Samedi 1er juillet 2023, l'ESA s'apprête à lancer Euclid, un télescope spatial révolutionnaire. Cette mission inédite vise à percer les mystères de l'univers sombre, composé de matière noire et d'énergie sombre. En repoussant les « limites de la précision », Euclid observera près de deux milliards de galaxies pour en mesurer l'évolution du taux d'expansion de l'univers. Entretien avec Stéphanie Escoffier, directrice de recherche au CNRS et spécialiste française de l’univers sombre.
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EuclidEuclid est un satellite unique pour une mission inédite qui doit nous permettre de « mieux comprendre l'univers sombre, c'est-à-dire la matière noirematière noire et l'énergie sombre dont on sait très peu de choses sur leur nature réelle ». À elle seule, cette énergie sombre représente 69 % de l'Univers, tandis que la matière noire 26 %. Les 5 % restants sont la matière ordinaire, c'est-à-dire les étoiles, les galaxies, les nuagesnuages de gaz et nous ! Dit autrement, on ne comprend donc que 5 % de l'Univers !
Si nous sommes convaincus de l'existence de cet Univers sombre c'est que tout simplement « on voit les effets qu'engendrent la matière noire et l'énergie sombre et que nous pouvons les mesurer ». Cela peut orienter « nos recherches et nous aider à découvrir ce qui se cache derrière cet univers sombre ». Concrètement, et pour résumer, « l'énergie sombre est responsable de l'accélération de l'Univers tandis que la matière noire influe sur la gravitégravité des objets ».
Avec son télescopetélescope de 1,2 mètre de diamètre et ses deux instruments optiques, un imageur observant en lumièrelumière visible et un spectro-photomètre dans le proche infrarougeinfrarouge, Euclid « observera l'Univers de maintenant jusqu'à il y a 10 milliards d'années, lorsque les premières étoiles et galaxies se formaient ». À proprement parler, Euclid ne va pas « observer » directement quelque chose qui nous est encore inconnu mais pour comprendre ce monde inconnu, « Euclid va observer des objets visibles dans des proportions et à des échelles inédites ».
Le saviez-vous ?
Les instruments d'Euclid, un imageur observant en lumière visible et un spectro-photomètre dans le proche infrarouge, ont été développés par un consortium international dirigé par la France. Le Cnes participe à ce consortium en assurant la responsabilité système du segment sol.
Euclid réalisera ses observations depuis son orbiteorbite autour du point de Lagrange L2point de Lagrange L2 du système SoleilSoleil-Terre, à 1,5 million de kilomètres de la Terre à l'opposé du Soleil. Son lancement est prévu dans le courant du mois de juillet à bord d'un lanceurlanceur Falcon 9 de SpaceX. Ce sera la première fois, et certainement pas la dernière, que l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne confie une de ses missions (chiffrée à 1,4 milliard de dollars) à SpaceXSpaceX. Le satellite aura besoin d'un mois pour rejoindre sa position définitive. Le début des observations scientifiques devrait démarrer en octobre 2023 au terme d'une période de deux mois de vérification des performances des instruments. La fin de la mission est prévue à l'automneautomne 2029 après six ans d'observation avec la possibilité de réaliser une année supplémentaire.
Reconstruire la distribution de matière noire
Pour percer à jour la nature de cette mystérieuse énergie, Euclid va mesurer la déformation de près de deux milliards de galaxies engendrée par la présence de matière noire. En effet, la lumière émise par ces galaxies d'arrière-plan est déformée par l'interaction gravitationnelle de la matière noire située entre elles et la Terre. « Cet effet est connu sous le nom de lentille gravitationnellelentille gravitationnelle » où la matière noire agit comme une lentille. La mesure des déformations, très faibles, présentes sur les images obtenues par Euclid permettra donc de savoir comment la mystérieuse matière noire se distribue dans l'Univers, et comment elle évolue dans le temps. Et on sait que cette matière noire est très étendue : « on parle de halo de matière noire, contrairement aux étoiles qui se rassemblent autour du noyau galactique (bulbe) ».
Une force à l'origine de l'expansion de l’Univers
Les observations d'Euclid vont également servir à mesurer « comment le taux d'expansion a évolué ces derniers milliards d'années ». Des informations précieuses pour tenter de comprendre pourquoi l'Univers poursuit son expansion à un rythme effréné depuis le Big BangBig Bang. C'est d'ailleurs l'un des « plus grands mystères de la cosmologiecosmologie, de comprendre pourquoi l'expansion de l'Univers s'accélère ». Il faut savoir que juste après le Big Bang, l'Univers a déjà connu une « brève période d'expansion extrêmement rapide » (la période d'inflation), suivie d'une « deuxième phase d'accélération nécessitant l'existence d'une force répulsive que les astrophysiciensastrophysiciens nomment énergie sombre ».
La théorie de la relativité pourrait être remise en cause !
On l'a vu, Euclid devra répondre à « plusieurs questions fondamentales ou du moins apporter des éléments de réponses sur la nature de cette matière noire et l'origine de l'accélération de l'Univers ». Confiant, avec les données d'Euclid, les scientifiques seront à même de « déduire la manière dont la distribution des grandes structures de l'Univers s'est construite tout au long de l'histoire cosmique ». Cela les aidera à déterminer la vitessevitesse à laquelle de « telles structures grandissent, ce qui donnera de fortes contraintes en matière de nature et de quantité de matière noire et d'énergie noireénergie noire dans l'Univers ».
Cela dit, Stéphanie Escoffier envisage plusieurs scénarios dont certains prévoient que cette « mystérieuse énergie sombre pourrait remettre en cause la théorie de la relativité ». Pour cela, il faudrait un « désaccord entre les observations d'Euclid et ce que prédit la relativité généralerelativité générale ». Mais on n'en est pas encore là. D'autres scénarios pourraient être bien plus contraignants sur nos connaissances. En effet, en « poussant tellement les limites de la précision, cela pourrait nous mettre sur une autre voie, nous dire dans quelle direction chercher » ! Mais le scénario le pire est celui dans lequel on « mesure encore plus précisément la constante cosmologiqueconstante cosmologique et la matière noire, sans être plus renseigné sur ce qu'est cet univers sombre ».