Plusieurs extensions du modèle standard, comme la technicouleur ou la compositeness, prévoient l’existence de leptoquarks, des particules capables de changer des quarks en leptons et de provoquer la désintégration du proton. Traqués depuis des décennies, ils sont peut-être responsables de mystérieuses anomalies dans la désintégration de certaines particules observées avec le détecteur LHCb au Cern.


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    Le LHC poursuit sa transformation sur un chemin menant à des faisceaux de protons plus intenses. Les collisions par seconde seront alors plus nombreuses, ce qui permettra peut-être d'observer via des réactions de productions de particules certains processus rares, pouvant trahir l'existence d'une nouvelle physique. Bien évidemment, le plus intéressant avec le LHC à haute luminosité projeté serait d'enfin observer des particules complètement inédites. Jusqu'à présent, la déception a été grande à cet égard. Certes, plus de 50 nouveaux hadrons ont été mis en évidence dans les événements produits lors des précédents « run » du LHC et le Cern a même récemment annoncé avoir obtenu des indications convaincantes en faveur de l'existence de « glueballs » formées de trois gluons. Mais il s'agit de particules et de résonancesrésonances, comme disent les physiciensphysiciens dans leur jargon, qui sont plus ou moins prédites par le modèle standardmodèle standard, en premier lieu par la théorie des interactions fortesinteractions fortes entre les quarksquarks des hadronshadrons.

    Beaucoup pensaient plausible que les détecteurs géants Atlas et CMSCMS nous révèlent enfin de la nouvelle physique avec la détection de particules de matière noirematière noire. Mais il se pourrait bien que la prochaine révolution en physique des hautes énergiesénergies soit initiée en ce moment par de mystérieuses données qui s'accumulent dans les événements étudiés par un détecteur de taille plus modeste : le LHCb (Large Hadron Collider beauty).

    La théorie standard de la physique des particules sépare les particules élémentaires constituant la matière en deux familles : les leptons et les quarks. Chaque famille compte six particules, regroupées par paires ou « générations ». Les particules les plus stables, qui sont les plus légères, constituent la première génération, alors que les plus lourdes et moins stables appartiennent à la deuxième et à la troisième génération. Les six sortes de leptons sont regroupées en trois générations – l'électron et le neutrino de l'électron, le muon et le neutrino du mu, et enfin le tau et le neutrino du tau. De même, les six sortes de quarks sont regroupées par paires dans chacune de ces générations – le quark u et le quark d forment la première génération, puis viennent le quark c et le quark s, et enfin le quark t et le quark b. © Daniel Dominguez, Cern
    La théorie standard de la physique des particules sépare les particules élémentaires constituant la matière en deux familles : les leptons et les quarks. Chaque famille compte six particules, regroupées par paires ou « générations ». Les particules les plus stables, qui sont les plus légères, constituent la première génération, alors que les plus lourdes et moins stables appartiennent à la deuxième et à la troisième génération. Les six sortes de leptons sont regroupées en trois générations – l'électron et le neutrino de l'électron, le muon et le neutrino du mu, et enfin le tau et le neutrino du tau. De même, les six sortes de quarks sont regroupées par paires dans chacune de ces générations – le quark u et le quark d forment la première génération, puis viennent le quark c et le quark s, et enfin le quark t et le quark b. © Daniel Dominguez, Cern

    Les quarks beaux et l'énigme de l'antimatière

    L'un des objectifs principaux de ce détecteur est d'étudier la physique des particules contenant au moins un quark « beau », encore appelé quark « b ». On désigne ainsi un membre d'une famille de six quarks qui porteporte une quantité conservée (uniquement par la force électromagnétique et la force nucléaire forte) analogue à la charge électrique et que l'on appelle la beauté. Les quarks sont reliés dans le modèle standard à une autre interaction fondamentale que l'on appelle la force électrofaible. Elle combine dans un cadre unifié la théorie de la force électromagnétique et la théorie de la force nucléaire faibleforce nucléaire faible, responsable de la radioactivitéradioactivité bêtabêta, et qui intervient également dans les réactions faisant briller le SoleilSoleil.

    La théorie électrofaiblethéorie électrofaible fait intervenir l'existence de nouveaux bosonsbosons qui sont des cousins des photonsphotons et que l'on appelle les bosons W et Z. Elle relie les particules que sont les leptonsleptons, comme les neutrinosneutrinos et les électronsélectrons, et qui forment eux aussi une famille de six particules. Le modèle standard prédit des réactions de conversion et des annihilations des quarks en dquarks en d'autres quarks via des émissionsémissions de bosons W, Z et de photons. Les réactions avec des hadrons contenant des quarks beaux sont intéressantes parce qu'elles sont en rapport avec ce que l'on appelle la violation de la symétrie CP, laquelle permet de penser à des solutions à l’énigme de l’antimatière cosmologique. Il s'agit d'une piste pour essayer de comprendre pourquoi le Big BangBig Bang semble n'avoir laissé que de la matière et pas un mélange de matière et d'antimatièreantimatière à parts égales, comme la physique connue l'implique.


    Découvrez une présentation de la collaboration LHCb au Cern dans cette vidéo. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle avec deux barres horizontales en bas à droite. Les sous-titres en français devraient alors apparaître. © Cern, YouTube

    Une violation de l'universalité d'une force ?

    Mais, aujourd'hui, comme les physiciens de la collaboration LHCb le font savoir via un article en accès libre sur arXiv, c'est une violation de l'universalité leptonique qui semble pointer le bout de son neznez dans la désintégration de certains mésonsmésons contenant des quarks beaux.

    Selon le modèle standard, des particules avec un quark b devraient se désintégrer avec la même probabilité en électron, en muonmuon ou en tauon (enfin presque, ces leptons n'ayant pas les mêmes massesmasses, ce qui influe un peu sur les taux de désintégration). On décrit ce phénomène comme une illustration de ce que l'on appelle donc l'universalité leptonique qui exprime que le modèle électrofaible de Glashow-Salam-Weinberg (du nom de ses découvreurs) traite les leptons sur un pied d'égalité (à leurs différences de masse près). Ce qui est un peu l'analogue de la loi de la gravitationgravitation universelle qui est censée être la même pour toutes les particules.

    Dans le cas qui intrigue les physiciens du LHCb, on a des mésons Bmésons B+ qui peuvent se désintégrer selon deux canaux, comme on dit, en donnant à chaque fois un méson K+ mais également une paire d'un type de lepton (on parle de saveurs comme pour les six différents quarks) et de son antiparticuleantiparticule, par exemple donc un muon à charge positive et négative (K+ et μ + μ-) ou une paire positronpositron-électron (K+ et e + e-). Ces désintégrations, impliquant la transformation d'un quark de beauté en un quark étrangequark étrange (b -> s), sont extrêmement rares, se produisant à un taux de seulement une désintégration du méson B+ sur deux millions.

    Mais les physiciens ont fini par les mettre en évidence et surtout il semblait y avoir une violation des prédictions de la physique connue à la hauteur de 3,1 sigmas, ce qui en matière de probabilité signifie qu'il y a environ 0,1 % de chance que l'effet soit dû au hasard.

    Mais, si faible que soit ce nombre, qui pourrait nous faire croire que l'on peut parler de découverte, il trompe notre intuition du hasard et, en fait, il est relativement fréquent d'avoir des résultats d'expériences qui semblent ne pas pouvoir être le reflet d'un bruit dans les mesures. Il faudrait atteindre 5 sigmas pour que les chercheurs annoncent le début d'une révolution.

    Supposons que l'effet soit bien réel comme on le découvrira peut-être dans les années à venir. Peut-on déjà l'expliquer avec de la nouvelle physique ?

    Des diagrammes de Feynman associés à des calculs en théorie quantique des champs décrivant comme un méson B<sup>+</sup> composé d'un quark u et d'un antiquark beau peut se désintégrer en différents canaux leptoniques (lepton + son antilepton) accompagnant la production d'un méson K<sup>+</sup>. Le premier montre ce qui est attendu du modèle standard en physique des particules, le second montre la réaction avec un leptoquark. © Cern LHCb collaboration
    Des diagrammes de Feynman associés à des calculs en théorie quantique des champs décrivant comme un méson B+ composé d'un quark u et d'un antiquark beau peut se désintégrer en différents canaux leptoniques (lepton + son antilepton) accompagnant la production d'un méson K+. Le premier montre ce qui est attendu du modèle standard en physique des particules, le second montre la réaction avec un leptoquark. © Cern LHCb collaboration

    La réponse est probablement oui, nous serions alors peut-être sur le point de découvrir l'existence des leptoquarks.

    Des particules transmutant quarks en leptons et vice versa

    Ces particules portent des sortes d'analogues des charges électriques associées aux quarks et aux leptons (techniquement, ce sont les nombres baryonique et leptonique qui se conservent lors des réactions connues entre particules). Cette propriété les autorise à transformer les premiers en les seconds et vice versa.

    Ces leptoquarks apparaissent dans plusieurs théories proposées pour aller au-delà de la théorie standard. Par exemple, la théorie technicouleur et ses variantes supposent que le boson BEH est en fait un état composite de deux particules liées par une nouvelle force, analogue à l'interaction nucléaire forte collant les quarks dans les hadrons, et en particulier dans les pions, aussi appelés mésons de Yukawa.

    Dans la même veine, la théorie de la compositeness et ses variantes postulent que tous les quarks et les leptons sont des particules composites formées de particules génériquement appelées des préons. Ces théories laissent penser que les leptoquarks sont lourds et doivent se manifester directement à des énergies au moins de l'ordre du TeV (mille fois la masse nécessaire pour créer un proton).


    Extraits d'un documentaire sur le prix Nobel de physique Abdus Salam. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Pilgrim Film

    Parmi les pionniers de ces théories, il faut mentionner Jogesh Pati et Abdus Salam lorsqu'ils vont développer une théorie unifiant à la fois les quarks et leptons et les forces nucléaires fortes et électrofaibles au tout début des années 1970. Une seconde version naîtra à partir de 1975, faisant intervenir une structure composite pour les quarks et les leptons qui cessaient donc d'être des particules élémentairesparticules élémentaires. De nos jours, on connaît ces travaux sous le nom de modèle de Pati-Salam.

    Ce qui est moins connu, c'est que le modèle de Pati-Salam a inspiré la plus célèbre des théories de Grande Unificationthéories de Grande Unification (GUT) celle de Georgi-Glashow reposant sur le groupe de Lie SU(5). On doit aussi à Jogesh Pati le mot de « préon » pour des particules plus élémentaires que les quarks et les leptons et qu'ils constitueraient. C'est encore le modèle de Pati-Salam qui inspirera la plus célèbre des théories des préons, celle des rishons de Harari. Une des conséquences observables du modèle de Pati-Salam est l'existence de boson Z' et surtout donc des leptoquarks qui permettraient de mieux comprendre l'existence de trois familles de leptons et de quarks décrits par le modèle électrofaible et la fameuse matrice de Kobayashi-Maskawa.

    Les processus avec leptoquarks sont très rares et difficiles à mettre en évidence. Mais, comme ils pourraient conduire à une désintégration du proton, on a cherché à la détecter. De fait, c'est initialement pour observer cette désintégration que l'on a construit l'ancêtre du détecteur, Super Kamiokande, qui a permis de résoudre l'énigme des neutrinos solaires.

    Croisons les doigts pour LHCb et mentionnons aussi, pour terminer, que le modèle de Pati-Salam peut aussi découler d'une théorie ambitieuse basée sur la géométrie non commutative d'Alain Connes, mais c'est une autre histoire...


    Partez pour un voyage à 100 mètres sous terre pour admirer un détecteur de physique des particules grandeur nature ! Ce documentaire propose une visite de l'expérience LHCb au Cern accompagnée des explications des experts du domaine. © LHCb Experiment

     


    LHCb et CMS combinent leurs forces pour chasser une nouvelle physique

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 17/05/2015

    Il a fallu deux ans pour préparer la seconde campagne de prise de données au LHC. Mais entretemps, les physiciens ont continué à analyser celles collectées au début des années 2010. En combinant les résultats, les membres des collaborations CMS et LHCb annoncent avoir découvert une désintégration très rare de méson. Elle pourrait aider à découvrir une nouvelle physique.

    Dans la nuit du 9 au 10 avril 2015, au Cern, un faisceau de protons a battu le record d'énergie jamais atteint par un accélérateur de particules sur Terre. Mais les protons à 6,5 TeV contenus dans ce faisceau et ceux qui ont circulé ultérieurement aux mêmes énergies ne sont pas encore entrés en collision. Ils n'ont donc pas servi à pénétrer dans un nouveau territoire de la connaissance où se cachent peut-être des signes d'une nouvelle physique au-delà du modèle standard. Ceux qui sont entrés en collision avec des énergies de 0,9 TeV le 5 mai 2015 n'ont pas non plus permis de tenter de lever le voile sur les mystères de la matière noire et de l'antimatière, car ils avaient des énergies inférieures à ceux des protons utilisés dans la précédente campagne de prise de données du LHC qui avait conduit à la découverte du boson de Brout-Englert-Higgs.

    Le « second run » du LHC comme l'appellent les chercheurs du Cern ne devrait cependant pas tarder à commencer avec des collisions inédites à 13 TeV. Mais il ne faudrait pas croire que tout le potentiel des découvertes possibles avec les données collectées lors du précédent run a été épuisé. En témoigne d'ailleurs un article publié dans Nature par des membres des collaborations CMS et LHCb. On peut le trouver en accès libre sur arXiv. Les physiciens ayant dépouillé les informations fournies par ces deux détecteurs géants il y a plusieurs années, en 2011 et 2012 plus précisément, y affirment avoir observé quelques désintégrations de particules très rares prédites par le modèle standard, mais qui pouvaient trahir l'existence d'une nouvelle physique, comme celle de la supersymétriesupersymétrie.

    Dans le cas présent, les chercheurs se sont intéressés aux modes de désintégrations de certains mésons B qui en possèdent plusieurs chacun. Rappelons que les mésons sont formés d'un quark et d'un antiquark. À l'origine du nom des mésons B, on trouve celui de l'un de ces quarks qui fait partie des six saveurs de quarks connues, en l'occurrence un quark b appelé encore quark beau. Les désintégrations des mésons B sont surtout étudiées expérimentalement par des membres de la collaboration LHCb spécifiquement destinée à l'étude de la violation CP. À travers la violation CPviolation CP, on espère en particulier trouver des réponses pour résoudre l'énigme de l'antimatière cosmologique.

    Le méson qui a fourni le signal le plus clair dans les détecteurs CMS et LHCb est un mésonB0s.Comme son symbole l'indique, sa charge électrique est neutre (0) et il contient un quark s encore appelé quark étrange du fait qu'il possède un nombre quantiquenombre quantique conservé analogue à la charge électrique, baptisé l'étrangeté.

    Une désintégration de mésons B avec quatre chances sur un milliard

    Ce méson B0possède quatre chances sur un milliard de se désintégrer en donnant deux muons d'après les équationséquations du modèle standard. En juillet 2013, les membres de CMS et LHCb avaient déjà fait état de façon indépendante des premières observations de ce canal de désintégration fort rare. Mais les données accumulées et surtout analysées à l'époque ne permettaient pas encore de parler d'une découverte. En terme technique, dans le jargon des physiciens, le signal observé se détachait du bruit de fond des collisions avec un écart inférieur à 5 sigmas, le seuil à atteindre pour parler d'une découverte et pas seulement d'une observation. Il pouvait donc s'agir d'un simple hasard, une fluctuation statistique, du bruit mimant en quelque sorte quelques « notes de musiques » dans chacun des détecteurs.

    Nullement découragés, les physiciens avaient entrepris de combiner les mesures des deux détecteurs pour disposer d'une meilleure statistique comme ils disent. L'article de Nature fait maintenant état d'une véritable découverte, car le signal est maintenant de 6,2 sigmas. Les chercheurs y font état aussi de la présence d'indices d'une désintégration similaire, mais encore plus rare, celle du B0, une particule cousine du B0s, en deux muons.

    Pour le moment, les caractéristiques de ces désintégrations apparaissent encore comme parfaitement compatibles avec les prédictions du modèle standard, mais des bases ont été posées pour que le second run du LHC qui permettront peut-être de découvrir des effets fins qui lui échappent en liaison avec les désintégrations de ces mésons. Affaire à suivre avec la plus grande attention.