Depuis quelque temps, les astrophysiciens explorent une nouvelle voie pour détecter les mythiques particules de matière noire. Il s'agit de se servir des planètes, notamment des géantes gazeuses, comme des détecteurs géants. On peut ainsi se servir de Jupiter, et c'est déjà possible grâce à des observations passées de la sonde Cassini. La méthode pourrait marcher aussi dans un futur proche avec des exoplanètes et avec le télescope James-Webb.


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    Lorsque le prix Nobel de physique Hideki Yukawa a prédit vers 1934 l'existence du méson pipi, un cousin du photon et du boson de Higgs trahissant l'existence d'une force nucléaire forte collant les protons et les neutronsneutrons entre eux dans les noyaux, il a fallu attendre la fin des années 1940 pour le découvrir dans les rayons cosmiquesrayons cosmiques.

    Lorsque le neutrino et son rôle dans les interactions nucléaires faibles entre les protons et les neutrons sous la forme de la radioactivitéradioactivité bêtabêta ont été postulés et leur description développée par deux autres prix Nobel de physique aussi au cours des années 1930, respectivement par Pauli et Fermi, il a fallu attendre les années 1950 pour mettre en évidence le neutrino dans le rayonnement produit par les premiers réacteurs nucléaires.

    Le neutrino fut plus tard proposé comme candidat au titre de particule de matière noire. En effet, il a dû être produit en grandes quantités pendant le Big BangBig Bang, de sorte que même avec une très faible massemasse, comme il n'est pas sensible à la force électromagnétique (il ne peut pas rayonner de la lumièrelumière), il aurait pu tout de même par sa force de gravitégravité affecter les mouvementsmouvements des galaxiesgalaxies et des étoilesétoiles, précisément de la façon dont la fameuse matière noirematière noire et ses particules le postulent.

    Nous savons maintenant que les neutrinosneutrinos sont bien trop légers pour rendre compte de la présence de cette matière noire mise en évidence indirectement par les astrophysiciensastrophysiciens depuis des décennies en supposant, ce qui est critiquable, que les lois de la mécanique céleste de Newton sont toujours valables à l’échelle des galaxies et au-delà (dans le cas contraire, nous pourrions ne plus avoir besoin de postuler l'existence de nouvelles particules jouant le rôle de la matière noire).

    Malheureusement, aucune des théories au-delà du modèle standardmodèle standard de la physique des particules proposées depuis des décennies pour rendre compte de l'existence des particules de matière noire (notamment celles des axions et de la supersymétriesupersymétrie) n'a pour le moment été confirmée par les expériences, pas plus que la chasse à ces particules.


    Cette introduction à la matière noire expose les effets observés par les physiciens sur la vitesse des étoiles à l'intérieur des galaxies, explique les théories actuelles sur la composition de la matière noire et présente diverses expériences de détection de la matière noire sur la Terre. Cette vidéo fait partie de la trousse pédagogique gratuite « Le mystère de la matière noire » de l'Institut Périmètre. © Perimeter Institute for Theoretical Physics

    Des particules ionisées détectables dans l'infrarouge par Cassini

    Les astrophysiciens des particules ne sont pas encore découragés et ils continuent à chercher des moyens de détecter la matière noire. L'une des dernières méthodes proposées est exposée dans une publication du journal Physical Review Letters. L'article de Carlos Blanco et Rebecca Leane est en accès libre sur arXiv.

    En le lisant, on comprend que ce sont des observations faites par la sonde Cassini le 30 décembre 2000 en survolant JupiterJupiter qui sont mises à contribution. Le lecteur ou la lectrice sera peut-être étonné de cette précision, la mission Cassini-Huygens étant d'ordinaire associée à SaturneSaturne, ses anneaux et ses luneslunes. Mais il faut se souvenir que pour arriver suffisamment rapidement en orbiteorbite autour de Saturne (le 1er juillet 2004), les navigateursnavigateurs cosmiques de la NasaNasa avaient profité de l'effet d'assistance gravitationnelleassistance gravitationnelle en passant au voisinage de VénusVénus, la Terre et enfin Jupiter.

    Lors de son survolsurvol, Cassini avait pu alors observer le côté nocturnenocturne de Jupiter dans l'infrarougeinfrarouge avec l'instrument Visual and Infrared Mapping Spec-trometer (Vims). Il permettait notamment de détecter la présence et d'estimer les quantités présentes de l'ionion de la moléculemolécule H3+ dans l'ionosphèreionosphère de Jupiter, ions qui peuvent rayonner dans l'infrarouge.

    On savait que ces ions peuvent être produits à partir des molécules d'hydrogènehydrogène neutre via le bombardement des particules cosmiques de haute énergieénergie, le rayonnement stellaire, les éclairséclairs planétaires, les électronsélectrons accélérés dans les champs magnétiqueschamps magnétiques de Jupiter et les rayonnements ionisants déposés dans l'atmosphèreatmosphère de Jupiter à partir des éruptions volcaniqueséruptions volcaniques de la troisième plus grande lune de Jupiter, IoIo.

    De fait, la production de cationscations trihydrogène due aux rayonnements ionisants avait été confirmée pour la première fois par spectroscopie dans l'atmosphère de Jupiter, en utilisant les spectromètresspectromètres ultravioletsultraviolets des sondes Voyager, il y a presque 40 ans. Depuis, les niveaux planétaires de H3+ ont été étudiés de manière approfondie car ils fournissent des informations vitales sur la température atmosphérique, ainsi qu'un moyen de tracer des courants électriquescourants électriques circulant dans l'atmosphère.

    Quel rapport avec la matière noire ?

    Schéma de la production de H<sub>3</sub><sup>+</sup> dans Jupiter. L'émission aurorale de H<sub>3</sub><sup>+</sup> près des pôles magnétiques provient de la précipitation d'électrons. Les UV solaires extrêmes irradient le côté jour et dominent la production de H<sub>3</sub><sup>+</sup> près de l'équateur. Aucune présence de H<sub>3</sub><sup>+</sup> significative n’est attendue aux basses latitudes du côté nuit. Mais cette conclusion ne semble pas valable avec un flux de particules de matière noire neutres tombant dans le champ de gravitation puissant de Jupiter. © Carlos Blanco, Rebecca K. Leane
    Schéma de la production de H3+ dans Jupiter. L'émission aurorale de H3+ près des pôles magnétiques provient de la précipitation d'électrons. Les UV solaires extrêmes irradient le côté jour et dominent la production de H3+ près de l'équateur. Aucune présence de H3+ significative n’est attendue aux basses latitudes du côté nuit. Mais cette conclusion ne semble pas valable avec un flux de particules de matière noire neutres tombant dans le champ de gravitation puissant de Jupiter. © Carlos Blanco, Rebecca K. Leane

    Des flux de matière noire élevés sur les exoplanètes géantes ?

    Il se trouve qu'étant donné son puissant champ de gravitationgravitation, la planète Jupiter doit attirer à elle un flux plus important de matière noire que dans le cas de la Terre par exemple. Or, certaines des théories concernant la matière noire impliquent que ces particules peuvent s'annihiler entre elles en donnant un flux de particules chargées ionisantes. Tout simplement aussi, sans supposer d'annihilation, le flux de particules de matière noire pourrait, via des collisions avec la matière normale, se comporter comme un flux de particules neutres mais ionisantes encore.

    D'après les calculs de Carlos Blanco et Rebecca Leane, selon certaines de ces théories, il devrait se produire un excès de ce flux ionisant pour les ions H3+ au niveau des basses latitudeslatitudes nocturnes de Jupiter qu'aurait pu mesurer Vims.

    La présence de ces ions a bien été mise en évidence mais, pour le moment, même si elle permet de poser des contraintes sur les propriétés des particules de matière noire, on ne peut encore expliquer les quantités de H3+ estimées sans faire intervenir de la nouvelle physique.

    Le dernier mot à ce sujet n'est pas encore dit. Les instruments de la mission Juice de l’ESA, à destination de Jupiter, pourraient apporter des surprises au cours des années 2030.


    Rebecca Leane, de l’université de Stanford lors d’un colloque de physique en 2023. La théorie décrivant la matière noire reste totalement inconnue et nécessite de nouvelles idées de recherche pour déterminer son identité. Il s’avère que les étoiles et les planètes peuvent être des terrains de jeu idéaux pour découvrir la matière noire. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © UT Physics Colloquium

    De plus, les deux chercheurs pensent que leur méthode peut être appliquée aux exoplanètesexoplanètes joviennes. Bien que ces planètes soient beaucoup plus éloignées de la Terre que Jupiter, beaucoup sont nettement plus grandes, ce qui en fait potentiellement de meilleurs capteurscapteurs de matière noire. Celles situées au centre de notre Galaxie, là où la densité de matière noire devrait être plus élevée, devraient être capables de capturer la matière noire encore plus efficacement. Ce qui fait conclure à Carlos Blanco et Rebecca Leane que le télescope spatial James-Webbtélescope spatial James-Webb ou le télescope spatial Nancy Grace Roman étudiant les spectresspectres des atmosphères de ces exoplanètes pourraient là aussi conduire à une découverte.