Comme les mains droites et gauches, les molécules organiques peuvent exister sous deux formes symétriques. C'est la chiralité. Pourtant, la vie terrestre n'en utilise qu'une. Cette question est l'une des grandes énigmes de la biologie. Des chercheurs du Argonne National Laboratory aux Etats-Unis pensent avoir enfin tenir une explication. La sélection aurait eu lieu il y a très longtemps, au sein de la chimie complexe se déroulant dans les nuages interstellaires...

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Richard Rosenberg en train de monter son expérience. Crédit : Argonne National Laboratory

Richard Rosenberg en train de monter son expérience. Crédit : Argonne National Laboratory

La chiralité d’une molécule ou de n'importe quelle forme indique le fait qu'elle ne peut  être superposée d'aucune façon à son image dans un miroir. Un objet présentant cette prorpiété est dit chiral. Une illustration simple est celle d'une paire de gants. Le mot chiral vient d'ailleurs du mot grec signifiant la main.

Or, lorsqu'on synthétise en laboratoire des acides aminés ou des glucides, qui sont des molécules chirales, on obtient toujours les deux formes possibles, dites gauche et droite. Il en est de même dans la célèbre expérience de Miller-Urey, conduite à Chicago en 1953, et censée reproduire les conditions présentes sur la Terre il y a plusieurs milliards d'années. Dans cette réaction, un mélange d'eau (H2O), de méthane (CH4), d'ammoniac (NH3) et d'hydrogène (H2) était enfermé dans un ballon puis chauffé et soumis à des décharges électriques simulant les éclairs dans l'atmosphère de la jeune Terre. Même si cette expérience de chimie prébiotique n'est plus considérée aujourd'hui comme une représentation fidèle de ce qu'étaient les conditions physico-chimiques de la Terre primitive, elle constitue toujours une référence pour les exobiologistes cherchant à comprendre les différentes étapes possibles de l'apparition de la vie dans l'Univers.

Malgré cette symétrie dans les éprouvettes, les organismes vivants de la planète Terre n'utilisent qu'une seule forme d'acide aminé, celle dite L, et une seule forme de sucre, celle dite D. Comment un telle sélection s'est-elle produite entre deux types de molécules et surtout pourquoi ?

Un acide aminé, donc une molécule chirale, et son image miroir. Crédit : <em>Argonne National Laboratory</em>

Un acide aminé, donc une molécule chirale, et son image miroir. Crédit : Argonne National Laboratory

La réponse est-elle dans l'espace ?

Quelques hypothèses ont bien sûr été proposées au cours des années. On sait par exemple que la force électrofaible, celle unifiant la force électromagnétique et la force nucléaire faible responsable de la désintégration radioactive bêta, possède justement des propriétés de chiralité dite gauche.

A première vue confinée au domaine des réactions nucléaires et entre particules élémentaires, cette chiralité, expérimentalement, se manifeste aussi à l'échelle des atomes et des molécules. Toutefois, jusqu'à présent, aucune des explications proposées pour donner un léger avantage dans certaines conditions à la synthèse d'acides aminés de type L ne semblait convaincante, en particulier parce qu'elles reposaient toutes sur des conditions physico-chimiques peu répandues dans le cosmos.

Ce n'est plus le cas avec les travaux du chimiste Richard Rosenberg et de ses collègues du Argonne National Laboratory. En utilisant les faisceaux de rayons X de l'Advanced Photon Source (APS), il a bombardé un matériau magnétique sur lequel était adsorbé un mélange deux types de molécules de butanol (CH3-CHOH-C2H5). Sous l'action de ce rayonnement ionisant, des électrons sont produits dont le spin est polarisé dans une certaine direction. Ces particules se révèlent capables de modifier des liaisons à l'intérieur des molécules de butanol et d'en changer la chiralité. En modifiant la direction de l'aimantation  du permalloy (Fe0.2Ni0.8), grâce à un champ magnétique, on peut produire un excès notable de molécules d'une chiralité donnée.

Or, on sait que les champs magnétiques, le fer et des rayonnements ionisants sont très répandus l'univers. Il n'est pas difficile d'imaginer que des molécules organiques issues de la chimie complexe du milieu interstellaire et dont on détecte la présence dans le cosmos aient pu être influencées par le mécanisme découvert par les chercheurs. Ce pourrait être le cas lorsque ces molécules sont piégées dans la glace recouvrant une poussière interstellaire riche en fer, à la surface d'une météorite, dans une comète où à la surface d'une planète par exemple.

Bien sûr, rien n'est encore prouvé mais cette découverte n'en constitue pas moins une piste de recherche intéressante pour les exobiologistes.