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La mécanique des fluides, ou hydrodynamique, s'applique à un nombre étonnamment varié de phénomènes naturels. Les équations de Navier-Stokes en sont à la base et, combinées à d'autres lois (comme celles de la thermodynamique, celle de la conduction de la chaleur de Fourier ou encore les équations de Maxwell), permettent de comprendre par exemple la convection dans le manteaumanteau à l'origine de la dérive des continents, la naissance du Système solaireSystème solaire ou encore les tourbillons océaniques.
Les physiciensphysiciens ont donc remarqué depuis longtemps qu'un phénomène découvert au sein d'un fluide dans un domaine donné, que ce soit en géophysique ou en astrophysiqueastrophysique, pouvait se retrouver sous une forme analogue dans un autre fluide. Une équipe internationale d'astrophysiciensastrophysiciens vient de le démontrer une fois de plus dans un article déposé sur arxiv. Les chercheurs ont découvert un nouvel avataravatar de la célèbre instabilité de Rayleigh-Taylor, ainsi nommée en hommage aux physiciens britanniques lord Rayleigh et Geoffrey Ingram Taylor, mais cette fois-ci à l'occasion d'une éjection de massemasse coronale du SoleilSoleil. Le plus fascinant dans cette découverte est sans doute le fait que les manifestations de cette instabilité dans le plasma solaire ressemblent à celles que l'on connaissait déjà dans les restes d'une supernovasupernova fameuse, celle de la nébuleuse du Crabe.
Une tempête solaire se déchaînait à la surface du Soleil le 7 juin 2011. Le satellite SDO a été témoin du phénomène et comme le montrent les images de cette vidéo, des paquets de plasma lancés à travers l'atmosphère solaire sont retombés à la surface de la photosphère. © UCL Mathematical and Physical Sciences, YouTube
Spectaculaire instabilité de Rayleigh-Taylor dans le Soleil
L'instabilité de Rayleigh-Taylor se produit dans un milieu comportant deux fluides de densité différente stratifiésstratifiés dans un champ de gravitégravité où le plus dense est initialement au-dessus. Cette situation n'est pas stable, de sorte que le fluide le plus lourd va commencer à développer des sortes de panaches qui vont pénétrer le fluide le plus léger, alors que celui-ci va développer des panaches analogues qui vont s'élever. En océanographie, il existe un phénomène qui ressemble à l'instabilité de Rayleigh-Taylor par ses manifestations, mais qui a une autre origine (l'instabilité de double diffusiondiffusion). Il se forme ainsi des « doigts de sel » lorsqu'une couche d'eau particulièrement salée et chaude se retrouve au-dessus d'une couche qui l'est moins.
En comparant l'image du haut prise par Hubble et celle du bas qui est l’œuvre de SDO, on remarque que les restes de la supernova à l'origine de la nébuleuse du Crabe (en haut) ont une structure en forme de filaments se subdivisant, qui ressemble beaucoup à celle observée lors d'une éjection de masse coronale géante le 7 juin 2011 (en bas). Un même phénomène physique est à l'œuvre : l'instabilité de Rayleigh-Taylor. © Image du haut : Nasa, Esa, Alison Loll, Jeff Hester ; image du bas : Nasa, SDO
Lorsqu'on observe les restes de la supernovarestes de la supernova de l'an 1054 avec un télescopetélescope comme HubbleHubble, on voit clairement l'instabilité de Rayleigh-Taylor à l'œuvre. Une partie de la matièrematière de la nébuleuse du Crabenébuleuse du Crabe est en train de retomber en direction de l'étoile à neutrons qui en occupe le centre, vestige de l'étoileétoile qui a explosé à environ 6.300 années-lumièreannées-lumière du Soleil. Des « doigts de plasma » plus denses se sont formés et se sont subdivisés à leur tour plusieurs fois en raison de cette instabilité hydrodynamique. Toutefois, en 1996, on a découvert que les tailles des panaches de matière plus dense retombant en direction du pulsarpulsar du Crabe étaient plus élevées que prévu. L'explication du phénomène a été trouvée : il s'agissait de l'influence du champ magnétiquechamp magnétique particulièrement intense régnant dans la nébuleuse.
La magnétosphèremagnétosphère du Soleil et son influence sur le plasma dans son atmosphèreatmosphère, voilà aussi ce que les astrophysiciens cherchaient à mieux comprendre lorsqu'ils ont analysé les observations de la plus grande éjection de masse coronale observée par le satellite SDOSDO le 7 juin 2011. Comme le plasma solaire éjecté à cette occasion était plus dense que celui de l'atmosphère solaire, on pouvait s'attendre à ce que l'instabilité de Rayleigh-Taylor se manifeste avec éclat. C'est bien ce qu'ont montré les images de SDO. Surtout, la taille des « doigts de plasma » reflétait là aussi l'influence perturbatrice du champ magnétique du Soleil. On était donc bien en présence d'instabilités de Rayleigh-Taylor magnétiques similaires à celles dans la nébuleuse du Crabe. C'est la manifestation la plus spectaculaire de ce phénomène observé avec notre étoile à ce jour.