Les astéroïdes ont-ils aidé la vie à naître sur Terre ? C'est ce que suggère une récente variante de la fameuse expérience de Stanley Miller et Harold Urey. Soumise à des éclairs et ionisée par les ondes de choc de ces impacts, l'atmosphère de la Terre primitive a peut-être synthétisé en réponse les briques de l'ARN, l'une des molécules fondamentales de la vie.

Nous n'avons quasiment aucune archive géologique et géochimique qui renseignerait sur l'origine de la vie terrestre si on la suppose apparue à la fin de l'Hadéen il y a quatre milliards d'années. Même la composition de l'atmosphère et celle des océans de cette période reposent pour beaucoup sur des spéculations. Notre connaissance devient toutefois plus précise et plus complète grâce aux archives plus récentes de l'Archéen qui a débuté il y a environ quatre milliards d'années et il est bien possible que la vie ne soit apparue qu'au début de cet éon géologique.

Nous pouvons malgré tout trouver des indices dans la mémoire génétique du vivant et, récemment, ce genre d'informations a une fois de plus pointé vers une apparition dans les sources hydrothermales. Les géochimistes n'en continuent pas moins à considérer certaines réactions qui auraient pu se produire dans l'atmosphère de la Terre très primitive. Elles auraient pu produire des molécules « prébiotiques », dans les océans ou dans des petites mares chaudes en leur bordure, comme l'avait proposé Darwin, conduisant à l'apparition des premières membranes cellulaires, du matériel génétique et du métabolisme, les trois composants des formes de vie que nous connaissons.


Un extrait de la neuvième émission du magazine Cassiopée, Sommes-nous seuls dans l'univers ? (France Supervision, 1996) avec un texte et la voix off de Jean-Pierre Luminet. On peut trouver d'autres vidéos similaires sur le site du projet multiplateforme francophone sur la cosmologie contemporaine « Du Big Bang au vivant ». © Jean-Pierre Luminet

Quelle atmosphère entrourait la Terre primitive ?

En 1953, le tout jeune chimiste Stanley Miller, alors étudiant en thèse du prix Nobel de chimie Harold Urey, a montré dans une expérience restée célèbre qu'il était possible de fabriquer des acides aminés, les briques des protéines, à partir d'une atmosphère que l'on pensait alors similaire à celles de Jupiter et de Saturne. L'hypothèse était plausible puisque le champ de gravité de la Terre n'aurait fait qu'attirer à lui le même mélange de gaz présent à l'époque dans le disque protoplanétaire qui allait donner les atmosphères de ces géantes. Toutefois, l'atmosphère de notre planète aurait dû surtout contenir du méthane, de l'ammoniac et du gaz carbonique, l'hydrogène et l'hélium largement majoritaires dans les géantes ne pouvant rester longtemps piégés dans le faible champ de gravitation de la Terre, croyait-on.

La composition chimique de l'atmosphère primitive a depuis été remise en cause pour de multiples raisons (l'hydrogène aurait pu quitter la Terre moins rapidement qu'on ne le pensait) et de nombreuses variantes de l'expérience de Miller ont vu le jour au cours des décennies qui ont suivi, notamment avec une atmosphère bien plus riche en gaz carbonique. Stanley Miller lui-même a cosigné un article paru en 2008 (à lire ici) et décrivant une autre version de son expérience, ultime travail de sa vie puisque le chercheur s'est éteint en mai 2007.

De manière générale, tout a tourné autour d'une question fondamentale en chimie : l'atmosphère d'alors était-elle un milieu oxydant, réducteur ou neutre ? Cette caractéristique conditionne en effet la nature et les quantités de molécules prébiotiques synthétisées. Elle renseigne donc sur la crédibilité et l'importance de cette expérience pour éclairer sur l'origine de la vie.

Un schéma de diverses expériences de Miller réalisées à ce jour. Plusieurs mélanges de gaz contenant des proportions variées de ceux indiqués ont été soumis à des arcs électriques et parfois aussi à des rayons ultraviolets. Les molécules prébiotiques résultantes pourraient avoir constitué une « soupe chaude primitive » dans les océans d'où la vie aurait émergé. © Yassine Mrabet

Un schéma de diverses expériences de Miller réalisées à ce jour. Plusieurs mélanges de gaz contenant des proportions variées de ceux indiqués ont été soumis à des arcs électriques et parfois aussi à des rayons ultraviolets. Les molécules prébiotiques résultantes pourraient avoir constitué une « soupe chaude primitive » dans les océans d'où la vie aurait émergé. © Yassine Mrabet

L'expérience de Miller revisitée par des impacts d'astéroïdes

Une équipe de chercheurs vient d'apporter une nouvelle pièce au débat en publiant un article dans les Pnas. L'expérience explore de nouveau l'hypothèse d'une atmosphère réductrice mais composée d'ammoniac, de monoxyde de carbone et d'eau, c'est-à-dire un mélange NH3 + CO + H2O. De plus, elle ajoute du plasma comme celui que peuvent produire par ionisation les ondes de chocs résultant d'impact d'astéroïdes, lequels étaient particulièrement nombreux à l'Hadéen et au début de l'Archéen. Un résultat spectaculaire a émergé de cette nouvelle expérience de Miller.

L'analyse des produits des réactions chimiques a révélé non seulement la présence d'acides aminés mais aussi des quatre bases nucléiques formant l'ARN : l'uracile, la cytosine, l'adénine et la guanine. Or, une hypothèse solide affirme que l'ARN aurait émergé en premier de la chimie primordiale de la jeune Terre. Un « monde à ARN » aurait ainsi précédé celui de l'ADN (le nôtre), pour reprendre l'expression et les idées du prix Nobel de chimie Walter Gilbert.

Cela ne démontre nullement que c'est bien ainsi que les choses se sont passées mais cela accrédite encore plus l'hypothèse que la vie a pu émerger sur Terre rapidement, naturellement et finalement de façon relativement simple. Une information évidemment précieuse pour ceux qui travaillent dans le domaine de l'exobiologie et qui se préparent à analyser les atmosphères des exoplanètes.


Exobiologie : l'expérience de Miller devient possible... sans risquer sa vie

Article de Laurent Sacco publié le 12/02/2014

L'expérience de Miller en 1953 a marqué durablement les esprits en montrant que comprendre l'apparition de la vie sur Terre était à la portée de la science. Elle était déconseillée aux apprentis chimistes, qui risquaient de se faire exploser avec elle. Un nouveau protocole sans cet inconvénient vient d'être mis en ligne avec une vidéo explicative. Le but : catalyser des vocations et de nouvelles recherches en exobiologie.

Les étudiants en licence de physique ont en général l'occasion de reproduire des expériences fondamentales pour la naissance de la physique quantique. Ils peuvent refaire l'expérience qui a permis en 1914 à James Franck et Gustav Hertz de confirmer les hypothèses du modèle de l'atome de Bohr. Ils peuvent aussi vérifier l'existence des ondes de matière prédites en 1923 par Louis de Broglie.

Pour les étudiants en chimie passionnés par l'exobiologie, il existe une expérience qui semble facile à réaliser de prime abord. C'est celle conduite en 1953 par Stanley Miller à l'université de Chicago, à seulement 23 ans. Alors en thèse sous la direction du prix Nobel de chimie Harold Urey, le jeune chercheur voulait savoir si les idées sur l'origine de la vie proposées dans les années 1920 par le biochimiste russe Alexandre Oparine et le biologiste anglais John Burton Haldane étaient plus que de simples spéculations scientifiques. Il entreprit donc de simuler l'environnement de la Terre primitive voilà 4,5 milliards d'années. On supposait à l'époque de Miller que l'atmosphère de notre planète contenait alors de la vapeur d'eau, du méthane, de l'ammoniac et de l'hydrogène, par analogie avec la composition de l'atmosphère de Jupiter, considérée comme un fossile de la formation du Système solaire.

Stanley Miller faisant une démonstration de sa célèbre expérience. Elle a depuis été répétée de nombreuses fois avec des variantes. Elle fait toujours l'objet de recherches, d'autant plus que l'on se prépare à analyser l’atmosphère d'un grand nombre d'exoplanètes. © universe-review

Stanley Miller faisant une démonstration de sa célèbre expérience. Elle a depuis été répétée de nombreuses fois avec des variantes. Elle fait toujours l'objet de recherches, d'autant plus que l'on se prépare à analyser l’atmosphère d'un grand nombre d'exoplanètes. © universe-review

Miller enferma donc ces gaz dans un ballon, les soumit à un rayonnement ultraviolet similaire à celui du jeune Soleil ainsi à des décharges électriques, comme à l'occasion d'orages. Au bout de quelques jours, le chimiste constata la formation d'un dépôt sombre sur les parois du ballon empli d'eau censé représenter l'océan terrestre. L'analyse montra qu'il contenait non seulement du formaldéhyde et de l'acide cyanhydrique (deux molécules qui jouent un rôle clé dans la synthèse de molécules organiques d'intérêt biologique), mais aussi de petites quantités d'acides aminés, notamment de la glycine. Une chimie prébiotique pouvait donc fort bien avoir été à l'origine de la vie sur Terre, et il n'y avait pas besoin de postuler la panspermie.

Mélange explosif pour l'exobiologiste

Miller devint rapidement célèbre avec cette expérience. Mais comme le raconte l'un de ses étudiants pendant les années 1960, Jeffrey Bada, le chercheur était quelque peu angoissé à l'idée que des chimistes en herbe tentent de la reproduire dans leur garage. En effet, le mélange utilisé était potentiellement explosif si de l'air y pénétrait. Il était donc préférable que l'expérience soit réalisée par des étudiants déjà expérimentés pour éviter une catastrophe.

Récemment, Jeffrey Bada, devenu géochimiste, s'est joint à des collègues du Georgia Institute of Technology et du Tokyo Institute of Technology pour rendre disponible le protocole d'une variante de l'expérience de Miller, qui aboutit à des résultats similaires mais avec des risques bien moindres. Cela a donné lieu à une vidéo en ligne, avec des instructions à suivre. On les trouve dans le Journal of Visualized Experiments.

L'azote a remplacé l'hydrogène, ce qui conduit donc à un mélange bien moins susceptible d'exploser. De plus, comme on le sait depuis un certain temps, la composition de l'atmosphère de la Terre primitive ne devait pas être similaire à celle de Jupiter. Remplacer l'hydrogène par de l'azote rend donc l'expérience encore plus réaliste. Enfin, les décharges électriques continues à 60.000 V ont été remplacées par des décharges intermittentes de 30.000 V, plus proches là aussi des éclairs naturels.