Depuis une décennie, un changement de paradigme est en cours en ce qui concerne les galaxies, leur naissance et évolution. Les fusions entre galaxies n'auraient en effet qu'un rôle mineur en comparaison de celui de filaments de gaz froids, canalisés par des filaments de matière noire, et qui alimentent en matière la formation des étoiles faisant croître les galaxies. Futura a interrogé à ce sujet l'un des auteurs de cette révolution, le cosmologiste Romain Teyssier.


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    On peut dire que les bases de la théorie du Big BangBig Bang ont été posées en 1931 par Georges LemaîtreGeorges Lemaître, comme l'explique Jean-Pierre Luminet dans un des articles qu'il a consacré au cosmologiste belge. La même année, il introduisait l'idée d'un traitement quantique du début de la naissance de l’Univers. Trois ans plus tard, il fut le premier à transposer la théorie de l'astronomeastronome et physicienphysicien James Jeans au sujet de la naissance des nébuleuses, et donc des galaxies, dans le cadre de la théorie de la relativité générale avec un Univers relativiste en expansion.

    Ce sujet va prendre de plus en plus d'importance après la découverte du rayonnement fossile en 1965, accréditant rapidement les idées de Lemaître et aussi de l'autre pionnier majeur de la théorie du Big Bang : Georges GamowGeorges Gamow. Les cosmologistes, et en particulier le récent prix Nobel de physique James Peebles, vont se mettre à explorer de plus en plus profondément des théories de la formation des galaxies et des amas de galaxiesamas de galaxies dont les observations se multipliaient depuis les années 1930.

    L'idée de base, tout comme du temps de Lemaître, était toujours la même : des instabilités liées à une distribution de matièrematière légèrement inhomogène dans un cosmoscosmos observable en expansion, produites par le Big Bang et qui provoquaient l'effondrementeffondrement gravitationnel des régions de surdensité. En se fragmentant tout en continuant à s'effondrer, ces régions pouvaient donner naissance à de larges groupes de jeunes étoilesétoiles et des protogalaxies, voire les amas globulairesamas globulaires observés aujourd'hui, et dont on sait qu'ils contiennent de très vieilles étoiles, âgées de plus de 10 milliards d'années.

    Le développement d'une théorie relativiste de ces perturbations dans une distribution par conséquent inhomogène de matière et/ou de rayonnement, se traduisant par des perturbations de la métrique de l'espace-tempsespace-temps dans le jargon de la cosmologiecosmologie relativiste, allait s'avérer d'une grande importance. En effet, elle permet de connecter l'état de l'Univers primordial, fut-il quantique, avec la naissance des galaxies et la formation des grandes structures rassemblant les amas de galaxies en filaments entourant des régions presque vides de matière que des télescopestélescopes comme ceux du Sloan Digital Sky Survey ont mis en évidence. C'est au célèbre collaborateur russe du mythique Lev Landau, Evgeny Lifshitz, que l'on doit cette théorie des perturbations qu'il a publiée en 1946.


    Une présentation du Sloan Digital Sky Survey. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © American Museum of Natural History

    La matière noire, l'ingrédient fondamental de la naissance des galaxies

    On a pensé un temps aussi que la structure spirale des galaxies, et surtout leur rotation, était un reste d'un état de turbulenceturbulence du fluide de matière initialement sous forme de plasma laissé par le Big Bang, et composé ensuite essentiellement d'hydrogènehydrogène et d'héliumhélium. C'est une idée qui avait été avancée par von Weizsacker (1947) et Gamow (1952). Mais comme l'explique James Peebles dans son célèbre ouvrage Principles of Physical Cosmology, cette idée a été abandonnée, dans sa forme initiale en tout cas, car en contradiction avec les observations des prédictions que l'on en a tiré plus tard dans le cadre la théorie du Big Bang. Fred Hoyle, vers 1950, puis Peebles lui-même à partir de 1969, vont expliquer la rotation des galaxies par les effets de couple des forcescouple des forces de maréemarée (c'est la Tidal Torque Theory, en anglais) entre galaxies naissantes.

    Toujours est-il que si l'on peut obtenir analytiquement certains résultats concernant le début de la formation des galaxies juste après le Big Bang - techniquement parce que l'on reste dans un régime dit linéaire - il arrive un moment où le processus d'effondrement devient non-linéaire et les solutions approximatives des équationséquations utilisées pour décrire ces phénomènes ne sont plus valables. En clair, comme dans de nombreuses questions d'intérêt en mécanique des fluides et des plasmas, qui utilisent aussi des équations non linéaires, il faut avoir recours à des ordinateursordinateurs et des simulations numériquessimulations numériques savantes.

    Pour compliquer le tableau, les cosmologistes, aussi bien pour des raisons théoriques qu'observationnelles, vont réaliser que l'Univers observable est trop jeune pour que les galaxies aient eu le temps de se former. Par contre, si l'on introduit des particules de la fameuse matière noirematière noire en quantité plus importante que les particules de matière baryonique (les protonsprotons et les neutronsneutrons des noyaux d'atomesatomes), alors son effondrement est très rapide, et important déjà au moment de l'émissionémission du célèbre rayonnement fossile, tout en ne laissant pas de traces directes de ses fluctuations de densité dans les fluctuations de température de ce rayonnement.

    Cependant, des traces indirectes sont bien présentes avec, techniquement, la présence d'un troisième pic dans le spectrespectre de puissance du rayonnement fossile, comme le montrent notamment les observations faites avec le satellite Planck. Les structures précoces produites par la matière noire exercent alors un champ de gravitationgravitation plus important que celui des distributions de matière baryonique, ce qui va accélérer son effondrement et permettre la naissance des premières étoiles et des premiers amas stellaires, et enfin des galaxies nainesgalaxies naines.

    À partir des années 1980, on va donc assister à l'essor des simulations numériques partant de conditions initiales décrivant des fluctuations de densité dans la matière laissée par le Big Bang, et montrant comment des galaxies puis des structures rassemblant ces galaxies pouvaient se former. Au début, les limites des ordinateurs imposaient de n'utiliser que de la matière noire et donc de ne pas décrire en détail les couplages avec la matière normale. Cette dernière donne des étoiles (et des trous noirs), dont les rayonnements et les explosions en supernovaesupernovae sont en mesure d'affecter les distributions de densité de la matière baryonique qui, par son champ de gravitation, va rétroagir sur les distributions de matière noire et leur évolution. Se limiter à simuler le comportement de la matière noire pouvait être un bon choix car les observations au niveau des vitessesvitesses des étoiles dans les galaxies et des galaxies dans les amas galactiques montraient clairement qu'il y avait de 5 à 10 fois plus de massemasse dans ces dernières que sous forme d'étoiles et de gazgaz de baryonsbaryons. On pouvait donc penser que l'essentiel des processus physiquesphysiques en jeu provenait du comportement de la matière noire en première approximation, ce qui permettait de limiter la masse des calculs.


    Un extrait de la simulation numérique 3D MareNostrum (voir les explications ci-dessous) reproduisant 13 milliards d’années de l’évolution de l’Univers depuis l’état homogène de l’après-Big Bang jusqu’aux galaxies spirales actuelles. Réalisation : Romain Teyssier (CEA), Taille : 50 millions d’années-lumière. © CEA Astrophysique

    La cosmologie standard à l'épreuve des simulations sur ordinateurs

    Mais des difficultés vont apparaître. Les simulations prédisaient en particulier plus de galaxies naines satellites des grandes galaxies qu'on en observe. Cela conduisait potentiellement à remettre en cause la nature de la matière noire, voire son existence au profit d'une modification des lois de la mécanique céleste de NewtonNewton avec Mond.

    Autre problème, on faisait croître en grande partie les galaxies à l'aide de fusionsfusions entre les galaxies naines primordiales et par collisions entre ces galaxies et celles de plus grande taille résultant des fusions précédentes. Les phénomènes accompagnant ces collisions et fusions (bien observées avec le télescope Hubble) - apports de gaz frais, ondes de choc entre les masses de gaz des galaxies - étant naturellement producteurs de flambées dans la formation stellaire. De même, les apports soudains de gaz étaient de nature à expliquer l'allumage des quasars du fait de chutes d'importantes quantités de matière en direction des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs au cœur des galaxies, et qui sont derrière les formidables quantités d'énergieénergie faisant briller les quasarsquasars.

    Sauf que l'on observe parmi les premières galaxies des formations fiévreuses de nouvelles étoiles, et des allumages de quasars, alors que l'on n'est visiblement pas dans beaucoup de cas en présence de fusions (en cours ou tout juste achevées) de galaxies.

    Toutes ces raisons ont fait que les tenants du modèle cosmologique standardmodèle cosmologique standard avec la matière noire froide, celui esquissé au début des années 1980 par le prix Nobel de physique James Peebles, vont tenter de résoudre ces énigmes tout en conservant ce modèle à l'aide de simulations tenant compte de tous les détails de la physique baryonique. Il s'agira en particulier, grâce au progrès en puissance de calcul des ordinateurs du XXIe siècle, d'introduire les effets de la formation des étoiles et des trous noirs supermassifs avec les conséquences que ces astresastres peuvent avoir par leurs rayonnements et leurs explosions.


    Une conférence de Romain Teyssier sur la cosmologie numérique appliquée à la naissance et l'évolution des galaxies. Les simulations débutent avec comme conditions initiales les contraintes sur les fluctuations de densité de matière environ 400.000 ans après le Big Bang telles que nous l'enseigne la carte du rayonnement fossile dressée avec le satellite Planck. Le chercheur explique surtout que selon l'acuité de la modélisation de la physique des baryons (notamment avec un résolution de plus en plus grande en ce qui concerne les échelles d'espace et de temps dans les simulations) avec la formation des étoiles et pas seulement en tenant compte de la physique de la matière noire, une grande diversité de phénomènes et surtout de formes de galaxies apparaît. © Collège de France

    Or il y a 10 ans, alors en poste au CEA, le cosmologiste français Romain Teyssier avait publié dans Nature, avec ses collègues français et israéliens, des résultats importants concernant la formation des galaxies. Ils avaient été obtenus en utilisant l'un des plus puissants superordinateurssuperordinateurs du monde, appelé MareNostrum, en fonction au Centre de Calcul de Barcelone. Il s'agissait d'effectuer des simulations numériques, fruit du travail conjoint d'informaticiens et d'astrophysiciensastrophysiciens, en tenant compte, avec la matière noire, de la présence de la matière normale. Au bout de quatre semaines de calcul intensif, réalisé en parallèle sur plus de 2.000 processeurs, les chercheurs ont alors vu les manifestations d'une théorie qui ne faisait pas naître et croître les galaxies selon les scénarios précédemment envisagés et étudiés.

    Un nouveau paradigme pour la croissance des galaxies

    Selon cette théorie, dite des Stream-Fed Galaxies (SFG), la matière noire est bien toujours présente. Mais elle canalise dans ses grumeaux et ses filaments des courants de gaz baryoniques froids. C'est à l'intersection des filaments que naîtraient et surtout croîtraient les galaxies d'après les simulations.

    Les collisions entre galaxies jouaient alors un rôle mineur et les flambées d'étoiles observées dans les jeunes galaxies pouvaient donc bien s'expliquer grâce à l'alimentation en matière baryonique des filaments. Des effets de turbulence seraient aussi présents, contribuant à expliquer la rotation des galaxies.

    Une décennie plus tard, nous commençons à observer ces filaments de matière baryonique entre galaxies et c'est pourquoi Futura a demandé à Romain Teyssier, actuellement professeur d’astrophysique numérique à l’université de Zurich et impliqué dans la mission Euclid, de nous expliquer un peu où en était la théorie SFG. Il a bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions et ses réponses sont à mettre en perspective avec la conférence qu'il a faite au Collège de France en 2016 (voir la vidéo ci-dessus).

    Futura-Sciences : 10 ans se sont écoulés depuis les travaux conjoints d'une équipe d'astrophysiciens français (Service d'AstrophysiqueAstrophysique de l'Irfu-CEA, du CNRS et de l'université Paris Diderot) et israéliens, de l'université de Jérusalem, avec les simulations qui ont été réalisées dans le cadre du projet Horizon que vous avez mené et qui illustrait une nouvelle théorie pour la formation des galaxies avec des courants de gaz froids. Où en est-on aujourd'hui, le paradigme de la formation et de l'évolution des galaxies a-t-il changé ?

    Romain Teyssier : Cette théorie est généralement admise désormais. Les fusions de galaxies ne jouent qu'un rôle mineur dans leur croissance et leur taux de formation stellaire. On estime d'ailleurs que depuis le début de leur histoire, il y a plus de 12 milliards d'années, les grandes galaxies que nous voyons aujourd'hui n'ont connu qu'environ une collision majeure suivie d'une fusion.

    Le mécanisme dominant lorsque l'on observe les galaxies avec un grand décalage spectral, donc tôt dans l'histoire du cosmos observable, est celui de l'accrétionaccrétion des filaments de gaz froids avec de la matière baryonique qui est canalisée par des filaments de matière noire. À des décalages spectraux faibles, donc plus récemment dans cette histoire, l'accrétion avec les grandes galaxies se fait principalement en avalant des galaxies naines.

    Futura-Sciences : Quels ont été les progrès du point de vue des observations et des simulations à ce sujet pendant cette décennie ?

    Romain Teyssier : Nous étions partis d'une situation où les modèles numériquesmodèles numériques prédisaient l'existence des courants de gaz froids que l'on n'observait pas encore avec des simulations qui ne prenaient pas en compte les ventsvents galactiques que l'on observait. Aujourd'hui nous commençons à voir ces filaments de matière baryonique froide et nos modélisations sont descendues à des échelles de distance où l'on pouvait prendre en compte la formation des étoiles et les effets de leurs explosions sous forme de supernovae.

    Les simulations tiennent compte des vents que nous observons mais elles prédisent maintenant que l'accrétion des filaments sur les galaxies est perturbée par eux, ce qui rend les courants de gaz froids particulièrement turbulents. Il apparaît finalement que la prise en compte des vents galactiques a des conséquences très importantes sur l'évolution et la structure des galaxies.

    On pense aussi maintenant que la rotation des galaxies résulte des rencontres entre plusieurs filaments de gaz froids.

    Futura-Sciences : Que peut-on dire du rôle des vents galactiques et du rayonnement produits par l'accrétion de matière sur les trous noirs supermassifs ?

    Romain Teyssier : C'est un domaine d'étude qui reste controversé et il reste du travail à faire pour comprendre ce qui se passe vraiment avec les processus d'accrétion pour ces trous noirs. Il semblerait que lorsqu'une galaxie devient un peu plus massive que la Voie lactéeVoie lactée, elle peut donner lieu à un quasar, ce qui va éjecter les gaz qu'elle contient et stopper la formation des étoiles en donnant une galaxie elliptiquegalaxie elliptique.

    Futura-Sciences : Les observations à haute résolutionrésolution de l'Event Horizon Telescope permettront-elles de progresser à cet égard en ce qui concerne ces processus d'accrétion ?

    Romain Teyssier : Ces observations restent difficiles car elles ne sont pas possibles avec tous les trous noirs supermassifs. Dans le cas de M87* par exemple, sa grande taille se combinait idéalement avec une distance pas trop importante pour permettre d'imager son disque d'accrétiondisque d'accrétion dont la taille est tout de même très petite en comparaison de celle de la galaxie qui héberge ce trou noir.