On connaissait déjà des superterres avec une atmosphère mais, pour la première fois, on serait en présence d'une telle exoplanète qui serait en plus potentiellement habitable, à seulement 48 années-lumière du Système solaire. Cerise sur le gâteau, l'exoplanète LHS 1140 b exhibe dans le spectre de son atmosphère des indices de la présence d'azote, comme dans le cas de la Terre ou de Titan dans le Système solaire. Explications avec notamment l'astrophysicien Thomas Fauchez de la Nasa.
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Dans l’interview que l'astrophysicien Jean-Pierre Bibring, l’un des spécialistes de l'exploration du Système solaire, avait accordée à Futura au sujet de son dernier ouvrage, le chercheur soutenait une thèse très proche de celle de l'hypothèse de la Terre rare que l'on doit à ses collègues, le géologuegéologue et paléontologuepaléontologue Peter Ward et l'astronomeastronome et exobiologiste Donald E. Brownlee. En gros, selon cette thèse et comme nous l'expliquions dans l'interview, la probabilité de l'apparition d'une planète comme la Terre, capable d'héberger et de faire évoluer la vie, apparaît comme un produit de probabilités d'événements contingents si faibles, selon une séquence en plus singulière, que l'on est conduit à penser que la vie telle qu'on peut désormais la caractériser est terrestre par essence.
Sommes-nous seuls dans l'Univers ? Cette question hante l'humanité depuis des décennies, et nous sommes plus proches que jamais d'y répondre ! © Futura
Cette thèse ne fait pas l'unanimité, mais tout le monde est sans doute d'accord pour dire que l'on pourrait trancher dans un avenir pas trop lointain, peut-être au cours de ce siècle, soit en découvrant des formes de vie ailleurs dans le Système solaire, ou, ce qui serait encore plus spectaculaire, des technosignatures d’E.T. !
En attendant, nous pouvons déjà chercher à détecter des planètes rocheusesplanètes rocheuses dans la zone d'habitabilité qui soient suffisamment proches du Système solaire pour que l'on puisse avoir des renseignements sur la composition de leurs atmosphèresatmosphères, quand elles en ont. C'est ce que l'on tente de faire en ce moment avec les observations du télescope spatial James-Webb (JWST).
L’astrophysicien René Doyon nous parle du télescope spatial James-Webb qui révèle des informations inédites sur l’Univers et ses exoplanètes. © Radio-Canada Info
Une superterre habitable ?
La preuve en est l'annonce faite aujourd'hui par une équipe internationale d'astrophysiciensastrophysiciens dirigée par des chercheurs de l'université de Montréal (UdeM), dont l'astrophysicien René Doyon et qui compte parmi ses membres le Français Thomas Fauchez en poste au Goddard Space Flight Center (GSFC) dont les recherches portent sur la modélisation des atmosphères exoplanétaires.
Comme on peut le constater, elle concerne une publication dans le célèbre Astrophysical Letters Journal, publication dont une version en accès libre se trouve sur arXiv, et parle des derniers résultats concernant l'étude d'une exoplanèteexoplanète elle aussi célèbre depuis quelques années : LHS 1140 b.
On ne savait pas vraiment encore si l'on était en présence d'une mini-NeptuneNeptune ou d'une super-Terresuper-Terre dans la zone d'habitabilité autour d'une étoileétoile de type naine rougenaine rouge d'environ un cinquième de la taille du SoleilSoleil et située à environ 48 années-lumièreannées-lumière du Système solaire dans la constellation de la Baleineconstellation de la Baleine. Mais des données collectées par le JWST en décembre 2023 et ajoutées aux données précédentes d'autres télescopes spatiaux, notamment Spitzer, Hubble et TessTess, permettent maintenant d'affirmer au moins qu'il ne s'agit pas d'une mini-Neptune et que l'exoplanète a 1,7 fois la taille de la Terre et 5,6 fois sa massemasse.
Pour le reste, Thomas Fauchez déclare dans le communiqué du GSFC : « Si cela est confirmé par des observations de suivi, ce serait la première fois qu'une atmosphère serait trouvée sur une planète rocheuse dans la zone habitable en dehors du Système solaire où seules deux planètes entrent aujourd'hui dans cette catégorie, la Terre et Mars, ce qui amènerait le total de planètes rocheuses de zone habitable avec une atmosphère que nous connaissons dans l'UniversUnivers à... trois ! ».
L’étude des exoplanètes a révélé une incroyable diversité des architectures de systèmes planétaires, mais aussi des types de planètes, en ce qui concerne les masse, rayon, température et composition. Les méthodes d’observation permettent désormais de sonder la structure et la composition de leur atmosphère, ouvrant ainsi un champ de recherche considérable à la planétologie comparée. Voici, en 2016, une conférence de Franck Selsis organisée par le Bureau des longitudes (Académie des Sciences) et le département de géosciences de l'ENS. © École normale supérieure - PSL
Une superterre boule de neige ?
La découverte est d'autant plus fascinante que les données spectrales obtenues avec le JWST, lors d'un transittransit spectroscopique effectué par LHS 1140 b, suggèrent que son atmosphère contient de l'azoteazote, comme dans le cas de notre Planète bleue !
Certes, les données obtenues montrent aussi que LHS 1140 b doit être en rotation synchronesynchrone autour de son étoile hôte, lui présentant toujours la même face, et qu'elle est suffisamment légère pour être, peut-être, une planète océanplanète océan (10 à 20 % de sa masse pourrait être composée d'eau), mais dans un état comparable à celui postulé pour la Terre il y a longtemps dans l'hypothèse dite de la « Terre boule de neige ». Un modèle de son climatclimat autorise toutefois à penser qu'une banquisebanquise globale, comme c'est le cas d'Europe, la lunelune glacée de JupiterJupiter, n'est pas présente dans le sens où une partie de la face diurnediurne de la super-Terre pourrait être un océan libre de glace.
Le communiqué de l'UdeM qui accompagne également la publication dans Astrophysical Letters Journal précise à ce sujet que la part libre pourrait avoir 4 000 kilomètres de diamètre, soit l'équivalent de la moitié de la superficie de l'océan Atlantique, et une température de surface au centre de 20 degrés Celsiusdegrés Celsius.
« De toutes les exoplanètes tempérées connues actuellement, LHS 1140 b pourrait bien être notre meilleur pari pour un jour confirmer indirectement la présence d'eau liquideliquide à la surface d'un monde extraterrestre. Ce serait une étape majeure dans la recherche d'exoplanètes potentiellement habitables », affirme aussi dans le communiqué Charles Cadieux, auteur principal de l'article scientifique et doctorant sous la supervision de René Doyon à l'Institut de recherche Trottier sur les exoplanètes (iREx) et l'UdeM.
Une atmosphère planétaire possède une signature spectrale qui représente sa composition chimique, mais également sa composition en nuages et « brouillard ». Grâce à plusieurs techniques, il est possible de déterminer les caractéristiques physico-chimiques de l'atmosphère d'une exoplanète. Parmi ces techniques : le transit spectroscopique, le transit secondaire ou éclipse, l’observation spectroscopique directe de la planète ou encore l'observation de la planète à différentes phases autour de l'étoile afin de mesurer des variations temporelles et saisonnières. Partez à la découverte des exoplanètes à travers notre websérie en 9 épisodes à retrouver sur notre chaîne YouTube. Une playlist proposée par le CEA et l’université Paris-Saclay dans le cadre du projet de recherche européen H2020 Exoplanets-A. © CEA
De l'eau liquide grâce à l'effet de serre du CO2 ?
Les données du James-Webb concernant l'atmosphère de LHS 1140 b ont été obtenues avec l'instrument de conception canadienne NiRissNiRiss (Near-Infrared Imager and Slitless Spectrograph) observant dans l'infrarougeinfrarouge proche. Mais pour les interpréter, Thomas Fauchez a simulé des spectresspectres concernant diverses atmosphères possibles en cherchant celui qui correspondait le mieux aux mesures à l'aide du Planetary Spectrum Generator, un code mis au point au Goddard Space Flight CenterGoddard Space Flight Center par Geronimo Villanueva en collaboration avec Thomas Fauchez, Sara Faggi et Vincent Kofman.
Les indices de la présence d'une atmosphère contenant de l'azote proviennent notamment de la mise en évidence d'un effet de diffusiondiffusion spectrale des moléculesmolécules de N2 similaire à ce que l'on observe sur Terre via ce que l'on appelle la diffusion Rayleigh, qui permet de rendre compte de la couleurcouleur bleue du ciel. On peut trouver des explications au sujet de ce phénomène dans le fameux cours de Physique de Richard Feynman.
Toujours dans le communiqué de l'UdeM, René Doyon, qui est également le responsable scientifique de NiRiss explique que « la détection d'une atmosphère semblable à celle de la Terre sur une planète tempérée demande de pousser les capacités de Webb à leur maximum. C'est faisable ; nous avons juste besoin de beaucoup de temps d'observation. L'hypothèse d'une atmosphère riche en azote demande confirmation avec plus de données. Nous avons besoin d'au moins une année supplémentaire d'observations pour confirmer que LHS 1140 b a une atmosphère, et probablement deux ou trois autres pour détecter du dioxyde de carbonedioxyde de carbone ».
La mise en évidence de la présence de CO2 et l'évaluation de son abondance dans l'atmosphère de LHS 1140 b peut permettre de trancher entre les scénarios où LHS 1140 b est dans une phase de type « Terre boule de neige » ou avec un océan libre faisant face au soleil de l'exoplanète. Que cela puisse prendre plusieurs années s'explique par le fait que le JWST ne peut observer que huit transits par an.
Devant l'importance potentielle de ces dernières découvertes concernant LHS 1140 b, Futura a demandé quelques précisions supplémentaires à Thomas Fauchez qui a bien voulu prendre généreusement de son temps pour nous répondre.
Thomas Fauchez est Docteur en physique au Goddard Space Flight Center (Nasa), situé à Washington. Il s’intéresse en particulier à mieux comprendre l’atmosphère des exoplanètes rocheuses, et tente de déterminer, de détecter des biosignatures avec les observatoires spatiaux. © Association Odyssée Céleste
Futura : LHS 1140 b apparaît maintenant comme étant probablement une version en mode Europe, la lune glacée de Jupiter, d'une super-Terre. Or, on spécule depuis plus de 40 ans sur la possibilité que des formes de vie existent sous la banquise d'Europe, au niveau de l'équivalent des sources hydrothermalessources hydrothermales que l'on connaît sur Terre. L'énergieénergie du volcanismevolcanisme associé à ces sources chaudessources chaudes est supposée venir, tout comme dans le cas des volcansvolcans de IoIo, de la dissipation de l'énergie de forces de maréeforces de marée dans le corps rocheux de la lune. Jusqu'à quel point peut-on transposer ce scénario à LHS 1140 b ? Est-elle suffisamment âgée pour que la vie ait eu le temps d'apparaître et d'évoluer ?
Thomas Fauchez : Il est toujours difficile d'estimer l'âge des systèmes planétaires (on connaît l’existence d’une autre exoplanète, LHS 1140 c), mais celui-là a été estimé à au moins 5 milliards d'années, donc plus vieux que notre Système solaire !
L'orbiteorbite de la planète est très circularisée, il n'y a donc probablement pas d'effet de marée avec la naine rouge LHS 1140 (qui est déjà assez loin si l'on compare à un système compact comme Trappist-1), sauf si LHS 1140 b a une ou des lunes. Mais là, nous n'avons pas encore la sensibilité pour en détecter et ce n'est pas demain la veille pour cette taille de planète. Par contre, pour une planète aussi grosse, sa géothermiegéothermie est supposée être supérieure à celle de la Terre.
Futura : Votre équipe pense avoir éliminé l'hypothèse que LHS 1140 b soit une planète de type hycéanique, c'est-à-dire une sorte de planète-océan recouverte par une atmosphère majoritairement composée d'hydrogènehydrogène. Dans de précédents articles, les astrophysiciens Jérémy Leconte et Franck Selsis avaient expliqué à Futura que l’existence même de ce type de planète était en fait problématique. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Thomas Fauchez : Je suis de l'avis de Franck et Jérémy sur les planètes hycéaniques. Elles ne sont pas 100 % à exclure, mais nous n'avons pas à l'heure actuelle de preuves convaincantes à leur sujet. Dans le cas présent la comparaison entre les prédictions du Planetary Spectrum Generator et les dernières observations a surtout permis de montrer que tous les scénarios de mini-Neptune, avec une atmosphère dominée par un mélange H2/He, peuvent être exclus de manière ferme !
Futura : Vous et vos collègues allez continuer à travailler sur LHS 1140 b ?
Thomas Fauchez : Oui ! On a déjà un autre papier en préparation pour continuer à pousser l'analyse sur la détermination des propriétés atmosphériques. Et de nouvelles données, qui étaient jusqu'à il y a quelques jours la propriété d'une autre équipe, sont devenues publiques, en particulier avec un transit observé avec l'instrument NIRSpecNIRSpec du JWST. Nous allons voir comment les intégrer à notre étude. On va également continuer à demander du temps d'observation pour le JWST avec des instruments complémentaires à NiRiss.
Futura : Terminons par une question beaucoup plus technique mais que se posent sûrement ceux qui ont quelques compétences sur l'analyse de la composition moléculaire d'une atmosphère par spectroscopie en se basant sur la chimiechimie et la physique quantiquephysique quantique. Vous commencez à identifier certaines molécules dans l'atmosphère de LHS 1140 b par diffusion Rayleigh ?
Thomas Fauchez : Oui pour l'azote. Rappelons que sur Terre ce sont l'azote (78 % de la composition de l'atmosphère) et l'oxygèneoxygène (21 %) qui sont responsables de la diffusion Rayleigh. La raison étant que c'est un effet plus sensible avec des molécules diatomiques homonucléaires comme N2, O2 par rapport aux molécules hétéronucléaires comme CO2, H2O, etc.
La structure symétrique des molécules mononucléaires permet une diffusion de Rayleigh efficace alors que les molécules hétéronucléaires ont des moments dipolairesmoments dipolaires permanents (en particulier H2O) et peuvent interagir avec la lumière de manière autre que par la diffusion Rayleigh, comme les interactions dipôle-dipôleinteractions dipôle-dipôle.
L'asymétrie et la complexité de ces molécules rendent leur polarisabilité moins directe et généralement moins efficace pour diffuser la lumière purement par les mécanismes de Rayleigh comparativement aux molécules diatomiques homonucléaires.
Cet effet de la diffusion Rayleigh est inversement proportionnel à la longueur d'ondelongueur d'onde à la puissance 4 et on peut le voir en mesurant l'opacité par absorptionabsorption d'une atmosphère ; dans le cas présent, en fonction de la longueur d'onde, on voit une pente montrant une opacité croissante. À strictement parler, cela pourrait être dû à plein d'autres molécules mononucléaires, mais le fait que l'on voit aussi bien un signal d'absorption par collision induite entre molécules d'azote N2-N2 à 2,2 um renforce la thèse de la présence du N2 comme absorbeur et diffuseur.
Mais il faut rester très prudent cependant. En effet, les variations propres de l'activité stellaire de la naine rouge de type M (protubérances, éruptions etc...) peuvent produire un signal parasiteparasite imitant la signature des molécules de di-azote par diffusion Rayleigh.
Des brumesbrumes liées à la chimie de l'atmosphère de la superterre produit par le rayonnement de l'étoile pourraient aussi mimer ce signal, une possibilité que nous avons examinée dans le cas des exoplanètes de Trappist 1 notamment aussi.
Pour le moment, le scénario le plus probable c'est que l'on soit bien en présence d'une signature du N2 d'après l'estimation faite par le code de restitution Bayesien de collègues de l'université du Michigan.
Tout cela est à prendre avec un niveau de confiance de 2,3 sigma, on a besoin de plus d'observations pour atteindre un niveau requis de 5 sigma !
Mais c'est clairement une bonne piste !