On étudie depuis presque 50 ans ce qui se produit lorsqu'une étoile passe trop près d'un trou noir supermassif. Cela a conduit à des prédictions vérifiées, mais aussi à d'autres qui ne l'ont pas été. Une nouvelle simulation numérique a probablement donné la clé d'une énigme à ce sujet en montrant qu'il pouvait se former une enveloppe de matière chaude quasi sphérique autour de ces astres compacts au cœur des galaxies, produisant ce que l'on peut appeler des soleils-trous noirs.


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    Daniel Price, professeur d'astrophysique à l'université Monash en Australie a écrit un article pour The Conversation dans lequel il explique les résultats qu'il a obtenus avec des collègues et qui sont en accès libre dans un article sur arXiv portant sur des avancées dans la description des célèbres TidalTidal disruption event (ou TDE), ce qui peut se traduire par « évènement de rupture par effet de marée ». Un TDE se produit avec une étoile dont la trajectoire trop rapprochée d'un trou noir supermassif conduit ses forces de maréeforces de marée à comprimer l'étoile jusqu'à produire ce qu'ils ont appelé une crêpe stellaire en raison de la forme de la déformation causée par ces forces. L'étoile pouvait en réponse finir par exploser et ses débris étaient donc avalés en partie par l'astreastre compact.

    Les TDE ont été théorisés pour la première fois par Jack G. Hills, Juhan Frank et Martin Rees au cours des années 1970 sur une idée de Lynden-Bell (1969) qui voulait en faire la source d'énergieénergie des quasarsquasars et des noyaux actifs des galaxiesnoyaux actifs des galaxies de Seyfert.

    Mais il a fallu attendre le début des années 1980 pour que des investigations sérieuses conduisant à des modèles et des simulations numériquessimulations numériques précises soient entreprises. À cet égard, on peut considérer que Jean-Pierre Luminet et Brandon Carter, tous deux à l'Observatoire de Paris à cette époque, en sont les pionniers, comme le montre une publication dans le célèbre journal Nature en 1982, suivie d'une autre dans Astronomy & Astrophysics en 1983. Les deux astrophysiciensastrophysiciens relativistes ont montré dans cet article qu'un TDE avec un trou noir supermassif conduisait les forces de marée à comprimer l'étoile jusqu'à produire « une crêpe stellaire ». Un TDE peut aussi donner lieu à un processus de « spaghettification ».

    L'astronome Édouard Roche. © Université Montpellier 2
    L'astronome Édouard Roche. © Université Montpellier 2

    Des forces de marée gravitationnelles en relativité générale

    Comme il l'a expliqué à Futura, Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet était allé plus loin dans sa thèse de doctorat d'État de 1985 qui avait conduit à une publication l'année suivante. « Dans l'article de 1986 (auquel Carter n'avait pas participé, mais il avait normalement co-signé en tant que directeur de thèse), j'ai calculé numériquement les interactions de marée entre un TN massif pour TOUS les paramètres d'impact - c'est-à-dire toutes les distances au périastrepériastre des orbitesorbites stellaires elliptiques (en fait quasi paraboliques), et divers types d'étoiles (séquence principaleséquence principale, géante rougegéante rouge, naine blanchenaine blanche...)).

    Tous mes calculs numériques de 1986 (linéarisés dans le cadre du modèle d'étoile affine que nous avions précédemment développé avec Carter) ont été ultérieurement confirmés par des simulations 3D hydrodynamiques (Guillochon, etc.) ».

    Mais, regardons de plus près ce qu'est le phénomène des crêpes stellaires. Pour mieux le comprendre, on peut commencer par remonter aux travaux d'Édouard Roche, le mathématicienmathématicien et astronomeastronome français à l'origine de la fameuse limite de Roche. Elle exprime le fait qu'il existe une distance limite d'approche d'un petit corps céleste au voisinage d'un corps plus grand.

    L’écrasement d’une étoile par les forces de marée d’un trou noir. Le dessin illustre la déformation progressive d’une étoile plongeant profondément dans le rayon de marée d’un trou noir géant (la taille de l’étoile est considérablement agrandie pour la clarté du dessin). La figure du haut représente la déformation de l’étoile dans son plan orbital (vue de dessus), celle du milieu montre la déformation dans la direction perpendiculaire (vue par la tranche), et le diagramme du bas indique l’aplatissement relatif. De (a) en (d), les forces de marée sont faibles et l’étoile reste pratiquement sphérique. En (e), l’étoile pénètre dans le rayon de marée et est dès lors condamnée. Sa configuration se rapproche d’abord de celle d’un cigare, puis de (e) à (g), l’effet laminoir des forces de marée écrase l’étoile dans son plan orbital, en une configuration de « crêpe ». Puis l’étoile rebondit et se dilate en ressortant du rayon de marée en (h). Plus loin, sur son orbite, l’étoile finit par se dissocier en fragments gazeux. Des simulations hydrodynamiques détaillées, prenant en compte les ondes de choc, ont été effectuées durant la phase d’écrasement (e) à (g). © J.-P. Luminet
    L’écrasement d’une étoile par les forces de marée d’un trou noir. Le dessin illustre la déformation progressive d’une étoile plongeant profondément dans le rayon de marée d’un trou noir géant (la taille de l’étoile est considérablement agrandie pour la clarté du dessin). La figure du haut représente la déformation de l’étoile dans son plan orbital (vue de dessus), celle du milieu montre la déformation dans la direction perpendiculaire (vue par la tranche), et le diagramme du bas indique l’aplatissement relatif. De (a) en (d), les forces de marée sont faibles et l’étoile reste pratiquement sphérique. En (e), l’étoile pénètre dans le rayon de marée et est dès lors condamnée. Sa configuration se rapproche d’abord de celle d’un cigare, puis de (e) à (g), l’effet laminoir des forces de marée écrase l’étoile dans son plan orbital, en une configuration de « crêpe ». Puis l’étoile rebondit et se dilate en ressortant du rayon de marée en (h). Plus loin, sur son orbite, l’étoile finit par se dissocier en fragments gazeux. Des simulations hydrodynamiques détaillées, prenant en compte les ondes de choc, ont été effectuées durant la phase d’écrasement (e) à (g). © J.-P. Luminet

    En deçà, les forces de marée du corps principal sont si importantes qu'elles disloquent le petit corps, incapable de maintenir sa cohésion sous sa propre gravitégravité. Originellement limitée aux planètes, la notion de limite de Roche a été étendue à la stabilité des amas globulairesamas globulaires et des petites galaxies approchant des grandes - on parle alors de rayon de marée. Cette même notion de rayon de marée est utilisée aussi lorsqu'une étoile approche d'un trou noir.

    En mars 1982, Jean-Pierre Luminet et Brandon Carter avaient donc déjà publié dans le journal Nature un article dans lequel ils avaient montré qu'une étoile pénétrant dans la zone définie par le rayon de marée d'un trou noir galactique devait d'abord être aplatie comme une crêpe par les forces de marée. Dans un second temps, expliquaient-ils, des réactions thermonucléaires doivent se produire au sein de l'étoile, conduisant à des détonations capables de la disloquer.

    On peut estimer qu'il se produit environ un TDE par galaxie tous les 104-105 ans, ce qui veut dire qu'avec ses capacités à surveiller un grand nombre de galaxies à la recherche d'événements transitoires, comme des supernovaesupernovae, le Large Synoptic Survey TelescopeLarge Synoptic Survey Telescope (LSST) - qui a récemment été rebaptisé en Observatoire Vera-C.-Rubin (Vera C. Rubin Observatory) - pourrait en voir quelques milliers par an dans le domaine visible.

    Des rayons X manquant à l'appel

    Toutefois, Daniel Price explique dans The Conversation qu'un article de Martin Rees en 1988 allait plus tard conduire à une énigme : « la théorie de Rees prévoyait que la moitié des débris de l'étoile resteraient liés au trou noir, entrant en collision avec lui-même pour former un tourbillontourbillon de matièrematière chaude et lumineuse connu sous le nom de disque d'accrétiondisque d'accrétion. Le disque serait si chaud qu'il devrait émettre une quantité abondante de rayons Xrayons X.

    Mais, à la surprise générale, la plupart des plus de 100 événements de perturbation par marée potentiels découverts à ce jour se sont révélés briller principalement dans les longueurs d'ondelongueurs d'onde visibles, et non dans les rayons X. Les températures observées dans les débris ne sont que de 10 000 degrés Celsiusdegrés Celsius. C'est comme la surface d'une étoile modérément chaude, pas les millions de degrés attendus du gazgaz chaud autour d'un trou noir supermassif.

    La taille déduite de la matière brillante autour du trou noir est encore plus étrange : plusieurs fois plus grande que notre Système solaireSystème solaire et s'étendant rapidement loin du trou noir à quelques pour cent de la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière.

    Sachant qu'un trou noir d'une massemasse d'un million de masses solaires est à peine plus grand que notre SoleilSoleil, la taille énorme de la boule de matière brillante déduite des observations a été une surprise totale.

    Les astrophysiciens ont émis l'hypothèse que le trou noir devait être en quelque sorte étouffé par la matière lors de la perturbation pour expliquer l'absence d'émissionémission de rayons X, mais jusqu'à présent personne n'a été en mesure de montrer comment cela se produit réellement. C'est là que nos simulations entrent en jeu ».

    Des soleils-trous noirs qui émergent des simulations sur surperordinateur

    Price et ses collègues ont donc décidé d'utiliser l'un des superordinateurssuperordinateurs les plus puissants d'Australie pour y voir plus clair en ce qui concerne le processus d'accrétion de la matière de l'étoile subissant un TDE. Il leur a fallu tout de même plus d'un an de calculs pour obtenir des réponses et des images extraites de la simulation que l'on peut maintenant voir dans les vidéos ci-dessous. Elles montrent ce qui se passe sur une année lorsqu'une étoile de la masse du Soleil subit un TDE avec un trou noir supermassif de Kerr en rotation, contenant de l'ordre du million de masses solaires et décrit dans le cadre de la théorie de la relativité généralerelativité générale.

    Il apparaît maintenant que 1 % seulement de la matière qui tombe vers le trou noir génère tellement de chaleurchaleur que cela alimente un flux de rayonnement extrêmement puissant et presque sphérique. En conséquence, ce n'est pas vraiment un disque d'accrétion qui se forme mais l'équivalent de l'enveloppe d'une étoile autour d'un corps qui serait un trou noir, ce qui n'est pas sans rappeler ce que l'on appelle un objet de Thorne-Żytkow (TŻO ou TZO). Il s'agit d'un scénario envisagé il y a plus de 20 ans avec des calculs analytiques par Abraham Loeb et Andrew Ulmer.

    Ce qui fait dire à Daniel Price que « la nouvelle simulation révèle pourquoi les TDE ressemblent en réalité à une étoile de la taille du Système solaire qui se dilate à quelques pourcents de la vitesse de la lumière, alimentée par un trou noir à l'intérieur. En fait, on pourrait même l'appeler un soleil-trou noir ».


    Voici le premier extrait d'une série au sujet de la simulation d'un TDE avec une étoile qui s'approche d'un trou noir supermassif sur une orbite parabolique. La moitié de l'étoile se retrouve liée au trou noir tandis que l'autre moitié continue son voyage. © Daniel Price

    Dans ce film, une étoile d'une masse solaire s'approche d'un trou noir sur une orbite marginalement liée (parabolique). La moitié de l'étoile se retrouve toujours liée au trou noir tandis que l'autre moitié continue son voyage. Ce n'est pas une bonne situation pour l'étoile, qui s'étire en une longue ligne fine. Les débris les plus liés retournent d'abord au trou noir, mais après avoir traversé le péricentre, l'avancée absidale de l'orbite causée par la relativité générale provoque l'auto-intersection du flux. Il en résulte une petite quantité de matière qui peut tomber sur le trou noir lui-même, générant ainsi beaucoup de chaleur. Cela entraîne de fortes sorties de masse, où les débris faiblement liés sont progressivement chassés du trou noir. Ces débris faiblement liés sont optiquement épais et deviennent visibles dans les télescopes sous la forme d'une émission transitoire dans le visible qui dure des mois à des années, connu sous le nom de TDE. Ce film montre la densité dans la simulation sur une échelle de couleurs logarithmique. © Daniel Price

    Dans ce film, c'est encore une étoile d'une masse solaire qui s'approche d'un trou noir sur une orbite marginalement liée (parabolique). La moitié de l'étoile se retrouve liée au trou noir. L'étoile s'étire encore en une longue ligne fine qui alimente le trou noir. Le résultat de cette alimentation est une boule de matière optiquement épaisse qui grandit autour du trou noir. Ici, la visualisation montre une « vue d'observateur » de la bulle en expansion, montrant la densité et la température à la dernière surface de diffusion. C'est plus ou moins ce qui est observé par les télescopes dans le visible : une boule de matière optiquement épaisse en expansion de 10 à 100 UA (unité astronomique) avec une température photosphérique d'environ 10 000 K et qui s'étend à des vitesses d'environ 10 000 km/s. La simulation permet donc d'expliquer certains des mystères clés de la raison pour laquelle les TDE sont observés principalement aux longueurs d'onde dans le visible. © Daniel Price