supraconducteursupraconducteur. Ce qui se manifeste par un brusque saut de la résistancerésistance dans un des capteurscapteurs de l'appareil.
L'expérience Ptolemy consistera à utiliser ce type de calorimètre pour mesurer l'énergie des électrons émis par la désintégration de noyaux de tritium déposés sur un feuillet de graphènegraphène. La théorie de la désintégration bêtabêta pour cet isotopeisotope bien connu de l'hydrogènehydrogène implique que les électrons émis ne peuvent pas posséder une énergie supérieure à une valeur bien déterminée. En sélectionnant à l'aide d'un champ magnétiquechamp magnétique, les électrons les plus énergétiques émis par les noyaux de tritium, il est possible de mesurer leurs énergies avec un calorimètre supraconducteur refroidi à une température inférieure à 0,1 K. Toujours d'après la théorie de l'interaction électrofaible à la base de celle de la désintégration bêta, on sait que ces électrons ont une faible probabilité d'absorber une partie de l'énergie des neutrinos du CNB. Certains d'entre eux déposeront donc dans le calorimètre, plus d'énergie qu'il n'est en théorie possible en l'absence de collision avec un neutrino si le système est suffisamment protégé par les effets d'un bruit de fond causé par d'autres particules que les neutrinos.
In fine, la distribution des énergies des électrons mesurée par Ptolemy devrait montrer la présence d'au moins un pic (une augmentation de la résolutionrésolution montrerait trois pics associés aux trois types de neutrinos du modèle standard) au-dessus de la valeur maximale des énergies des électrons issus de la désintégration bêta des noyaux de tritium. D'après les chercheurs, un second pic pourrait trahir l'existence de neutrinos stérilesneutrinos stériles et permettre de répondre à une vieille question qui apporterait une clé à l'énigme de l'antimatière cosmologique : les neutrinos sont-ils des fermions de Majorana ?