Grâce au télescope spatial James-Webb, des chercheurs de l'université de Copenhague sont devenus les premiers à observer la formation de trois des premières galaxies du cosmos observable, il y a plus de 13 milliards d'années. Les observations du JWST semblent compatibles avec le paradigme de la naissance et de la croissance des galaxies devenu de plus en plus dominant depuis une décennie et connu sous le nom de la  théorie des Stream-Fed Galaxies (SFG).


au sommaire


    Le modèle cosmologique standard est avec nous depuis plus de deux décennies maintenant. On sait qu'il suppose l'existence d'une mystérieuse énergie noire accélérant l'expansion de l'Univers observable depuis un peu plus de 5 milliards d'années et de toutes aussi mystérieuses particules dites de matière noirematière noire encore jamais vues directement dans des collisions en accélérateur de particules ou indirectement dans les rayons cosmiques par leurs produits possibles de désintégration, pour ne citer que ces modes de découvertes de la matière noire utilisés.

    Découvrez le télescope spatial James-Webb aux côtés d'Astropierre dans cet épisode de Futura dans les Étoiles. © Futura 

    On espère y voir plus clair en ce qui concerne cet univers sombre avec des instruments comme Euclid. En attendant, on peut aussi utiliser le télescope spatial James-Webb (JWST) pour remonter plus loin dans les stratesstrates de lumière du cosmoscosmos que la noosphère ne l'avait fait avec Hubble, pour tenter de décrypter les arcanes de la naissance et de la croissance des premières galaxies grâce à la matière noire.


    Depuis 13,8 milliards d’années, l’Univers n’a cessé d’évoluer. Contrairement à ce que nous disent nos yeux lorsque l’on contemple le ciel, ce qui le compose est loin d’être statique. Les physiciens disposent des observations à différents âges de l’Univers et réalisent des simulations dans lesquelles ils rejouent sa formation et son évolution. Il semblerait que la matière noire ait joué un grand rôle depuis le début de l’Univers jusqu’à la formation des grandes structures observées aujourd’hui. © CEA Recherche

    Des naissances galactiques trahies par des spectres dans l'infrarouge

    Une équipe internationale menée par des chercheurs membres du Cosmic Dawn Center (DawnDawn) de l'université de Copenhague au Danemark vient de publier dans le journal Science un article dont une version est disponible sur arXiv et qui fait état justement d'observations intéressantes concernant ces galaxies. On apprend aussi dans un communiqué de la NasaNasa accompagnant cet article que des analyses de données du JWST ont livré trois galaxies qui pourraient être vues en train de se former activement alors que l'Univers n'avait que 400 à 600 millions d'années.

    « Ces galaxies sont comme des îles scintillantes dans une mer de gazgaz autrement neutre et opaque. Sans Webb, nous ne serions pas en mesure d'observer ces toutes premières galaxies, et encore moins d'en apprendre autant sur leur formation », y déclare Kasper Heintz, auteur principal de l'article de Science et professeur adjoint d'astrophysiqueastrophysique au Dawn.

    Le communiqué de Dawn précise que les chercheurs « ont pu mesurer la formation des premières galaxies de l'Univers en utilisant des modèles sophistiqués montrant comment la lumière de ces galaxies était absorbée par le gaz neutre situé à l'intérieur et autour d'elles. Cette transition est connue sous le nom de transition Lyman-alpha. En mesurant la lumière, les chercheurs ont pu distinguer le gaz des galaxies nouvellement formées des autres gaz. Ces mesures n'ont été possibles que grâce aux capacités du spectrographespectrographe infrarougeinfrarouge incroyablement sensible du télescope spatial James-Webb ».

    Ce qui est fascinant c'est que ces données semblent soutenir le paradigme de la croissance des galaxies qui s'est mis en place il y a un peu plus d'une décennie et qui remplace l'ancien, comme l'avait expliqué à Futura l'un des chercheurs responsables de cette révolution dans une interview qu'il nous avait accordée, le Français Romain Teyssier, professeur de sciences astrophysiques et de mathématiques appliquées et informatiques à l'université de Princeton.

    Selon ce paradigme, la croissance des galaxies, accompagnée de la naissance de nouvelles étoilesétoiles, est essentiellement produite par des filaments de matière noire canalisant des courants d'hydrogènehydrogène et d'héliumhélium froids neutres. On peut penser que le JWST détecterait précisément ce phénomène via les spectresspectres de ces galaxies lointaines fournis par l'instrument NIRSpecNIRSpec (spectrographe proche infrarouge) du télescope. Ces spectres issus de transitions quantiques entre les niveaux d'énergieénergie des atomesatomes d'hydrogène et d'hélium sous l'effet d'un rayonnement trahiraient la présence d'accumulations massives de ces gaz sous forme neutre autour de ces galaxies de sorte que, comme l'explique Simone Nielsen, co-auteur et doctorante également basée à Dawn, « nous nous éloignons d'une image des galaxies comme d'écosystèmesécosystèmes isolés. À ce stade de l'histoire de l'Univers, les galaxies sont toutes intimement liées au milieu intergalactique avec ses filaments et ses structures de gaz vierge ».

    Pour comprendre un peu mieux le contexte de cette découverte rappelons ce que Futura avait déjà expliqué il y a quelques années.


    Une conférence de Romain Teyssier sur la cosmologie numérique appliquée à la naissance et l'évolution des galaxies. Les simulations débutent avec comme conditions initiales les contraintes sur les fluctuations de densité de matière environ 400 000 ans après le Big Bang telles que nous l'enseigne la carte du rayonnement fossile dressée avec le satellite Planck. Le chercheur explique surtout que selon l'acuité de la modélisation de la physique des baryons (notamment avec une résolution de plus en plus grande en ce qui concerne les échelles d'espace et de temps dans les simulations) avec la formation des étoiles et pas seulement en tenant compte de la physique de la matière noire, une grande diversité de phénomènes et surtout de formes de galaxies apparaît. © Collège de France

    Un nouveau paradigme pour la croissance des galaxies

    Il y a plus de 20 ans, les cosmologistes faisaient croître en grande partie les galaxies à l'aide de fusionsfusions entre des galaxies nainesgalaxies naines primordiales et par collisions entre ces galaxies et celles de plus grande taille résultant des fusions précédentes. Les phénomènes accompagnant ces collisions et fusions (bien observées avec le télescope Hubble) - apports de gaz frais, ondes de choc entre les massesmasses de gaz des galaxies - étant naturellement producteurs de flambées dans la formation stellaire. De même, les apports soudains de gaz étaient de nature à expliquer l'allumage des quasars du fait de chutes d'importantes quantités de matière en direction des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs au cœur des galaxies, et qui sont derrière les formidables quantités d'énergie faisant briller ces astresastres.

    Sauf que l'on observe parmi les premières galaxies des formations fiévreuses de nouvelles étoiles, et des allumages de quasarsquasars, alors que l'on est visiblement dans peu de cas en présence de fusions (en cours ou tout juste achevées) de galaxies.

    Toutes ces raisons ont fait que les tenants du modèle cosmologique standard avec la matière noire froide, celui esquissé au début des années 1980 par le prix Nobel de physique James Peebles, ont finalement tenté de résoudre ces énigmes tout en conservant ce modèle à l'aide de simulations tenant compte de tous les détails de la physiquephysique de la matière baryonique ordinaire s'effondrant gravitationnellement avec l'aide de la matière noire pour former et faire grandir les galaxies. Il s'agira en particulier, grâce au progrès en puissance de calcul des ordinateursordinateurs du XXIe siècle, d'introduire les effets de la formation des étoiles et des trous noirs supermassifs avec les conséquences que ces astres peuvent avoir par leurs rayonnements et leurs explosions.


    Un extrait de la simulation numérique 3D MareNostrum (voir les explications ci-dessous) reproduisant 13 milliards d’années de l’évolution de l’Univers depuis l’état homogène de l’après-Big Bang jusqu’aux galaxies spirales actuelles. Réalisation : Romain Teyssier (CEA), Taille : 50 millions d’années-lumière. © CEA Astrophysique

    Ainsi, il y a un peu plus de 10 ans, alors qu'il était en poste au CEA, Romain Teyssier avait publié dans Nature, avec ses collègues français et israéliens, des résultats importants concernant la formation des galaxies. Ils avaient été obtenus en utilisant l'un des plus puissants superordinateurssuperordinateurs du monde, appelé MareNostrum, en fonction au Centre de calcul de Barcelone. Il s'agissait d'effectuer précisément des simulations numériquessimulations numériques, fruit du travail conjoint d'informaticiens et d'astrophysiciensastrophysiciens, en tenant compte, avec la matière noire, de la présence de la matière normale. Au bout de quatre semaines de calcul intensif, réalisé en parallèle sur plus de 2 000 processeurs, les chercheurs ont alors vu les manifestations de la nouvelle théorie qui ne faisait pas naître et croître les galaxies selon les scénarios précédemment envisagés et étudiés.

    Selon cette théorie, dite des Stream-Fed Galaxies (SFG), la matière noire est bien toujours présente. Mais elle canalise dans ses grumeaux et ses filaments des courants de gaz baryoniques froids. C'est à l'intersection des filaments que naîtraient et surtout croîtraient les galaxies d'après les simulations.

    Les collisions entre galaxies jouaient alors un rôle mineur et les flambées d'étoiles observées dans les jeunes galaxies pouvaient donc bien s'expliquer grâce à l'alimentation en matière baryonique des filaments. Des effets de turbulenceturbulence seraient aussi présents, contribuant à expliquer la rotation des galaxies.

    Avec le James-Webb, nous allons pouvoir maintenant tenter de répondre à plusieurs questions concernant ces filaments froids de matière comme le mentionne toujours le communiqué de la Nasa : « Où se trouve précisément le gaz ? Quelle quantité se trouve à proximité du centre des galaxies - ou à leur périphérie ? Le gaz est-il vierge ou déjà peuplé d'éléments plus lourds ? ». Pour cela, Kasper Heintz conclut que « la prochaine étape consiste à créer de grands échantillons statistiques de galaxies et à quantifier en détail la prévalenceprévalence et l'importance de leurs caractéristiques ».