Le carbone de nos protéines et de notre ADN, ainsi que celui des matières carbonées dans des comètes comme 67P/Tchouryumov-Gerasimenko, prend naissance au cœur des étoiles massives. Mais comment se retrouve-t-il précisément dans des planètes, comme ce fut le cas dans notre Système solaire ? Les astrophysiciens cherchent des indices pour résoudre cette énigme en utilisant le télescope spatial James-Webb.


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    « Nous savons que le carbone est nécessaire à la formation de planètes rocheusesplanètes rocheuses et de systèmes solaires comme le nôtre. C'est passionnant d'avoir un aperçu de la façon dont les systèmes d'étoiles binairesbinaires non seulement créent de la poussière riche en carbone, mais la propulsent également dans notre voisinage galactique », explique dans un communiqué de la Nasa Jennifer Hoffman, co-auteure d'un article publié dans Astrophysical Journal Letters et professeure à l'Université de Denver. L'astrophysicienne et ses collègues viennent en effet de remettre sur le devant de l'actualité Wolf-Rayet 140, un astre que les chercheurs étudient depuis un moment déjà et tout dernièrement avec les instruments du télescope spatialtélescope spatial James-Webb (JWSTJWST). Il s'agit d'un système binairesystème binaire déjà étudié avec le télescope Hubble et qui se trouve à environ 5 600 années-lumièreannées-lumière du Système solaire dans la Voie lactée quand on regarde dans la direction de la constellationconstellation du Cygne.

    Dans de précédents articles à son sujet, Futura avait justement déjà expliqué que tout comme le télescope Hubble, le JWST pouvait apporter des contributions dans bien des questions d'astrophysiqueastrophysique et de cosmologiecosmologie. Elles ne se limitent pas à l'étude des premières galaxiesgalaxies ou à l'analyse de la composition chimique des atmosphèresatmosphères d'exoplanètesexoplanètes. On sait, par exemple, que la poussière interstellairepoussière interstellaire composant environ 1 % des nuagesnuages moléculaires denses et froids est un ingrédient clé dans la formation des étoiles et des planètes. Or il se trouve que les divers processus de production de cette poussière ne sont pas encore aussi bien compris que les cosmochimistes et astrophysiciensastrophysiciens le voudraient.

    Le saviez-vous ?

    On connaît les étoiles de Wolf-Rayet depuis 1867. Elles ont été découvertes, comme leur nom le suggère, par Charles Wolf et Georges Rayet, de l'Observatoire de Paris en observant trois étoiles de la constellation du Cygne pour y faire des études relevant d’une toute jeune discipline alors en plein développement suite aux travaux du physicien allemand Gustav Kirchhoff et du chimiste Robert Bunsen : la spectroscopie.

    Ces étoiles apparaissaient comme anormales du fait de la présence d'étranges raies spectrales en émission d'origine alors inconnue. Les astrophysiciens du XXe siècle vont comprendre que les étoiles WR sont des étoiles massives dépassant les 10 masses solaires que l’on observe en fin de vie alors que des instabilités les conduisent à expulser une partie de leurs couches supérieures, en prélude à des explosions en supernovae de type SN II.

    Elles ne vivent donc que quelques millions d’années tout au plus sur la séquence principale en synthétisant des éléments, comme le carbone et l’oxygène, avant de s’effondrer gravitationnellement. L’explosion laissera alors comme cadavre stellaire une étoile à neutrons et pour les plus massives des étoiles, parfois des trous noirs stellaires.

    C'est pourquoi, pour y voir plus clair, des programmes d'études des systèmes d'étoiles doubles connus sous le nom de binaires Wolf-Rayet (WR) à ventsvents en collision étaient en cours avec le JWST. Ce sont, en effet, des producteurs de poussière efficaces dans l'UniversUnivers local actuel et surtout, pense-t-on, des exemples représentatifs d'autres binaires à vents en collision qui existaient probablement dans les premières galaxies.

    On sait depuis des décennies que WR 140 est une étoile double massive comprenant une étoile Wolf-Rayet de type WC7 et une étoile O5, probablement une supergéante bleuesupergéante bleue. Les deux étoiles soufflent des vents stellaires rapides (environ 3 000 km/s) sous l'effet de la pression de radiationpression de radiation produite par des luminositésluminosités de 103 à 104 fois celle du SoleilSoleil. Ce qui entraîne donc des pertes de massemasse significative, environ 10-5 et 10-6 masses solaires/an.

    Des bulles géantes de poussière

    Les récentes images du JWST sont en fausses couleurscouleurs car prises dans l'infrarougeinfrarouge. Elles exhibent les huit branches produites par le phénomène de diffractiondiffraction avec les miroirsmiroirs du télescope (voir sur ce phénomène, l’ouvrage culte sur l’optique de Eugene Hecht). C'est donc un artefact, mais ce n'est pas le cas de la série d'arcs de cercle entourant la binaire centrale sur ces images.

    Il s'agit de coquilles de gazgaz qui apparaissent comme des anneaux parce que les bords de ces coquilles, qui ne sont pas perpendiculaires à la vue de l'observateur, représentent le rayonnement de « colonnes » de matièrematière plus épaisse sur la ligne de visée.

    L'existence de ces coquilles n'est pas mystérieuse et on comprend comment elles sont produites périodiquement tous les 7,94 ans environ. Environ 20 anneaux sont visibles et, selon les astrophysiciens, le plus jeune est né en 2016. Mais comment le savent-ils ?


    Cette animation montre la production de poussière dans le système stellaire binaire WR 140 lorsque l'orbite de l'étoile Wolf-Rayet se rapproche de l'étoile de type O et que leurs vents stellaires entrent en collision. Les vents plus forts de l'étoile Wolf-Rayet soufflent derrière l'étoile O, et de la poussière se crée dans son sillage lorsque le matériau stellaire mélangé se refroidit. Au fur et à mesure que le processus se répète, la poussière formera une coquille. © Nasa, ESA, et J. Olmsted (STScI)

    La détermination des paramètres orbitaux des étoiles de WR 140 montre qu'elles sont sur des orbitesorbites respectives assez excentriquesexcentriques, de sorte qu'elles se rapprochent de façon conséquente en atteignant pour l'une d'elles son périastrepériastre (la distance la plus courte les séparant) environ tous les 7,94 ans justement.

    La collision entre les vents stellaires produits par les deux astres est assez violente à ce moment-là, et naît alors une bulle de matière en expansion, qui en se refroidissant va faire se condenser des poussières. Ce sont ces poussières qui chauffées par le rayonnement ultravioletultraviolet des deux jeunes étoiles massives vont se refroidir ensuite en rayonnant dans l'infrarouge, révélant au regard du JWST les coquilles en expansion. On peut ainsi voir des sortes de stratesstrates témoignant de l'histoire passée pendant 160 ans environ de la binaire.


    Cette vidéo alterne entre deux observations du télescope spatial James-Webb de Wolf-Rayet 140, un système à deux étoiles qui a émis plus de 17 coquilles de poussière en 130 ans. Les observations en lumière infrarouge moyenne les mettent en évidence avec une excellente clarté. En comparant ces deux observations, prises à seulement 14 mois d'intervalle, les chercheurs ont montré que la poussière du système s'est étendue. Toute la poussière de chaque coquille se déplace à près de 1 % de la vitesse de la lumière. Les étoiles sont très brillantes, ce qui a conduit aux pics de diffraction dans les deux images. Il s'agit d'artefacts, pas de caractéristiques significatives. © Joseph DePasquale ; Space Telescope Science Institute, National Aeronautics and Space Administration, Agence spatiale européenne, Agence spatiale canadienne

    Des coquilles de poussière qui se dilatent à plus de 2 600 kilomètres par seconde !

    Le communiqué de la Nasa précise que les vents stellaires de chaque étoile de la binaire WR 140 s'entrechoquent périodiquement (pendant plusieurs mois tous les huit ans), de sorte que la matière se comprime et de la poussière riche en carbone se forme. Les dernières observations de Webb montrent 17 coquilles de poussière brillant dans la lumière infrarouge moyenne qui se dilatent donc à intervalles réguliers dans l'espace environnant à plus de 2 600 kilomètres par seconde.

    Ce qui fait dire à Emma Lieb, auteure principale du nouvel article et doctorante à l'Université de Denver, dans le Colorado, que le JWST « a non seulement confirmé que ces coquilles de poussière sont réelles, mais ses données ont également montré que les coquilles de poussière se déplacent vers l'extérieur à des vitessesvitesses constantes, révélant des changements visibles sur des périodes de temps incroyablement courtes », ce qui fait également dire à Jennifer Hoffman que « nous avons l'habitude de penser que les événements dans l'espace se déroulent lentement, sur des millions ou des milliards d'années. Dans ce système, l'observatoire montre que les coquilles de poussière se dilatent d'une année à l'autre ».

    Deux images dans l’infrarouge moyen prises par le télescope spatial James-Webb de la Nasa sur Wolf-Rayet 140 montrent de la poussière riche en carbone se déplaçant dans l’espace. À droite, les deux triangles des images principales sont mis en correspondance pour montrer la différence que font 14 mois : la poussière s’éloigne des étoiles centrales à près de 1 % de la vitesse de la lumière. Ces étoiles se trouvent à 5 000 années-lumière de nous dans notre Galaxie, la Voie lactée. © Nasa, ESA, CSA, STScI ; Science : Emma Lieb (Université de Denver), Ryan Lau (NSF NOIRLab), Jennifer Hoffman (Université de Denver)
    Deux images dans l’infrarouge moyen prises par le télescope spatial James-Webb de la Nasa sur Wolf-Rayet 140 montrent de la poussière riche en carbone se déplaçant dans l’espace. À droite, les deux triangles des images principales sont mis en correspondance pour montrer la différence que font 14 mois : la poussière s’éloigne des étoiles centrales à près de 1 % de la vitesse de la lumière. Ces étoiles se trouvent à 5 000 années-lumière de nous dans notre Galaxie, la Voie lactée. © Nasa, ESA, CSA, STScI ; Science : Emma Lieb (Université de Denver), Ryan Lau (NSF NOIRLab), Jennifer Hoffman (Université de Denver)

    Ces coquilles peuvent persister plus de 130 ans, de sorte qu'au cours de la vie de l'étoile de WR, des dizaines de milliers de coquilles de poussière (chacune étant aussi petite qu'un centième de la largeur d'un cheveu humain) sur des centaines de milliers d'années verront le jour.

    On sait en effet grâce à la théorie de l'évolutionthéorie de l'évolution stellaire bien corroborée par les observations que des étoiles au moins 10 fois plus massives que le Soleil ne peuvent vivre que quelques millions d'années tout au plus avant d'exploser en supernovasupernova laissant comme cadavre stellaire une étoile à neutronsétoile à neutrons ou un trou noirtrou noir, voire d'imploser directement en trou noir.


    Extrait du documentaire Du Big Bang au vivant, associé au site du même nom, un projet multiplateforme francophone sur la cosmologie contemporaine. Jean-Pierre Luminet parle de la mort des étoiles massives, leur explosion en supernova et la formation de pulsars. © ECP Productions, YouTube