L'objet appelé ʻOumuamua, qui a traversé le Système solaire en frôlant la Terre en 2017, est-il non pas une comète ou un astéroïde interstellaire atypique et naturel mais au contraire une sonde interstellaire extraterrestre artificielle ? La grande majorité de la communauté scientifique s'oppose à cette thèse défendue dans un livre par l'astrophysicien Avi Loeb et est très critique envers l'attitude du chercheur de Harvard. Après les explications de Sean Raymond à ce sujet, Futura reprend celles de son collègue du Laboratoire d'Astrophysique de Bordeaux, Franck Selsis.
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C'est le buzz du moment, peut-être en partie parce qu'avec la crise mondiale due à la pandémiepandémie de la Covid-19Covid-19, les gens ont besoin de s'évader de leur quotidien. Le célèbre astrophysicienastrophysicien théoricien américano-israélien Abraham Loeb (Avi Loeb), professeur d'astronomie à la prestigieuse Université Harvard et membre de l'Académie américaine des arts et des sciences, pense en effet que nous avons très probablement été les témoins du passage dans notre Système solaire d'une sonde interstellaire envoyée par une civilisation alien technologiquement avancée.
L'astrophysicien soutient, dans un livre traduit par Charles Frankel et qui vient de paraître aux éditions du Seuil sous le titre Le premier signe d’une vie intelligente extraterrestre, comme Futura l'expliquait dans un précédent article, que la sonde en question aurait été le fameux objet interstellaireobjet interstellaire baptisé ʻOumuamuaʻOumuamua. Rappelons qu'il a été observé en 2017 et que déjà, à cette époque, ses caractéristiques étonnantes avaient laissé penser qu'il ne s'agissait pas d'un objet naturel.
Pourtant, l'hypothèse qu'il ne soit en rien un artefact d'une civilisation E.TT. a largement été abandonnée depuis, sans que l'on puisse bien sûr le démontrer. Il y a de nombreux arguments pour cela comme l'astronomeastronome Sean Raymond du Laboratoire d'Astrophysique de Bordeaux, expert dans le domaine de l'origine et de la formation des corps célestes autour des étoiles, l'a expliqué dans un article très détaillé. Futura avait eu l'autorisation de le traduire avec l'aide de son collègue à Bordeaux bien connu de nos lecteurs pour ses travaux sur les atmosphèresatmosphères et l'habitabilité des exoplanètes, l'astrophysicien Franck Selsis.
L'astrophysicien Franck Selsis étudie les atmosphères planétaires et l'exobiologie. Il est chercheur au Laboratoire d'Astrophysique de Bordeaux. © Université de Nîmes, Unîmes
Avi Loeb, ʻOumuamua et l'exobiologie
Comme bien d'autres de ses collègues (on peut s’en convaincre en lisant un communiqué conjoint de la Société française d’astronomie et d’astrophysique et de la société française d’exobiologie), Franck Selsis est très critique envers Avi Loeb et il nous a permis de reprendre un article qu'il a écrit à ce sujet et qui est un excellent complément à celui de son collègue Sean Raymond.
Le voici :
« Que l'on ne se méprenne pas sur les critiques qui sont faites à Abraham Loeb, cet astrophysicien américain, auteur d'un livre défendant la thèse que ʻOumuamua serait une voile stellaire extraterrestre. On ne lui reproche pas d'avoir envisagé l'hypothèse d'un objet artificiel.
Qui ne l'a pas fait !?
Il a d'ailleurs pu la publier en 2018 dans un des principaux journaux d'astrophysique. Même si son article déviait déjà assez franchement de la méthode scientifique, notamment par des biais de confirmation, le papier a été publié pour l'originalité et l'importance potentielle de l'hypothèse.
À l'époque, j'avais râlé sur cette publication, non pas à cause de son sujet mais parce qu'elle était bâclée. Mon mécontentement venait du fait que Loeb avait publié 36 articles en 2018, 27 en 2017, la plupart sous forme de lettres dans The astrophysical journal (ApJ). Ça donne une idée du peu d'investissement dans chacune d'elles. Beaucoup de ses publications traitent de vie extraterrestre, ce qui en soi n'est bien sûr pas un problème mais les publications, si elles sont souvent basées sur une idée très originale et intéressante, y sont souvent traitées à la va-vite, comme si elles étaient confiées à un étudiant lors d'un stage et publiées sans vraiment de travail additionnel. Voici un échantillon de titres d'articles qu'il a publiés dans des journaux scientifiques depuis 2017 en lien avec la vie extraterrestre :
- Constraints on the Abundance of 0.01 c Stellar Engines in the Milky Way ;
- Potential for Liquid Water Biochemistry Deep under the Surfaces of the Moon, Mars, and beyond ;
- Photosynthesis on exoplanets and exomoons from reflected light ;
- Detecting Interstellar Objects through Stellar Occultations ;
- On the Habitable Lifetime of Terrestrial Worlds with High Radionuclide Abundances ;
- Constraints on Aquatic Photosynthesis for Terrestrial Planets around Other Stars ;
- Photosynthesis on habitable planets around low-mass stars.
On entend (de la bouche de Loeb notamment) que la pensée unique et dogmatique fait taire Loeb et son hypothèse que la communauté serait incapable de seulement considérer. Et c'est pour cela qu'il écrit un livre.
Mais les revues scientifiques ont bien au contraire fait preuve d'une très grande tolérance en publiant tout ce que Loeb leur soumettait.
Cette surproduction d'articles a fait réagir beaucoup de monde dans la communauté, non pas en raison des sujets traités - beaucoup d'articles excellents sont publiés sur la question de la vie extraterrestre, de Seti - non, ce qui pose problème ici c'est le peu de rigueur dans le traitement. Les idées sont souvent intéressantes mais leur développement en un travail scientifique est rarement abouti et donne lieu à des conclusions hâtives. En 2018, j'avais suggéré qu'un journal comme ApJ ouvre une section "spéculations" pour y émettre des idées originales sans pour autant en exiger la même rigueur qu'une publication scientifique. L'idée serait d'initier une réflexion sur une idée. Une sorte de section "hard science" pour reprendre ce terme désignant un courant de la SF qui se veut la plus réaliste. Ce serait passionnant.
Ce qui est reproché à Avi Loeb n'est pas donc d'avoir émis l'hypothèse que ʻOumuamua pourrait être un objet artificiel extraterrestre, c'est de défendre cette théorie en 2021 sans prendre en compte les travaux publiés depuis 2018 et de le faire auprès du grand public comme s'il n'avait pas la possibilité de l'exprimer par les voies habituelles de la communication scientifique.
On peut décrire le comportement de ʻOumuamua sans avoir recours à cette hypothèse et sans même avoir besoin de supposer des circonstances exceptionnelles pour un petit corps qui serait éjecté de son système et traverserait le Système solaire.
Mojo, pour Modeling the origin of jovian planets, c'est-à-dire modélisation de l'origine des planètes joviennes, est un projet de recherche qui a donné lieu à une série de vidéos présentant la théorie de l'origine du Système solaire et en particulier des géantes gazeuses. On les doit à deux spécialistes réputés, Alessandro Morbidelli et Sean Raymond. Dans cette vidéo, Sean Raymond rappelle certaines des caractéristiques étonnantes de ʻOumuamua et présente une hypothèse concernant son origine il y a quelques années. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Laurence Honnorat
Il n'y a pas de dogme, de pensée unique, d'étroitesse d'esprit
Certes, on ne peut démontrer que ʻOumuamua n'est pas un vaisseau E.T. mais si je vous indique, mettons, un objet de la ceinture de Kuiper, ou une petite lunelune d'UranusUranus et que je vous dis "cet objet est artificiel", vous aurez du mal à me contredire mais vous pourrez me rétorquer que l'on n'a pas besoin de cette hypothèse pour rendre compte des quelques caractéristiques connues de cet objet. On est aujourd'hui dans cette même situation avec ʻOumuamua.
On peut également reprocher à Loeb un très fort biais de confirmation qui consiste à prendre dans les données et études existantes ce qui sert sa thèse, et en passant sous silence ce qui la contredit.
On peut lui reprocher aussi, en ces temps de théories complotistes galopantes, de présenter la communauté des astrophysiciens comme dogmatique et hermétique à son hypothèse, et dans laquelle on étoufferait ses travaux. Loeb est un scientifique TRÈS influent. Il a eu l'oreille de la présidence des États-Unis, il écrit des éditoriaux dans des journaux, il a clairement une facilité qu'on lui envierait (presque) de voir ses publications acceptées sans difficultés ni délais malgré des défauts évidents. Il a une voix qui porteporte. Il a des financements qu'on lui envie également et ses publications nombreuses en marge de la production habituelle ne l'ont pas fait mettre au pilori. Loin de là.
Mais surtout, il n'a pas l'excuse de ne pas connaître cette communauté.
Les astrophysiciens sont des geeksgeeks, friands de science-fiction. Ils ne peuvent pour la plupart imaginer l'UniversUnivers peuplé des seuls Terriens et utilisent leur expertise, leur formation, leur moyen pour explorer l'Univers en quête de signes de vie. Beaucoup parmi elles et eux rêvent que l'on détecte un objet ou un signal artificiel. Espèrent vivre cela un jour. Et si une telle observation avait lieu, rien, aucun gouvernement, aucune agence, aucune presse ne pourrait empêcher cette découverte de diffuser de toute part. Pas d'une seule voix comme celle de Loeb, mais de centaines, de milliers de voix enthousiastes, émerveillées.
Il n'y a pas de dogme, de pensée unique, d'étroitesse d'esprit dans cette communauté.
Bon sang, vous entendriez nos conversations vous nous demanderiez au contraire d'être un peu plus raisonnables, et un peu moins rêveurs.
C'est le gros reproche que je fais à Loeb, il donne à une communauté bouillonnante d'imagination une image complètement faussée. Ça, oui, je vais avoir du mal à lui pardonner. »