Faudra-t-il vraiment pénétrer dans les océans globaux d'Europe et Encelade, les lunes glacées de Jupiter et Saturne, pour y détecter de la vie ou suffira-t-il d'analyser en surface les glaces de ces mondes ? Une équipe de chercheurs vient d'apporter des éléments de réponse.


au sommaire


    Peu de gens savent sans doute qu'au début du XXe siècle on pensait que les planètes du Système solaire s'étaient formées à partir d'un courant de matière arraché au Soleil par les forces de marée d'une étoile passée trop près. C'est à partir de ce courant de plasma chaud en refroidissement qu'elles seraient nées et pas par effondrementeffondrement gravitationnel d'une nébuleusenébuleuse protoplanétaire froide contenant de la poussière selon la théorie postulée par Kant et Laplace.

    Les passages rapprochés d'étoiles étant rares dans la Voie lactéeVoie lactée, on en déduisait que la formation des Systèmes planétaires l'était tout autant. Le nôtre, et donc la Terre, devait donc être une exception et non la règle. On sait que la seconde moitié du XXe siècle a tout chamboulé à cet égard avec le retour du modèle de Kant-Laplace et la détection des premières exoplanètesexoplanètes au point que l'on pense maintenant que la formation d'un cortège planétaire est la règle, ce qui laisse penser qu'il existe de très nombreuses exoterresexoterres potentiellement habitables dans notre GalaxieGalaxie.

    En est-il de même pour l'apparition de la vie ou faut-il faire l'hypothèse d'une Terre et de sa biosphèrebiosphère rare comme le pense Jean-Pierre Bibring ? Peut-être le saura-t-on au cours du XXIe siècle en découvrant de la vie dans le Système solaire.

    Les exobiologistes sont à cet égard de plus en plus excités par les perspectives avec deux luneslunes glacées du Système solaire, Europe autour de JupiterJupiter et EnceladeEncelade autour de SaturneSaturne, comme le montrent plusieurs des vidéos de la NasaNasa et tout récemment un article dans Astrobiology.


    Europe et son océan global sont prometteurs pour l'exobiologie. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa

    Europe, sa banquise et son océan

    Il provient d'une équipe de chercheurs principalement du Goddard Space Flight CenterGoddard Space Flight Center de la Nasa à Greenbelt, Maryland et menée par Alexander Pavlov. On avait déjà étudié la capacité des moléculesmolécules organiques essentielles pour la vie, à savoir des acides aminésacides aminés (les briques des protéinesprotéines) et des acides nucléiquesacides nucléiques comme l'ARNARN, à pouvoir survivre dans des glaces ailleurs dans le Système solaire avec des expériences en laboratoire sur Terre, mais jamais en reproduisant aussi le bombardement des rayons cosmiquesrayons cosmiques que l'on sait exister à la surface des lunes glacées autour des géantes gazeusesgéantes gazeuses.

    Quelles chances des atterrisseurs robotiquesrobotiques envoyés sur ces lunes pour rechercher des signes de vie auraient-ils de les trouver sous cette forme ? Telle était la question à laquelle ces exobiologistes ont voulu répondre.

    Pour mieux comprendre de quoi il s'agissait, faisons quelques rappels d'explications déjà données par Futura dans de précédents articles où lorsque l'on envisageait de chercher une forme de vie ailleurs que sur Terre dans le Système solaire, le nom d'Europe (Europa en anglais), l'une des principales lunes de Jupiter, revenait souvent. Les missions Voyager ont révélé qu'elle était couverte d'une banquisebanquise peu cratérisée comparativement à la surface de la Lune. Elle est donc jeune, sans quoi elle aurait gardé la mémoire des multiples impacts qu'elle a dû subir. La découverte du volcanismevolcanisme sur Io a accrédité l'idée que les forces de marée qui chauffent l'intérieur d'IoIo doivent aussi, dans une moindre mesure, chauffer l'intérieur d'Europe.

    Planétologues et exobiologistes n'ont pas tardé à en tirer les conclusions qui s'imposaient. La surface d'Europe devait être l'analogue de la banquise sur Terre et recouvrir un océan d'eau liquideliquide. Cet océan pouvait abriter des formes de vie tirant leur énergieénergie par chimiosynthèsechimiosynthèse à partir de cheminées hydrothermales issues du volcanisme, comme on en avait découvert sur Terre pendant les années 1970. Cette hypothèse a depuis lors été largement médiatisée notamment par les œuvres d'Arthur Clarke. Elle fait rêver, et il est même possible que la meilleure chance d'étudier un jour une forme de vie extraterrestre se trouve dans l'océan d'Europe, et pas quelque part sur Mars.

    Pour en avoir le cœur net, la première idée qui vient à l'esprit est qu'il faudrait envoyer un robotrobot d'exploration dans cet océan, mais toute la question est de savoir si la banquise d'Europe est suffisamment mince pour que ce robot puisse se frayer un passage en faisant fondre la glace pour accéder à l'océan d'Europe.


    Une présentation de la mission Europa Clipper. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa, JPL

    Des traces de vie qui résistent aux rayons cosmiques ?

    Sauf que le niveau de radiations au voisinage d'Europe est considérable, de sorte qu'une sonde devrait posséder une électronique particulièrement durcie, comme on dit dans le jargon, pour supporter ce niveau de rayonnement suffisamment longtemps pour espérer faire des découvertes en orbiteorbite autour d'Europe, voire en se posant carrément sur la surface de la lune. C'est d'ailleurs en partie pour cette raison que la mission Juice de l'ESAESA va plutôt étudier Ganymède et CallistoCallisto, qui possèdent elles aussi un océan souterrain, bien que moins spectaculaire, mais qui sont surtout exposées à bien moins de radiations. Même la mission Europe Clipper, spécifiquement destinée à l'étude d'Europe, se contentera de survolssurvols rapprochés transitoires pour minimiser l'effet des radiations en étant le plus souvent à grande distance de Jupiter et d'Europe. Enfin, on ne connaît pas vraiment non plus l'épaisseur de la banquise d'Europe, qui pourrait peut-être être trop importante pour assurer le succès d'une mission avec un tunnelier, fut-il nucléaire.

    Heureusement, il existe des moyens de contourner ces problèmes. Déjà, nous disposons d'observations de plus en plus solidessolides démontrant l'existence de geysers, s'élevant parfois de la surface d'Europe. Il suffirait peut-être d'un passage avec des détecteurs adéquats à l'intérieur de ces geysersgeysers pour mettre en évidence la présence de molécules organiques complexes, incontestablement liées à la vie telle que nous la connaissons. Dans le cas contraire, on ne pourrait tirer aucune conclusion.

    Cette vue des terrains chaotiques d'Europe est large de 238 par 225 kilomètres. Elle a été prise par la sonde Galileo, et fait penser à la banquise terrestre. © Nasa
    Cette vue des terrains chaotiques d'Europe est large de 238 par 225 kilomètres. Elle a été prise par la sonde Galileo, et fait penser à la banquise terrestre. © Nasa

    Autre possibilité. Si l'on en croit le grand physicienphysicien Freeman Dyson, hélas décédé, l'idée de forer à travers les glaces d'Europe est probablement une perte de temps. Il a fait remarquer que les observations de la surface de la lune de Jupiter par les sondes Voyager montraient que sa banquise était couverte de zones de fracture. La mission Galileo a largement confirmé ces observations, et elle a fourni des images détaillées de zones que l'on appelle des terrains chaotiques (ou terrains de chaos), en particulier à proximité de l'équateuréquateur d'Europe. En exogéologie, un terrain de chaos est une surface planétaire où les zones de crête, de fissure et de plaine sont confuses et mêlées les unes aux autres. Dans le cas d'Europe, cela fait parfois penser à la banquise en débâcle qui aurait brutalement gelé à nouveau.

    Selon Dyson, cela impliquerait que de l'eau de l'océan d'Europe remonte naturellement en surface, et surtout que la glace est suffisamment peu épaisse pour que cela soit arrivé aussi lors d'impacts d'astéroïdes. Non seulement il se pourrait que l'on trouve en surface des blocs de glace contenant des formes de vie prises au piège à l'occasion de ces remontées d'eau liquide, mais la banlieue d'Europe pourrait aussi bien être remplie d'échantillons de son océan éjectés en orbite à l'occasion de ces impacts. Inutile de chercher à pénétrer dans l'océan d'Europe et peut-être même de s'y poser, selon le physicien. Il suffirait d'envoyer une sonde inspecter des fragments de la banquise d'Europe dans l'espace. L'idée est particulièrement ingénieuse, surtout lorsqu'on se rappelle que la nature a déjà mis gracieusement à notre disposition depuis longtemps des échantillons de la surface de la Lune et de Mars sous forme de météorites terrestres.


    Sous sa surface glacée, Encelade, la lune glacée de Saturne, réserve de nombreuses surprises : un réservoir d'eau liquide, des composés chimiques organiques et des sources hydrothermales. Découvrez ce que vous devez savoir sur Encelade, un monde océanique qui peut offrir des conditions favorables à la vie. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa

    Encelade, une clé de l'exobiologie ?

    Venons-en maintenant au cas d'Encelade, qui a la particularité d'être moins sujette aux bombardements des rayons cosmiques qu'Europe et qui est aussi recouverte d'une banquise globale d'où s'élèvent des geysers et où il serait donc plus facile d'y trouver des traces de vie avec des missions moins sujettes à l'effet des rayonnements délétères pour l'électronique.

    Encelade est principalement composée de roches et de glace. Le principal moyen pour elle de posséder suffisamment d'énergie pour présenter l'activité dont elle témoigne semble être d'avoir été dotée, à sa naissance, d'un stock particulièrement important d'éléments radioactifs se désintégrant rapidement. L'aluminiumaluminium 26 et un isotopeisotope du ferfer, tous deux à très courte duréedurée de vie si on les compare à d'autres de l'UraniumUranium et du ThoriumThorium, sont d'excellents candidats.

    Le cœur rocheux d'Encelade, plus important que celui de l'inactive MimasMimas, se serait alors rapidement échauffé en quelques millions d'années juste après la formation d'Encelade. Or, une partie de ce cœur serait entrée en fusionfusion, ce qui, sous l'effet des forces de marée de Saturne aurait facilité le chauffage interne d'Encelade de manière similaire à ce qui se passe actuellement sur Io. De plus, dans le passé, les calculs indiquent que l'orbite d'Encelade était différente, conduisant à des effets de marée plus importants.

    C'est la combinaison de ces deux effets qui serait la clé de son activité encore aujourd'hui ! Aucun des deux, seul ou sans cette synergiesynergie, ne pourrait expliquer la quantité d'énergie aujourd'hui stockée dans Encelade et maintenant sa surface toujours jeune et active, comme le montre le faible taux de cratérisation.


    La sonde Cassini de la Nasa a découvert de l'hydrogène dans le panache de gaz et de particules glacées projeté par Encelade, la lune de Saturne. Cette découverte signifie que la petite lune glacée – qui abrite un océan mondial sous sa surface – possède une source d’énergie chimique qui pourrait être utile aux microbes, s’il en existe. Cette découverte fournit également une preuve supplémentaire que de l'eau chaude et chargée de minéraux se déverse dans l'océan à partir des bouches d'aération situées dans le fond marin. Sur Terre, de telles sources hydrothermales soutiennent des communautés de vie prospères, complètement isolées de la lumière du soleil. Encelade semble désormais contenir les trois ingrédients dont les scientifiques pensent que la vie a besoin : de l'eau liquide, une source d'énergie (comme la lumière du soleil ou l'énergie chimique) et les bons ingrédients chimiques (comme le carbone, l'hydrogène, l'azote, l'oxygène). Cassini n'est pas capable de détecter la vie et n'a trouvé aucune preuve qu'Encelade soit habitée. Mais si la vie est là, cela signifie que la vie est probablement courante dans tout le cosmos ; si la vie n’y a pas évolué, cela suggèrerait que la vie est probablement plus compliquée ou improbable que nous le pensions. Quoi qu’il en soit, les implications sont profondes. Les futures missions sur cette lune glacée pourraient faire la lumière sur son habitabilité. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © NASA Jet Propulsion Laboratory

    Que ce soit dans le cas d'Encelade ou d'Europe, si l'on imagine l'existence de formes de vie sous leurs banquises, comme on l'avait esquissé précédemment, la question se posait donc de savoir si des molécules organiques trahissant l'existence de ces formes de vie amenées à la surface par l'activité des geysers pouvaient survivre dans des glaces en surface ou en orbite, selon les idées de Dyson, malgré les fortes radiations sur ces mondes.

    Dans un communiqué de la Nasa, Alexander Pavlov donne la réponse lorsqu'il déclare : « D'après nos expériences, la profondeur d'échantillonnageéchantillonnage sûre des acides aminés sur Europe est d'environ 20 centimètres aux hautes latitudeslatitudes de l'hémisphère arrière (hémisphère opposé à la direction du mouvementmouvement d'Europe autour de Jupiter). On sait que dans cette zone la surface n'a pas été beaucoup perturbée par les impacts de météoritesmétéorites... L'échantillonnage souterrain n'est pas nécessaire pour la détection des acides aminés sur Encelade - ces molécules survivront à la radiolyse (dégradation par rayonnement) à n'importe quel endroit de la surface d'Encelade à moins de quelques millimètres de la surface. »

    Pour arriver à ces conclusions, Pavlov et ses collègues ont considéré divers cas avec des échantillons d'acides aminés dans de la glace refroidie à environ -196 °C dans des flacons scellés sous vide et bombardés de rayons gammarayons gamma à différentes doses afin de reproduire les conditions à la surface d'Europe et Encelade. Étant donné que les océans pourraient abriter une vie microscopique, ils ont également testé la survie des acides aminés de bactériesbactéries mortes présentes dans la glace. Enfin, comme l'explique toujours le communiqué de la Nasa, ils ont aussi testé des échantillons d'acides aminés dans la glace mélangés à de la poussière de silicatesilicate pour considérer le mélange potentiel de matériaux provenant de météorites ou de l'intérieur avec la glace de surface.

    Les expériences ont permis de déterminer les vitessesvitesses auxquelles les acides aminés se décomposent, appelées constantes de radiolyse et finalement de calculer la profondeur où 10 % des acides aminés survivraient à la destruction radiolytique.

    Ces expériences ont également permis d'établir que les acides aminés se dégradaient plus rapidement lorsqu'ils étaient mélangés à de la poussière, mais plus lentement lorsqu'ils provenaient de micro-organismesmicro-organismes.

    Selon le communiqué de la Nasa, « une explication potentielle de la raison pour laquelle les acides aminés ont survécu plus longtemps dans les bactéries implique la manière dont les rayonnements ionisants modifient les molécules - directement en brisant leurs liaisons chimiquesliaisons chimiques ou indirectement en créant des composés réactifsréactifs à proximité qui modifient ou décomposent ensuite la molécule d'intérêt. Il est possible que le matériel cellulaire bactérien ait protégé les acides aminés des composés réactifs produits par le rayonnement ».


    Une série de cours grand public sur l'exobiologie débute par cette vidéo. Sommes-nous seuls dans l’Univers ? Vous vous êtes peut-être déjà posé la question… On peut trouver des réponses dans les films, la littérature ou les bandes dessinées de science-fiction et notre imaginaire est peuplé de créatures extraterrestres ! Mais que dit la science à ce sujet ? Le site AstrobioEducation vous propose de partir à la découverte de l’exobiologie, une science interdisciplinaire qui a pour objet l’étude de l’origine de la vie et sa recherche ailleurs dans l’Univers. À travers un parcours pédagogique divisé en 12 étapes, des chercheurs et chercheuses de différentes disciplines vous aideront à comprendre comment la science s’emploie à répondre aux fascinantes questions des origines de la vie et de sa recherche ailleurs que sur la Terre. © Société Française d'Exobiologie