Une équipe d'astronomes principalement chinois et japonais a trouvé des traces d'étoiles exotiques plus de 200 fois plus massives que le Soleil et qui existaient il y a plus de 13 milliards d'années autour de la Voie lactée. Ces étoiles produisaient à un moment de leur vie de l'antimatière.

Le modèle cosmologique standard fait naître les premières étoiles alors que l'Univers observable était plus dense qu'aujourd'hui et que la nucléosynthèse primordiale des éléments chimiques pendant le Big Bang n'avait pas dépassé les isotopes de l'hydrogène, de l'hélium et du lithium. Il en découle que les premières étoiles n'ont pas pu naître comme les étoiles que l'on peut observer aujourd'hui dans la Voie lactée et qu'elles étaient différentes.

Les théoriciens de la structure stellaire nous disent en outre que ces étoiles devaient être très massives, au moins une centaine de fois la masse du Soleil et plus probablement des centaines de fois celle de notre Étoile et même des milliers. Il en résulte également qu'elles devaient rapidement exploser en supernovae d'un genre là aussi différent, des supernovae à instabilité de paires (Pair-Instability Supernovae : PISNe) faisant intervenir non seulement une nucléosynthèse exotique mais la création de particules d'antimatière.


Nicolas Prantzos, CNRS, Institut d'astrophysique de Paris, nous parle de la nucléosynthèse des éléments dans deux vidéos. © Société française d'exobiologie

Ces étoiles ont cessé de se former et d'exister quelques centaines de millions d'années après le Big Bang mais les astrophysiciens ont prédit qu'elles ont dû laisser des traces sous la forme d'une composition chimique non standard dans les plus vieilles étoiles observables. Certaines d'entre elles se trouvent encore dans le halo de matière entourant la Voie lactée et les chercheurs ont entrepris de les détecter depuis plus d'une décennie, notamment les astronomes utilisant le Large Sky Area Multi-Object Fibre Spectroscopic Telescope ou télescope Guo Shoujing (en abrégé Lamost), un télescope optique chinois de 4 mètres de diamètre. Les étoiles potentiellement intéressantes qui ont été détectées avec ce télescope ont vu leur atmosphère étudiée chimiquement par spectroscopie avec le télescope japonais Subaru.

Aujourd'hui, une publication dans Nature provenant essentiellement d'astrophysiciens de l'Observatoire astronomique national du Japon (NAOJ) et de Chine (NAOC) fait savoir que l'étoile Lamost J101051.9+235850.2 (ci-après J1010+2358) semble bel et bien posséder les traces cosmochimiques de l'existence des PISNe primordiales.

Une image dans le visible de Lamost J101051.9+235850.2. Cette étoile est observable dans la direction de la constellation du Lion à une distance de 3 000 années-lumière du Système solaire. Il s'agit d'une étoile de la séquence principale avec une masse légèrement inférieure à la masse du Soleil. © SDSS/NAOJ
Une image dans le visible de Lamost J101051.9+235850.2. Cette étoile est observable dans la direction de la constellation du Lion à une distance de 3 000 années-lumière du Système solaire. Il s'agit d'une étoile de la séquence principale avec une masse légèrement inférieure à la masse du Soleil. © SDSS/NAOJ

L'électrodynamique quantique des étoiles massives

Mais, avant d'aller plus loin, faisons plus ample connaissance avec les supernovae à instabilité de paires dont Futura avait déjà parlé dans plusieurs articles.

Comme nous l'expliquions, plusieurs astrophysiciens théoriciens ont prédit, il y a presque 50 ans, que certaines étoiles étaient instables à cause d'un phénomène bien décrit par les équations de l'électrodynamique quantique. En effet, avec une paire de photons gamma suffisamment énergétiques, un calcul mené à l'aide des fameux diagrammes de Feynman, bien connus des spécialistes de la physique des hautes énergies, indique que des paires de particule-antiparticule peuvent être créées.

Dans le cas d'une étoile très massive dépassant les 100 masses solaires, beaucoup des photons produits par les réactions thermonucléaires dans le cœur de ces étoiles sont dans le domaine gamma. Or, ils peuvent donner naissance chacun à une paire d’électron-positron s'ils possèdent suffisamment d'énergie. Il s'agit au fond d'une conséquence assez simple de la formule d'Einstein, E=mc2, l'énergie des photons étant convertie en la masse des deux particules.

Un schéma illustrant la structure d’une jeune étoile massive, plus de 100 fois la masse du Soleil comme devaient l'être les étoiles de première génération quelques centaines de millions d’années tout au plus après le Big Bang. Comme dans toutes les étoiles, la pression du gaz de particules, noyaux, électrons et photons est normalement en équilibre avec la pression causée par la gravité de l’étoile. Mais dans une étoile d’au moins 140 masses solaires, les photons gamma sont si énergétiques (les traits ondulés sur le schéma) qu’ils finissent par créer des paires d’électron et de positron, donc de l’antimatière. © Nasa/CXC/M. Weiss
Un schéma illustrant la structure d’une jeune étoile massive, plus de 100 fois la masse du Soleil comme devaient l'être les étoiles de première génération quelques centaines de millions d’années tout au plus après le Big Bang. Comme dans toutes les étoiles, la pression du gaz de particules, noyaux, électrons et photons est normalement en équilibre avec la pression causée par la gravité de l’étoile. Mais dans une étoile d’au moins 140 masses solaires, les photons gamma sont si énergétiques (les traits ondulés sur le schéma) qu’ils finissent par créer des paires d’électron et de positron, donc de l’antimatière. © Nasa/CXC/M. Weiss

Lorsque la création de matière et d'antimatière selon ce processus devient importante, la pression du flux de photons gamma sur les couches de l'étoile devient insuffisante pour s'opposer à sa contraction sous l'effet de sa propre gravité, car une partie du rayonnement est convertie en une composante qui se comporte comme un mélange de gaz à plus faible pression. Or, cette même contraction va augmenter le taux des réactions nucléaires en chauffant le cœur de l'étoile. La production de photons gamma créateurs d'antimatière va encore être accrue et le processus devient instable lorsque l'étoile contient au moins 130-140 masses solaires (en dessous, il se produit des oscillations et l'étoile devient pulsante). Il s'emballe.

Une nucléosynthèse stellaire exotique

La température ne va cesser de grimper et, en très peu de temps, le cœur de l'étoile, contenant un mélange de noyaux de carbone et d'oxygène, va exploser du fait des réactions thermonucléaires qui se produisent alors en convertissant sa matière en noyaux lourds. Prend alors naissance ce nouveau type de supernova baptisée Pair Instability Supernovae (PISNe). Elle ne laisse aucun astre compact derrière elle -- sauf éventuellement un trou noir si l'étoile est suffisamment massive, c'est-à-dire probablement au-delà de 260 masses solaires. L'explosion doit surpasser celle d'une supernova normale et s'accompagner de la production d'une grande quantité de nickel radioactif en plus d'une grande quantité de matière éjectée.

Mais attention, si l'étoile est en quelque sorte annihilée, ce n'est pas la production d'antimatière qui en est responsable, les positrons ne pouvant d'ailleurs pas annihiler les protons et les neutrons des noyaux de l'étoile. C'est bien le souffle de l'explosion, l'onde de choc produite, qui disperse totalement la matière de l'étoile génitrice de la PISNe.

 © NAOC
© NAOC

Sur les graphiques ci-dessus, les disques rouges représentent les mesures des abondances de certaines éléments dans l'atmosphère de l'étoile Lamost J101051.9+235850.2. Les deux graphiques du haut montrent la composition finale, après la phase de nucléosynthèse des éléments, avant effondrement gravitationnel et explosion en supernova d'une étoile standard de respectivement 10 et 85 masses solaires. Les deux graphiques du bas montrent les prédictions de la composition chimique finale d'étoiles mourant sous la forme de PISNe. Clairement, le modèle avec production d'antimatière et une masse de 260 masse solaire reproduit la composition initiale d'un nuage dans le halo de la Voie lactée qui, en s'effondrant gravitationnellement il y a plus de 10 milliards d'années, a donné J1010+2358.


Une autre vidéo du parcours éducatif AstrobioEducation parlant de la nucléosynthèse des éléments, des supernovae et de l'évolution chimique de la Voie lactée. © Société française d'exobiologie