Les cosmogonistes en étaient sûrs : les molécules d'oxygène, trop réactives chimiquement et sensibles aux rayonnements, ne pouvaient pas durer longtemps ni se trouver incorporées massivement dans les comètes au début de la formation du Système solaire. L'instrument Rosina de la sonde Rosetta semble pourtant leur donner tort. En effet, de telles molécules s'échappent constamment de la comète Tchouri.

Comme le rappelait il y a tout juste un an le court métrage Ambition - produit par l'Agence spatiale européenne (Esa) en collaboration avec Platige Image -, l'un des principaux buts de la mission Rosetta est de mieux comprendre l'origine de l’eau sur Terre et donc de la vie. Les cosmochimistes étudiant la cosmogonie du Système solaire savaient que la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko contenait également des informations précieuses sur la naissance du Soleil et des planètes. Mais ils ne s'attendaient pas à la découverte de l'important dégazage d'oxygène moléculaire par la comète Tchouri, révélée par un article paru dans Nature.

Cet oxygène moléculaire (O2) est le même que celui que nous respirons sur Terre ; ce serait pourtant une erreur d'en conclure que ce dernier vient des comètes. Nous savons qu'il a été engendré par des organismes photosynthétiques sur notre planète il y a des milliards d'années, notamment ceux à l'origine des stromatolites. Quant à celui découvert dans l'atmosphère de 67P/Churyumov-Gerasimenko, son origine est pour le moment énigmatique.

Les astrophysiciens sont partis à la chasse à l'oxygène moléculaire dans l'univers depuis longtemps. Bien que la nucléosynthèse stellaire ait fait des noyaux d'oxygène l'élément le plus abondant du cosmos après l'hydrogène et l'hélium produits lors du Big Bang, on n'en détecte peu sous forme d'O2. La raison en est que cette molécule est très réactive et qu'elle se brise facilement sous l'effet du rayonnement ultraviolet intense des jeunes étoiles par exemple. L'oxygène va donc avoir tendance à se combiner avec d'autres atomes, en particulier celui d'hydrogène avec lequel il va former des molécules d'eau.

Les mesures obtenues avec Rosina montrent un rapport O<sub>2</sub> / H<sub>2</sub>O ne variant pas de façon significative au cours de la période d'étude et qui reste en moyenne de 4 %. © Esa

Les mesures obtenues avec Rosina montrent un rapport O2 / H2O ne variant pas de façon significative au cours de la période d'étude et qui reste en moyenne de 4 %. © Esa

Le dioxygène est rare dans le milieu interstellaire ; il l'est aussi dans le Système solaire (ailleurs que sur Terre). On le détecte toutefois sur les lunes glacées de Jupiter et Saturne mais, jusqu'à présent, rien n'indiquait sa présence dans les comètes. Les chercheurs ont donc été très surpris lorsque l'instrument Rosina (pour Rosetta Orbiter Spectrometer for Ion and Neutral Analysis, en anglais) a révélé, à l'aide de mesures effectuées entre septembre 2014 et mars 2015, que le nuage formant la queue de la comète contenait des molécules d'oxygène et qu'elles étaient abondantes - dans un rapport de 4 % avec les molécules d'eau précisément, et même parfois 10 %.

Le dioxygène, une contrainte pour les modèles de cosmogonie

Les chercheurs ont été doublement surpris par cette découverte. En effet, les modèles cosmogoniques de la formation du Système solaire ne prédisent pas que l'on puisse observer une telle quantité d'O2 dans une comète. À tel point que certains chercheurs se demandent s'il ne faudrait pas réviser ces modèles.

Avant d'en arriver à cette conclusion, il a d'abord fallu examiner la possibilité que cette molécule se soit formée après la naissance de la comète, il y a plus de 4,5 milliards d'années. En effet, le rayonnement ultraviolet ainsi que les rayons cosmiques qui abondent dans l'espace interplanétaire sont en mesure de briser les molécules d'eau des petits corps glacés (on parle respectivement de photolyse et de radiolyse), ce qui conduit finalement à la formation d'atomes puis de molécules d'oxygène et même d'ozone. Ce phénomène est observé avec les lunes de Saturne et même avec ses anneaux.

Toutefois, Rosina n'a pas mis en évidence d'ozone autour de Tchouri. Et il y a plus... La quantité d'O2 libérée l'est dans une proportion quasi constante avec celle de vapeur d'eau, ce qui suggère bien une origine commune. Mais, si les molécules d'O2 provenaient de l'irradiation des molécules d'eau au cours des milliards d'années passées par la comète loin du Soleil ou du fait du rayonnement ultraviolet intense de notre étoile lorsqu'elle s'en approche, seule une mince couche sous la surface de la comète devrait contenir du dioxygène. Cette couche disparaissant rapidement à l'approche du Soleil, le rapport O2 / H2O devrait aller en décroissant rapidement. Or ce n'est pas du tout ce qui est observé.

La conclusion semble imparable. L'oxygène moléculaire doit être présent dans l'ensemble de la comète et il doit être d'origine très primordiale. Il a forcément été incorporé dans le processus même de croissance de 67P/Churyumov-Gerasimenko. Il faut aussi en conclure que ce processus s'est fait à des températures plus basses et de façon moins violente que prévu. Il s'agit de contraintes sur l'histoire très primitive du Système solaire dont la signification n'est pas encore bien comprise.