C'est avec un laser tout à fait ordinaire, et en utilisant des techniques connues qu'une équipe internationale composée de chercheurs japonais, australiens et français vient de battre dernièrement deux records : 500 000 Kelvin atteints au coeur d'un cristal et une densité d'énergie de 107 J/cm3 (c'est-à-dire des conditions comparables à celles que l'on trouve au sein de certaines étoiles). Le tout avec une vitesse de montée en température de 1018 degrés par seconde.
Une photo exclusive pour Futura Sciences de l'analyse post-mortem de la cavité dans le Saphir (Al2O3).

Une photo exclusive pour Futura Sciences de l'analyse post-mortem de la cavité dans le Saphir (Al2O3).

A la clé : des applications potentielles dans le stockage de l'information, et peut-être même en chirurgie. L'augmentation brutale de la température provoque en effet des micro explosions donnant naissance à des cavités dont on peut parfaitement contrôler la taille. Faits exceptionnels : il ne se produit pas de fissures dans le cristal, et la cavité est entourée d'une zone amorphe de faible épaisseur.

Entretien exclusif avec Ludovic Hallo (Chercheur au CEA, équipe CELIA) (1). Propos recueillis par Tech & Co pour Futura Sciences.

Certes, la température, qui a été produite par le laser dans un cristal de saphir à une vitesse inédite d'un milliard de milliards de degrés par secondes (1018 ), n'a pu être maintenue que durant quelques centaines de femtosecondes (1 fs=10-15 s). Mais le record n'en est pas moins battu ! Cette première mondiale est décrite par la revue Physical Review Letter (2) .

La puissance dégagée par le laser, à l'origine de micro explosions au sein du cristal, a permis de créer de minuscules cavités de quelques dizaines de nanomètres de diamètre (1 nm =10-9 m) dans des conditions de pression exceptionnelles : 10 terapascals (1 tPa=1013 Pa) soit tout de même vingt fois la pression dans le noyau de la Terre. Et ce à l'aide de lasers commerciaux de petites dimensions.

Cette pluie de performances est une première. Des expériences de ce type avaient bien déjà été menées pour aboutir même à des pressions supérieures, mais elles avaient nécessité des moyens beaucoup plus importants.

Tech & Co : Qui a travaillé sur ce projet, et quel a été le rôle des scientifiques français ?

Ludovic Hallo : « Il s'agit d'une importante collaboration scientifique entre des équipes de chercheurs japonais (Université de Hokkaido), australiens (Université Nationale Australienne) et français (Université de Bordeaux 1). Le dispositif expérimental a été mis en place au Japon, l'interprétation physique et numérique a donné lieu à des échanges entre les trois équipes. La simulation numérique a été effectuée grâce à un code de modélisation de la dynamique des plasmas chauds (code CHIVAS développé au CEA) par l'équipe du CELIA, en France. »

Tech & Co : Décrivez-nous la « manip » ; en quoi le dispositif employé est-il original et a-t-il permis cette première mondiale ?

Ludovic Hallo : « Un laser femtoseconde standard (1fs=10-15 s) a été utilisé. Principales caractéristiques : une énergie de 100 nJ, une durée d'impulsion de 150 fs et une longueur d'onde de 800 nm. Pour obtenir le dépôt d'énergie au sein du « massif » de cristal, une lentille à immersion d'huile de grande ouverture est nécessaire (NA=1,35).

Schéma de l'installation, avec en particulier la zone expérimentale<br />Crédits : S. Juodkazis (Université de Hokkaido)

Schéma de l'installation, avec en particulier la zone expérimentale
Crédits : S. Juodkazis (Université de Hokkaido)

Alors que le cristal est transparent à la longueur d'onde de 800 nm, pour des puissances supérieures à 0,1 PW (1PW=1015 W) une petite zone dans le volume focal est rapidement ionisée (les électrons sont excitées et chauffés) puis devient opaque et absorbante. L'énergie laser est alors transformée en énergie interne, ce qui conduit entre autres à la formation d'une cavité par effet de détente dans la zone concernée du « massif ». Cette détente doit surmonter les forces de cohésion du milieu. Au bout d'un temps de l'ordre de la microseconde, un équilibre est atteint, ce qui donne le rayon final de la cavité.

Une vue de la cavité représentée a partir des données numériques.<br />On a superposé à droite l'éclairement du laser.<br />Crédit : CELIA

Une vue de la cavité représentée a partir des données numériques.
On a superposé à droite l'éclairement du laser.
Crédit : CELIA

Ce qui est original ici, outre le laser standard, c'est que l'expérience met en jeu un spectre assez large de compétences, de l'interaction laser-plasma à l'hydrodynamique, pour un objectif assez pointu : la démonstration qu'il est possible de réaliser des microcavités calibrées, internes au cristal, sans détériorer ce cristal et avec des moyens standards de laboratoire. »

Tech & Co : Quels sont les principaux résultats ?

Ludovic Hallo : « Nous avons réalisé cette expérience dans du saphir (Al2O3), ainsi que dans de la silice. Nous avons d'abord montré qu'il est possible de former des vides, ou cavités, dans des volumes. Nous sommes en mesure de contrôler le dispositif expérimental pour obtenir des cavités de volumes donnés, à des profondeurs données, et cela de façon répétitive ce qui était un deuxième enjeu. Enfin, la formation des cavités n'est pas accompagnée du développement de fissures en raison de la grande ouverture utilisée pour le dépôt de l'onde électromagnétique, ce qui est un autre résultat important. »

Tech & Co : Quelles applications peut-on envisager ?

Ludovic Hallo : Les applications visées sont le stockage de l'énergie à haute densité d'information, ainsi que la fabrication de guides d'onde pour des applications en optique. Par exemple, si l'on prend un cylindre de 0,2 microns de diamètre et de 2,5 microns de hauteur, on obtient un volume de « mémoire » de l'information de 10-13 cm3, ce qui représente une capacité de stockage de 10 terabits/cm3, qui sont à comparer aux 4,7 gigabits d'un DVD actuel (12 cm). Soit mille fois plus ! La lecture pourra se faire par exemple en mesurant l'émission excitée par un laser de longueur d'onde donnée. Le gros avantage consiste en un stockage interne de l'information, qui ne vieillira pas avec la dégradation de l'état de surface, comme c'est le cas pour un CD ou DVD dont la durée de vie est d'une dizaine d'année. Nous avons peut-être là le futur media de stockage de l'information. Enfin, on peut aussi penser à des applications de type chirurgical d'ablation de précision, de stérilisation locale... »

(1) Ludovic Hallo est chercheur au CEA, mis à disposition au laboratoire CELIA (Centre d'Etudes des Lasers Intenses et Applications), UMR-CNRS-CEA, Université Bordeaux1. Il fait partie du Groupe Plasmas Chauds animé par le Pr Vladimir Tikhonchuk et le Pr Guy Schurtz.

(2) "Laser Induced Microexplosion Confined in the Bulk of a Sapphir Crystal: Evidence of Multimegabar Pressures." S. Juodkazis, K. Nishimura, S. Tanaka, H. Misawa, E.G. Gamaly, B. Luther-Davies, L. Hallo, P. Nicolai, and V.T. Tikhonchuk. Phys. Rev. Lett. 96, 166101.