Non, Jupiter n'a pas brisé dans l'œuf la formation d'une planète, conduisant à cet anneau de petits corps que l'on appelle la ceinture principale d'astéroïdes. Bien au contraire, cette région aurait été emplie par la géante. C'est du moins ce que propose un nouveau scénario, étonnant, pour la formation de notre Système solaire.

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    Dans la Voie lactée, des nuagesnuages moléculaires poussiéreux et froids -- une dizaine de degrés au-dessus du zéro absolu -- tournent autour du bulbe central et pénètrent de temps à autre dans les bras spiraux, où le milieu est plus dense. Des ondes de chocs s'y produisent alors, provoquant parfois leur effondrementeffondrement gravitationnel, ce qui les compriment, faisant grimper leur température. Certaines régions de ces nuages deviennent très denses et se trouvent entraînées dans un mouvement de rotation avec une force centrifuge qui s'oppose à la contraction gravitationnelle perpendiculairement à cet axe de rotation, ce qui provoque l'aplatissement des nuages.

    Des protoétoiles naissent alors, et s'entourent d'un disque protoplanétairedisque protoplanétaire où les températures peuvent dépasser quelques milliers de degrés vers le centre du disque alors qu'elles sont plus froides à plus grandes distances. Des poussières vont sédimenter au fur et à mesure que le disque se refroidit et que le gazgaz se condense. Le gradientgradient thermique impose ainsi au disque un gradient chimique. Les corps qui vont se mettre à croître par condensationcondensation et accrétionaccrétion de matièrematière au plus proche du SoleilSoleil contiendront donc essentiellement des oxydes métalliques et des silicatessilicates réfractairesréfractaires : c'est là que naîtront des planètes rocheusesplanètes rocheuses. Plus loin, ce sont des particules glacées qui formeront des noyaux attirant de grandes quantités de gaz. On aura donc des géantes gazeusesgéantes gazeuses, comme JupiterJupiter et SaturneSaturne, et, plus loin encore des géantes aux cœurs de glace comme UranusUranus et NeptuneNeptune.

    Les simulations numériques les plus étudiées de la formation des planètes du Système solaire prédisent généralement la formation d'une méga-Mars, de masse comparable à la Terre ou Vénus, et de mini-Mars à la place de la ceinture d'astéroïdes. © Sean Raymond

    Les simulations numériques les plus étudiées de la formation des planètes du Système solaire prédisent généralement la formation d'une méga-Mars, de masse comparable à la Terre ou Vénus, et de mini-Mars à la place de la ceinture d'astéroïdes. © Sean Raymond

    La cosmogonie du Système solaire et de la ceinture d'astéroïdes

    Ce scénario cosmogonique dans les grandes lignes vaut très probablement au moins pour notre Système solaireSystème solaire. Les observations des télescopestélescopes, comme HubbleHubble, SpitzerSpitzer et Herschel, pour ne citer qu'eux, laissent penser qu'il vaut aussi pour plusieurs des systèmes planétaires en formation qui ont pu être repérés. Il est soutenu également par des simulations numériquessimulations numériques et par les données issues de l'étude des météoritesmétéorites et des astéroïdesastéroïdes dans notre Système solaire.

    Cependant, malgré tout ces succès, même autour du Soleil, il demeure de nombreuses problèmes dont les solutions ne sont pas connues de façon satisfaisantes bien que l'on ait quelques idées, par exemple les barrières du champ magnétique, de la rotation et du mètre. Il y a notamment le problème de la taille de Mars : elle semble bien trop petite et trop peu massive. Les modèles numériquesmodèles numériques nourris des données observationnelles laissent en effet penser que Mars devrait être d'une dimension comparable à celle de la Terre et que plusieurs petites planètespetites planètes devraient occuper la région de la ceinture principale d'astéroïdes.

    253 Matilde est un astéroïde de type C. © Nasa

    253 Matilde est un astéroïde de type C. © Nasa

    Une ceinture étrangement vide et Mars trop petite

    Cette ceinture, contrairement à ce que font croire le cinéma et certains documentaires, est plutôt vide. Les distances entre ses objets sont très grandes. Quant à son origine, elle ne réside pas, comme on l'a longtemps pensé, dans une collision destructrice entre deux planètes : cette ceinture ne contient environ qu'un millième de la massemasse de la Terre.

    Le scénario retenu actuellement est celui d'une planète qui n'a pas pu se former. Les planétésimaux (des corps de 1 à 100 km) n'ont pas pu fusionner en raison de la présence de la massive Jupiter, qui se serait formée plus vite que les planètes rocheuses. Son champ de gravitationgravitation aurait inhibé cette croissance et dépeuplé la région de la ceinture d'astéroïdesceinture d'astéroïdes. Un scénario de migration planétaire, le Grand Tack, contribuerait aussi à expliquer la petite taille de Mars et l'absence d'autres planètes dans la ceinture d'astéroïdes.

    Eros est un astéroïde de type S. © Nasa

    Eros est un astéroïde de type S. © Nasa

    La ceinture d'astéroïdes : une région dépeuplée...

    Toutefois, ces explications ne sont pas totalement satisfaisantes, notamment parce qu'au cours des dernières années, il est devenu de plus en plus évident que les petits corps de cette ceinture sont minéralogiquement très divers. Pour l'essentiel, ils ne serait pas nés là mais proviendraient de régions différentes du disque protoplanétaire.

    Il existe d'ailleurs deux populations bien distinctes et qui sont dominantes (voir le schéma ci-dessous). Les astéroïdes de type C sont les parents des météorites appelées chondriteschondrites carbonées. Ils devraient s'être formés dans des régions froides du disque. Viennent ensuite les astéroïdes de type S qui, eux, sont les parents des météorites silicatées. Ceux-là semblent avoir un contenu important en olivine et pyroxènepyroxène, tout comme les péridotitespéridotites du manteaumanteau de la Terre. Ils se seraient donc plutôt formés près du Soleil, là où sont nées MercureMercure, VénusVénus et la Terre.

    L’image la plus précise jamais réalisée avec Alma – plus précise que les images habituellement obtenues dans le visible avec le télescope spatial Nasa-Esa Hubble. Elle montre le disque protoplanétaire qui entoure la jeune étoile HL Tauri. Ces nouvelles observations d’Alma révèlent des structures dans le disque jamais observées auparavant et dévoilent même les emplacements possibles de planètes en formation dans les zones sombres au cœur du système. © Alma (ESO, NAOJ, NRAO)

    L’image la plus précise jamais réalisée avec Alma – plus précise que les images habituellement obtenues dans le visible avec le télescope spatial Nasa-Esa Hubble. Elle montre le disque protoplanétaire qui entoure la jeune étoile HL Tauri. Ces nouvelles observations d’Alma révèlent des structures dans le disque jamais observées auparavant et dévoilent même les emplacements possibles de planètes en formation dans les zones sombres au cœur du système. © Alma (ESO, NAOJ, NRAO)

    ... ou bien une région vide peuplée tardivement ?

    Comment expliquer ce mélange étonnant ? Avec son collègue Andre Izidoro, l'astronomeastronome Sean Raymond (du Laboratoire d'astrophysiqueastrophysique de Bordeaux et un des promoteurs du scénario du Grand Tack) vient de proposer une nouvelle hypothèse révolutionnaire dans un article publié dans Science Advances.

    Jupiter et ses perturbations gravitationnelles n'auraient pas dépeuplé la ceinture principale d'astéroïdes. Tout au contraire, la géante gazeuse aurait injecté des astéroïdes dans cette région qui en était auparavant dépourvue. Ces astéroïdes seraient donc pour l'essentiel des migrants nés ailleurs.

    Les observations faites par le radiotélescoperadiotélescope Alma du disque protoplanétaire qui entoure la jeune étoileétoile HL Tauri donnent du crédit à cette hypothèse ainsi que des travaux de simulations numériques. Des phénomènes de dérives des poussières et de croissance accélérée des embryonsembryons de planètes au sein du disque protoplanétaire pourraient y creuser des anneaux fortement appauvris en poussières. Peu de planétésimaux y prendraient donc naissance et c'est dans ce vide que les astéroïdes de la ceinture principale auraient finalement pris place au début de son histoire.

    Les proportions des différents types d'astéroïdes dans la ceinture principale en fonction de la distance au Soleil en unité astronomique (UA), c'est-à-dire la distance de la Terre au Soleil soit environ 150 millions de kilomètres. © Gradie & Tedesco

    Les proportions des différents types d'astéroïdes dans la ceinture principale en fonction de la distance au Soleil en unité astronomique (UA), c'est-à-dire la distance de la Terre au Soleil soit environ 150 millions de kilomètres. © Gradie & Tedesco

    Sean Raymond et Andre Izidoro ont obtenu un intéressant résultat à l'appui de leur nouveau scénario. Les simulations numériques qu'ils ont conduites rendent compte précisément des proportions d'astéroïdes C et S dans la ceinture principale. Sur son blog, Sean Raymond est tout de même prudent car il est finalement possible d'expliquer la petite taille de Mars et la structure de la ceinture d'astéroïdes aussi bien avec le modèle du Grand Tack qu'avec celui qu'il vient de proposer avec Andre Izidoro.

    Chacun de ces modèles a ses points faibles et ses points forts. Du travail reste donc encore à faire. Les tests capables de réfuter ces modèles, qui pourraient être faux tous les deux, sont encore à trouver. Au final, on devrait en savoir plus sur l'origine de l'eau sur Terre dont une partie au moins aurait été apportée par l'accrétion de planétésimaux et d'astéroïdes.