Il y a plusieurs années, un groupe d’astrophysiciens, principalement de l'Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie (IRAP) à Toulouse, pensait avoir identifié pour la première fois, avec le télescope infrarouge Spitzer, du buckminsterfullerène ionisé. Aujourd’hui, une autre équipe confirme solidement son existence avec Hubble.


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    Une équipe internationale d'astrophysiciensastrophysiciens menée par Martin Cordiner de la Catholic University of America (USA) semble avoir mis un point final à une question que les astrochimistes se posaient depuis des décennies en publiant un article dans The Astrophysical Journal Letters et que l'on peut lire en accès libre sur arXiv. Pour comprendre de quoi il en retourne, voici quelques rappels.

    Au début des années 1920, l'astrophysicienne Mary Lea Shane (née Heger, 1897-1983) avait mis en évidence la présence de quelque chose d'assez particulier dans le spectre de certaines étoiles ne correspondant à aucun atome, ou molécule, connu à l'époque. On découvrit par la suite que ces observations n'étaient pas associées à des étoiles mais bien au milieu interstellaire s'interposant entre elles et les télescopes sur Terre. Heger avait ainsi découvert l'existence de ce que l'on appelle aujourd'hui les bandes diffuses interstellaires (DIB). Il s'agit de bandes d'absorptionabsorption dans le domaine visible ainsi que dans le proche infrarougeinfrarouge.

    L'intérêt de l'étude du milieu interstellaire (MI) n'a cessé de croître au cours des décennies car on a réalisé qu'il contenait des nuagesnuages moléculaires denses et froids mais avec une astrochimie riche et complexe où naissaient les futures étoiles entourées d'un cortège planétaire. C'est donc le lieu d'une étape importante menant du Big Bang au vivant pour un exobiologiste ainsi qu'un sujet de recherche pour les chimistes et les astrochimistes.

    C'est parce qu'ils cherchaient à mieux comprendre le MI qu'en 1985, Harry Kroto, Bob Curl et Rick Smalley ont réussi à synthétiser en laboratoire une grosse molécule de carbonecarbone avec la géométrie de l'icosaèdre régulier. Cette molécule allait devenir célèbre : il s'agit du buckminsterfullerène, avec sa formule C60. Kroto avait baptisé cette nouvelle molécule en hommage à l'architectearchitecte américain Richard Buckminster Fuller, le créateur des dômes géodésiques. L'existence des molécules de buckminsterfullerène avait en fait été prédite en 1970 par un chimiste japonais, Eiji Osawa, mais Kroto l'ignorait quand il s'est lancé à la même époque dans un programme de recherche de chaînes carbonées dans l'espace interstellaire, pensant que ces molécules pouvaient se former dans les atmosphèresatmosphères des étoiles carbonées.

    Harold Walter Kroto est un chimiste britannique colauréat du prix Nobel de chimie de 1996, avec Robert Curl et Richard Smalley, pour leur découverte des fullerènes. Il est célèbre pour l'un d'entre eux en particulier, le buckminsterfullerène, parfois également appelé footballène, une molécule sphérique en C<sub>60</sub> de la famille des fullerènes C<sub>2n</sub>. Ces structures fermées sont composées de (2n-20)/2 hexagones, ainsi que de 12 pentagones. © Harold Kroto, www.kroto.info
    Harold Walter Kroto est un chimiste britannique colauréat du prix Nobel de chimie de 1996, avec Robert Curl et Richard Smalley, pour leur découverte des fullerènes. Il est célèbre pour l'un d'entre eux en particulier, le buckminsterfullerène, parfois également appelé footballène, une molécule sphérique en C60 de la famille des fullerènes C2n. Ces structures fermées sont composées de (2n-20)/2 hexagones, ainsi que de 12 pentagones. © Harold Kroto, www.kroto.info

    Ayant entendu parler plus tard des travaux de spectrographie laserlaser de Richard Smalley et de Robert Curl à l'université Rice, aux États-Unis, il s'associa à eux pour simuler en laboratoire ces atmosphères et tenter d'y détecter la présence de molécules C60. Leur succès fut annoncé par un article de Nature en 1985 et il vaudra à ces chercheurs le prix Nobel de ChimieChimie 1996. D'autres molécules de carbone en forme de ballonballon de football, possédant un nombre d'atomes de carbone différent, plus grand ou plus petit que 60, furent découvertes par la suite. Elles sont collectivement désignées par le terme « fullerènefullerène ».

    Cependant, deux questions restaient en suspens : le buckminsterfullerène et ses variantes, notamment ionisées, existaient-ils bien dans le MI ? Pouvait-on expliquer les bandes diffuses interstellaires (DIB) qui leur étaient associées ?

    L'astrochimie du buckminsterfullerène, une piste pour l'exobiologie

    Les études à ce sujet se sont multipliées au cours des années comme le montre le précédent article publié par Futura ci-dessous et des réponses positives ont été données mais sans mettre fin au débat en ce qui concerne la forme ionisée C60+.

    Martin Cordiner et ses collègues pensent maintenant avoir tranché la question en observant avec le télescope HubbleHubble des étoiles bleues supergéantessupergéantes dont le rayonnement ultravioletultraviolet intense était capable d'ioniser les molécules C60.

    Le chercheur commente la découverte des ionsions C60+ en ces termes dans un communiqué de la NasaNasa : « Historiquement, le MI a été considéré comme un environnement trop dur et trop ténu pour que des quantités considérables de grosses molécules puissent se former. Avant la détection du C60, la plus grande molécule connue dans l'espace n'avait que 12 atomes. Notre confirmation de l'existence de C60+ montre à quel point l'astrochimie peut être complexe, même dans les environnements à la densité la plus faible et les plus fortement irradiés par les ultraviolets ».

    L'astrochimiste ajoute : « À certains égards, la vie peut être considérée comme le summum de la complexité chimique. La présence de C60 démontre sans équivoque qu'un niveau élevé de complexité chimique est intrinsèque aux environnements spatiaux et laisse présager avec une forte probabilité que d'autres molécules carbonées extrêmement complexes, apparaissent spontanément dans l'espace ».

    L'astrophysicien rappelle qu'« aujourd'hui, plus de 400 DIB sont connues, mais à part les quelques rares attribuées au buckminsterfullerène, aucune n'a été identifiée de manière concluante. Ensemble, l'apparition des DIB indique la présence dans l'espace d'une grande quantité de molécules riches en carbone, dont certaines pourraient éventuellement participer à la chimie qui donne la vie. Cependant, la composition et les caractéristiques de ce matériaumatériau resteront inconnues jusqu'à ce que les DIB restantes soient rattachées à des molécules connues ».


    Il y a bien des buckminsterfullerènes gazeux dans l'espace

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 29/01/2013

    Le buckminsterfullerène est une molécule de carbone en forme de ballon de football. On supposait sa présence dans le milieu interstellaire, à proximité d'étoiles chaudes. Une équipe d'astronomesastronomes de l'Institut de recherche en astrophysiqueastrophysique et planétologie (Irap) vient de confirmer cette hypothèse, en précisant que la molécule se trouvait sous forme gazeuse et ionisée, C60+.

    Le milieu interstellaire (MI) contient des gazgaz à 99 %, principalement de l'hydrogènehydrogène et de l'héliumhélium. Le reste se compose de poussière, sous forme de grains extrêmement petits, dont la taille typique est de l'ordre de 0,1 micronmicron. Ces grains sont essentiellement du graphitegraphite, des silicatessilicates et des carbonates. On estime que dans la Voie lactée, le MI contiendrait de 10 à 15 milliards de massesmasses solaires. Il est présent dans toutes les galaxies spirales mais il est quasiment inexistant dans les galaxies elliptiquesgalaxies elliptiques et lenticulaires.

    Les premières molécules du MI ont été découvertes en 1941, à proximité d'étoiles, grâce à leurs raies d'absorption. Néanmoins, c'est l'essor rapide de la radioastronomie après la seconde guerre mondiale qui a révélé toute la richesse de la chimie du milieu interstellaire, grâce à des observations dans les domaines décimétriques, centimétriques et finalement, à partir de 1970, millimétriques et submillimétriques. Il y a ainsi eu les découvertes du radical hydroxyleradical hydroxyle HO (en 1963), de l'ammoniacammoniac (en 1968), de l'eau et du formaldéhydeformaldéhyde H2CO (en 1969). 

    On voit sur cette image des bandes interstellaires diffuses (en blanc). Elles sont superposées à un spectre de couleur allant du proche ultraviolet (droite) au proche infrarouge (gauche), où se concentrent la plupart des bandes. © P. Jenniskens et F. X. Desert
    On voit sur cette image des bandes interstellaires diffuses (en blanc). Elles sont superposées à un spectre de couleur allant du proche ultraviolet (droite) au proche infrarouge (gauche), où se concentrent la plupart des bandes. © P. Jenniskens et F. X. Desert

    Toutefois, si les astrophysiciens ont dû attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour réaliser leurs premières découvertes à l'aide des radiotélescopes, ils se doutaient, dès 1922, de la présence de quelque chose d'assez particulier dans le milieu interstellaire. Ce « quelque chose » était responsable de ce qu'on a appelé les bandes diffuses interstellaires (DIB). Il s'agit de bandes d'absorption dans le domaine visible ainsi que dans le proche infrarouge, qui ne correspondaient à l'époque à aucun spectre d'ion ou de molécule connu.

    Un icosaèdre astrochimique

    Il a fallu attendre les années 1980 pour que l'on commence à comprendre le phénomène. Plusieurs chercheurs ont ainsi supposé, vers 1985, que les DIB devaient provenir d'hydrocarbures aromatiqueshydrocarbures aromatiques polycycliques (PAH) en phase gazeuse. Des exemples de ces molécules sur Terre sont le pyrène, le pentacène ou l'ovalène et elles porteraient de 15 à 20 % du carbone interstellaire. En 1985, et parce qu'ils cherchaient à mieux comprendre le MI, Harry Kroto, Bob Curl et Rick Smalley ont réussi à synthétiser en laboratoire une grosse molécule de carbone avec la géométrie de l'icosaèdre régulier. Cette molécule allait devenir célèbre : c'est le buckminsterfullerène, avec sa formule C60, un exemple de molécule de la famille des fullerènes.

    Molécule de C<sub>60</sub> superposée à l'image du télescope Hubble de la nébuleuse NGC 7023. L'ion C<sub>60</sub><sup>+</sup> vient d'être détecté dans cette nébuleuse par réflexion. © Nasa et Esa, L. Cadars et O. Berné
    Molécule de C60 superposée à l'image du télescope Hubble de la nébuleuse NGC 7023. L'ion C60+ vient d'être détecté dans cette nébuleuse par réflexion. © Nasa et Esa, L. Cadars et O. Berné

    Depuis, on suspectait fortement que des PAH et des fullerènes étaient à l'origine des DIB mais il restait encore à le démontrer, notamment en détectant une signature convaincante de la présence du C60, ou de sa forme ionisée (C60+), dans l'espace. Il y a quelques années, une telle signature a effectivement été découverte, mais sous forme de raies d'émissionémission dans l'infrarouge moyen, grâce aux observations de Spitzer.

    Toutefois, une partie des DIB, attribuées au C60 et au C60dans le MI, faisait débat. Certains refusaient cette interprétation en arguant que l'on ne disposait pas, au laboratoire, de données suffisamment précises pour être sûr de cette hypothèse. C'est notamment le cas pour le cationcation du buckminsterfullerène. Enfin, certains affirmaient que la molécule C60 ne se présente pas sous forme gazeuse mais qu'elle est piégée à la surface de poussières, dans le milieu interstellaire et dans le voisinage d'étoiles jeunes et chaudes ou en fin de vie.

    Une clé pour la chimie interstellaire

    Or, dans un article publié sur arxiv par une équipe d'astronomes de l'Irap et de l'observatoire de Cagliari (Italie), il semblerait bel et bien qu'une preuve de la présence de C60+ sous forme gazeuse dans le MI ait été apportée. Elle a été obtenue à partir de nouveaux calculs théoriques concernant le spectre de ce fullerène et d'observations faites par SpitzerSpitzer concernant la nébuleusenébuleuse par réflexion NGCNGC 7023. Rappelons que, depuis Hubble, on appelle nébuleuse par réflexion un nuage de gaz et de poussières qui réfléchit la lumièrelumière d'une ou plusieurs étoiles voisines qui ne sont pas assez chaudes pour causer l'ionisationionisation des gaz, comme dans le cas des nébuleuses en émission. L'une des nébuleuses par réflexion les plus connues est celle des Pléiades.

    Comme on sait que la molécule C60+ possède une réactivité et une stabilité notables en raison de sa structure de cage et qu'elle pourrait constituer jusqu'à 0,9 % du carbone du MI, on a maintenant des raisons supplémentaires de penser qu'elle pourrait jouer un rôle catalytique important dans la chimie du milieu interstellaire.