Des observations faites par la sonde lunaire LRO de la Nasa laissaient penser indirectement que la Lune avait émis des coulées de lave il y a environ 100 millions d'années alors que les dinosaures existaient encore sur Terre. Des échantillons de matériaux ramenés par la mission chinoise Chang’e‑5 le confirment aujourd'hui !


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    Pendant longtemps, il y a eu un débat pour savoir si les cratères lunaires étaient d'origine volcanique ou le résultat d'impacts de météorites et d'astéroïdes. Les astronomesastronomes avaient émis l'hypothèse que les cratères lunaires étaient des restes de volcansvolcans éteints, notamment des caldeirascaldeiras. L'hypothèse qu'il puisse aussi s'agir de cratères d'impact de corps célestes a lentement commencé à gagner du terrain à la fin du XIXe siècle. Le débat s'est poursuivi jusqu'aux années 1950 mais les progrès de la conquête spatiale ont clairement démontré que les partisans des impacts avaient largement raison.

    Toutefois, certaines des caractéristiques de la surface de la Lune font effectivement intervenir des processus volcaniques, comme le regretté volcanologuevolcanologue Haroun Tazieff le pensait. On le sait en particulier grâce aux missions ApolloApollo qui ont permis de ramener sur Terre des échantillons de roches lunaires que l’on continue à étudier aujourd’hui. Magiquement, il n'est pas nécessaire 50 ans après les missions Apollo (États-Unis), Luna (URSS) et VikingViking d'être membre d'un laboratoire de recherche de classe mondiale pour posséder des météorites lunaires ou martiennes ni d'être millionnaire. Il est possible d'en acquérir pour quelques dizaines d'euros chez des fournisseurs sérieux comme Luc Labenne, Alain et Louis Carion ou Jean Redelsperger.

    Le volcan silicique Mairan T (41,79°N, 311,61°E) s'élève à plus de 600 mètres de haut et contraste fortement avec les basaltes marins sombres environnants d'<em>Oceanus Procellarum</em>. La vue est d'ouest en est, la scène mesure 6,6 kilomètres de large. © Nasa, GSFC, <em>Arizona State University</em>
    Le volcan silicique Mairan T (41,79°N, 311,61°E) s'élève à plus de 600 mètres de haut et contraste fortement avec les basaltes marins sombres environnants d'Oceanus Procellarum. La vue est d'ouest en est, la scène mesure 6,6 kilomètres de large. © Nasa, GSFC, Arizona State University

    La Lune est née il y a environ 4,5 milliards d'années. Plus petite que la Terre, son stock d'éléments radioactifs, qui en se désintégrant dégagent de la chaleur, étant moins important, elle s'est refroidie plus vite et semblait après les missions Apollo être un astre mort où les dernières éruptions volcaniqueséruptions volcaniques s'étaient produites il y a plus d'un à deux milliards d'années. Aucune chance d'observer une activité comme celle de l'Islande en ce moment donc...

    Mais en sommes-nous vraiment certains ?


    Des volcans jeunes sur la Lune ? Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © ScienceAtNASA

    70 éruptions volcaniques en 100 millions d'années

    Sur la face visible de la Lune, il existe des petites taches irrégulières morcelant les mers lunaires, appelées de leur nom anglais IMP, pour Irregular Mare Patches. Ce sont des régions constituées de roches basaltiquesbasaltiques plus jeunes que la dernière phase de formation des mers lunaires, survenue il y a 1 à 1,2 milliard d'années. Cet âge est estimé à partir du taux de cratérisation locale de la surface de notre satellite qui a été étalonné au moyen des roches ramenées par les missions lunaires. Moins la région étudiée est couverte de cratères, plus elle est jeune et on peut obtenir son âge en datant les roches formées au moment de la naissance de la région et en l'occurrence souvent la date de refroidissement de la lavelave des mers.

    En 2023, un groupe international de géologuesgéologues et de planétologues américains et allemands avait publié dans Nature Geoscience un article qui confortait ce dont on se doutait depuis quelque temps déjà. En utilisant les images exceptionnelles prises avec les instruments de la mission Lunar Reconnaissance OrbiterLunar Reconnaissance Orbiter (LRO)), dont la résolutionrésolution est de l'ordre de 50 à 200 centimètres par pixelpixel, les chercheurs avaient réussi à dater plus précisément 70 IMP dont les tailles sont comprises entre 100 et 5 000 mètres. Il apparaissait qu'elles étaient le produit d'éruptions volcaniques survenues il y a moins de 100 millions d'années.

    L'IMP Sosigenes est de forme ovale avec des dimensions d'environ 3 kilomètres de large et 7 kilomètres de long et une profondeur de 300 mètres environ. Le nombre de cratères sur les coulées de lave basaltiques qui le constituent suggère que les éruptions qui les ont produites auraient eu lieu il y a seulement environ 18 millions d'années. © Nasa, GSFC, <em>Arizona State University</em>
    L'IMP Sosigenes est de forme ovale avec des dimensions d'environ 3 kilomètres de large et 7 kilomètres de long et une profondeur de 300 mètres environ. Le nombre de cratères sur les coulées de lave basaltiques qui le constituent suggère que les éruptions qui les ont produites auraient eu lieu il y a seulement environ 18 millions d'années. © Nasa, GSFC, Arizona State University

    L'IMP la plus jeune était probablement celle que l'on trouve à côté du cratère Sosigenes ainsi nommé en 1935 par l'Union astronomique internationaleUnion astronomique internationale pour rendre hommage à l'astronome grec Sosigène d'Alexandrie. Ce cratère d'impact est bien visible au voisinage de la Mare Tranquillitatis et au nord la baie du Sinus Honoris. D'après les observations fournies par LRO, l'IMP de Sosigenes se serait formée il y a seulement 18 millions d'années, bien après la disparition des dinosaures sur Terre. Il semblait donc clair maintenant que la Lune est restée volcaniquement active bien plus longtemps qu'on le pensait et qu'elle pourrait probablement encore le redevenir dans un avenir proche, du moins à l'échelle géologique dont l'unité est le million d'années.

    L'IMP Ina est large de 3 kilomètres et profonde et 50 mètres environ de profondeur. Son sol est recouvert de nombreux petits monticules de lave. Le nombre de cratères observés sur les monticules indique que les éruptions qui les ont formés auraient eu lieu il y a environ 33 millions d'années. © Nasa, GSFC, <em>Arizona State University</em>
    L'IMP Ina est large de 3 kilomètres et profonde et 50 mètres environ de profondeur. Son sol est recouvert de nombreux petits monticules de lave. Le nombre de cratères observés sur les monticules indique que les éruptions qui les ont formés auraient eu lieu il y a environ 33 millions d'années. © Nasa, GSFC, Arizona State University

    De LRO à Chang'e 5 en passant par Kaguya

    Rappelons que le 16 décembre 2020, une capsule transportant près de deux kilos d'échantillons lunaires s'est posée en Mongolie. Elle rapportait sur Terre la matièrematière prélevée par la sonde chinoise Chang'e 5Chang'e 5 qui s'était posée dans la région de Mons Rümker au nord de l'océan des TempêtesTempêtes, en latin Oceanus Procellarum, la plus grande des mers lunaires. Faisant plus de 2 500 kilomètres selon son axe nord-sud, elle est située à l'ouest de la face visible de la Lune.La sonde japonaise Kaguya de la Jaxa avait jadis fourni des images spectaculaires du survolsurvol sur orbiteorbite basse de l'océan des Tempêtes.

    Mais aujourd'hui, une équipe de chercheurs chinois vient de publier dans Science les résultats de leurs derniers travaux.

    Ils concernent la poursuite des analyses des 3 000 minuscules perles de verre découvertes dans les échantillons de régoliterégolite lunaire de Chang’e 5 dans Oceanus Procellarum. Il leur a fallu examiner les compositions chimiques, les texturestextures physiquesphysiques et les isotopesisotopes de soufresoufre de ces perles pour distinguer les verresverres volcaniques potentiels des verres produits par des impacts de météorites.

    Impacts de météorites et éruption volcanique produisant des perles de verre sur la Lune. Dans les deux cas, ces perles se forment à partir de gouttes de roches fondues qui se refroidissent mais ne cristallisent pas en se solidifiant. © T. Zhang et Y. Wang
    Impacts de météorites et éruption volcanique produisant des perles de verre sur la Lune. Dans les deux cas, ces perles se forment à partir de gouttes de roches fondues qui se refroidissent mais ne cristallisent pas en se solidifiant. © T. Zhang et Y. Wang

    Ils ont finalement identifié trois perles comme étant d'origine volcanique, puis ont utilisé la datation radiométrique par la méthode UraniumUranium-PlombPlomb pour déterminer que les perles volcaniques se sont formées lors d'éruption il y a 123 ± 15 millions d'années.

    Les sélénologues ajoutent que les perles volcaniques contiennent de grandes quantités de potassiumpotassium, de phosphorephosphore et d'éléments de terres raresterres rares, appelés KREEP qui est l'acronyme en anglais construit à partir des lettres K (le symbole atomique pour le potassium), REE (Rare Earth Element - Terres rares) et P (pour le phosphore), une composante géochimique de certaines brèches d'impact, basaltesbasaltes ou noritesnorites fondues découverts déjà dans les roches lunaires des missions Apollo. La caractéristique la plus importante des KREEP est une concentration accrue en éléments dits « incompatibles » (qui se concentrent en phase liquideliquide pendant la cristallisation du magmamagma) et produisant de la chaleur comme l'uranium, le thoriumthorium et de potassium.


    Kaguya survolant le côté ouest de l'océan des Tempêtes, en latin Oceanus Procellarum. © Jaxa

    Or il se trouve que le Procellarum KREEP terrane ou PKT (en français : le terrain KREEP de Procellarum) est une vaste zone lunaire située au niveau de l'Oceanus Procellarum et de la Mare Imbrium. Ce terrain est riche en KREEP et les analyses des échantillons rapportés par la mission Apollo 14 indiquaient un fort taux de thorium. Des planétologues en avaient déjà conclu que la richesse en cet élément devait exister aussi au sein de la croûtecroûte et/ou du manteaumanteau lunaire et qu'il y avait donc localement une source de chaleur importante est presque certainement responsable de la longévité et l'intensité du volcanismevolcanisme sur la face visible de la Lune à cet endroit.

    Futura a de nouveau demandé l'avis de la célèbre planétologue et volcanologue de la NasaNasa Rosaly Lopes au sujet de cette nouvelle découverte. Rappelons qu'en tant que membre de la mission GalileoGalileo autour de JupiterJupiter, elle a été responsable des observations en infrarougeinfrarouge de sa lune volcanique, Io, de 1996 à 2001, y découvrant 71 volcans actifs, un record pour un volcanologue. Elle a rejoint ensuite la mission Cassini pour étudier en particulier la géologiegéologie et l'habitabilité potentielle de TitanTitan. On lui doit plusieurs livres sur les volcans dont un préfacé par Arthur Clarke.


    Une interview de Rosaly Lopes, planétologue et volcanologue au Jet Propulsion Laboratory. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa Solar System

    Voici les commentaires de Rosaly Lopes, bien qu'elle confesse ne pas encore avoir eut le temps de lire l'article scientifique en entier :

    « C'est un résultat vraiment passionnant qui a bien sûr des implications pour l'évolution de la Lune. Je me demande comment la Lune a pu conserver autant de chaleur pendant si longtemps. Une chose que je peux dire, c'est que cela renforce vraiment l'importance de rapporter des échantillons. Nous collectons des échantillons sur Mars, comme vous le savez, et les rapporter et les analyser dans des laboratoires sur Terre va, je pense, révolutionner ce que nous savons sur Mars. Les analyses que nous pouvons faire in situ sont très limitées.

    La NASA prévoit la mission du roverrover lunaire Endurance, qui collecterait des échantillons dans les régions polaires sud de la Lune et les astronautesastronautes les ramèneraient. Je suis sûr que ces roches révéleraient également des résultats nouveaux et importants. Nous étudions la mission au JPLJPL ».

    Endurance est en effet une mission proposée visant à explorer et à rapporter des échantillons du bassin d'impact le plus grand et le plus ancien de la Lune, le bassin South Pole-Aitken (SPA). On pense que les roches qu'il contient détiennent les réponses à de nombreuses questions en suspens, notamment au sujet du fameux Grand bombardement tardif en relation avec la dynamique du Système solaireSystème solaire sous forme de migration planétaire et l'évolution de la structure intérieure de la Lune. Endurance répondrait à ces questions en parcourant également 2 000 km sur la face cachée de la Lune, en collectant une grande quantité d'échantillons et en les livrant aux astronautes d'Artemis pour qu'ils les ramènent sur Terre. Endurance a été identifiée comme la mission stratégique la plus prioritaire du programme de découverte et d'exploration lunaires de la NASA dans le cadre du récent relevé décennal des sciences planétaires et de l'astrobiologieastrobiologie (2023-2032).


    Selene (SELenological and ENgineeering Explorer) ou Kaguya (かぐや) est la première véritable mission spatiale lunaire japonaise lancée le 14 septembre 2007. Elle s'est insérée sur orbite polaire circulaire de 100 kilomètres mi-décembre, entamant alors sa mission primaire d'une durée de 10 mois qui est prolongée de 8 mois. La mission s'achève en juin 2009 lorsque la sonde spatiale s'écrase volontairement à la surface de la Lune. Elle laisse des films impressionnants de son survol de la surface lunaire comme le montre cette série de vidéos. © Jaxa, NHK

    Le saviez-vous ?

    En 1610, lorsque l'astronome italien Galilée tourne sa lunette vers la Lune, il découvre ce que nous savons être des plaines basaltiques de lave lunaires qu'il prend pour des mers. Galilée les baptisa donc maria, d'après le mot latin signifiant « mers ». Quelques décennies plus tard, en 1665, le chimiste britannique Robert Hooke propose que les dépressions en forme de cuvette réparties sur la surface lunaire sont des volcans en raison de leur similitude avec les cratères des Champs Phlégréens en Italie. L'astronome français Pierre-Simon Laplace proposa au XVIIIe siècle que les météorites étaient des projectiles volcaniques éjectés des cratères lunaires lors d'éruptions majeures. Il n'était finalement pas si loin de la vérité puisque certaines météorites sont bien d'origine lunaire et volcanique bien qu'éjectées de la Lune par des impacts d'astéroïdes.