Une équipe d'astrophysiciens est peut-être à l'origine d'un complet retournement de situation en ce qui concerne l'origine de l'allumage des quasars, ces trous noirs supermassifs avalant soudainement des quantités massives de gaz, ce qui les rend monstrueusement lumineux. Il faudrait en revenir aux théories proposées au XXe siècle à ce sujet.


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    « Allons bon... qu'est-ce que c'est encore que cette histoire ? » est certainement la première réaction que l'on peut avoir en lisant un article publié dans la célèbre revue MNRAS et que l'on peut consulter également en accès libre sur arXiv. Il est le produit d'une équipe internationale d'astronomesastronomes, notamment des chercheurs britanniques des universités de Sheffield et Hertfordshire, qui ont utilisé le télescope Isaac-Newton, un télescope de type Cassegrain en fonction au célèbre observatoire du Roque de los Muchachos (La Palma, îles Canaries) qui possède un miroir primaire de 2,54 mètres de diamètre et 8,36 mètres de focalefocale pour une masse de 4 361 kilos.

    Les astronomes s'en sont servis pour observer de plus près 48 quasars et leurs galaxies hôtes ainsi que qu'un peu plus d'une centaine d'autres galaxies contenant elles aussi un trou noir supermassiftrou noir supermassif dans leurs cœurs mais qui ne sont pas en mode quasars.


    Dans cet extrait de la plateforme TV-Web-cinéma, Du Big Bang au Vivant, qui couvre des découvertes dans le domaine de l'astrophysique et de la cosmologie, Jean-Pierre Luminet nous parle des quasars. © Jean-Pierre Luminet

    Des collisions galactiques pourvoyeuses de gaz ?

    La perplexité que font naitre leurs travaux s'expérimente facilement pour tout ceux qui ont lu depuis quelques années les précédents articles de Futura ci-dessous expliquant aussi bien ce que sont les quasars que la solution finalement donnée à l'énigme de leur allumage, c'est-à-dire des raisons qui font que des trous noirs géants se mettent brutalement à accréter des quantités faramineuses de gazgaz, ce qui conduit à une libération d'énergieénergie monstrueuse (de l'ordre de celle de mille milliards d'étoilesétoiles) dans un volumevolume dont le rayon est de l'ordre de celui du Système solaireSystème solaire.

    Dans ces articles, la thèse exposée était que les astrophysiciensastrophysiciens avaient été conduits graduellement depuis le début des années 2000 à remettre en question la théorie qui expliquait que l'apport gargantuesque de matièrematière, tombant finalement en grande partie sous l'horizon des événementshorizon des événements des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs, était produit par des collisions galactiques.

    Or, voilà maintenant que les observations menées avec le télescope Isaac-NewtonNewton, montrant des structures distordues autour des quasars, sont présentées comme prouvant finalement que ce sont ces collisions et pas des courants froids de matière qui sont bel et bien à l'origine du carburant des quasars !

    Si tel est bien le cas, on ne peut s'empêcher de penser à nouveau à la réflexion généralement attribuée au biologiste Thomas Henry Huxley : « La tragédie de la science... c'est de belles théories détruites par des faits horribles ».


    Françoise Combes, astrophysicienne et professeure au Collège de France, explique les dernières découvertes au sujet des quasars. © Espace des sciences

    Des quasars qui font évoluer les galaxies

    Dans le communiqué de l'université de Sheffield au sujet de cette découverte, le professeur Clive Tadhunter, du département de physiquephysique et d'astronomie de cette même université, explique que « les quasars sont l'un des phénomènes les plus extrêmes de l'UniversUnivers, et ce que nous voyons est susceptible de représenter l'avenir de notre propre Galaxie, la Voie lactéeVoie lactée, lorsqu'elle entrera en collision avec la galaxie d'Andromède dans environ cinq milliards d'années. C'est excitant d'observer ces événements et de comprendre enfin pourquoi ils se produisent -- mais heureusement, la Terre ne sera pas près d'un de ces épisodes apocalyptiques avant un certain temps ».

    Son collègue Jonny Pierce, chercheur postdoctoral à l'université du Hertfordshire, déclare lui que, en ce qui concerne les quasars, « c'est un domaine sur lequel les scientifiques du monde entier souhaitent en savoir plus -- l'une des principales motivations scientifiques du télescope spatial James-Webb de la NasaNasa était d'étudier les premières galaxies de l'Univers, et Webb est capable de détecter la lumièrelumière même des galaxies les plus éloignées en mode quasars, émis il y a près de 13 milliards d'années. Les quasars jouent un rôle clé dans notre compréhension de l'histoire de l'Univers, et peut-être aussi de l'avenir de la Voie lactée ».

    On a des raisons de penser que les premiers quasars ont joué un rôle dans la ré-ionisation de l'Univers et que les souffles de leurs activités peuvent chasser le gaz dans une galaxie au point de stopper la formation de nouvelles étoiles définitivement ou presque.


    La solution de l'énigme de l'allumage des quasars aurait été trouvée

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco, publié le 27 janvier 2021

    Depuis environ une décennie et grâce aux observations conjointes, notamment de HubbleHubble et du satellite XMM-Newtonsatellite XMM-Newton de l'Esa, on a découvert que ce ne sont pas les collisions entre galaxies qui sont responsables de l'immense majorité des allumages des quasars, contrairement à ce que l'on pouvait prévoir. Aujourd'hui, une solution à cette énigme est proposée sur la base de simulations numériquessimulations numériques.

    Découverts au début des années 1960 initialement sous forme de quasi-stellar radio sources, les quasars -- selon la dénomination proposée en 1964 par l'astrophysicien d'origine chinoise Hong-Yee Chiu -- sont des exemples de ce que l'on appelle des noyaux actifs de galaxiesnoyaux actifs de galaxies (Active Galactic Nuclei ou AGN, en anglais). Nous avons toutes les raisons de penser que leur prodigieuse énergie provient de l'accrétionaccrétion de la matière par des trous noirs supermassifs de Kerr en rotation, pouvant contenir des milliards de masses solaires comme M87* récemment imagé par les membres de la collaboration Event Horizon Telescope.

    Les quasars se présentaient initialement comme des sources radio mais, quand Maarten Schmidt, un astronome néerlandais, a fait l'analyse spectrale de la contrepartie dans le visible d'une source radio puissante nommée 3C 273, elle se présentait comme une étoile mais avec un décalage spectral vers le rouge indiquant qu'elle se trouvait à plus de 2,4 milliards d'années-lumièreannées-lumière de la Voie lactée, ce qui veut dire que, pour être observable à une telle distance proprement cosmologique, elle devait être d'une luminositéluminosité absolument prodigieuse, équivalente à celle de 1 000 fois les centaines de milliards d'étoiles de notre Voie lactée.

    Des convertisseurs géants d'énergie gravitationnelle en « lumières »

    Un tel torrenttorrent d'énergie ne pouvait s'expliquer qu'en faisant intervenir le processus d'accrétion gravitationnelle par un astreastre massif et compact, comme un trou noir justement, car il libère alors du rayonnement électromagnétique sous diverses formes de lumière par conversion de l'énergie potentielleénergie potentielle gravitationnelle bien plus efficacement que les réactions thermonucléaires faisant briller les étoiles. On sait, en effet, qu'un tel mécanisme permet de convertir l'équivalent de 10 % de la masse d'un objet en rayonnement contre, par exemple, les 0,7 % de la réaction protonproton-proton dans le SoleilSoleil, co-découverte par Carl Friedrich von Weizsäcker.

    Mais, pour cela, il faut bien évidemment un apport tout aussi spectaculaire en matière et, pour cette raison, bien des astrophysiciens avaient avancé que l'allumage des quasars se produisait à l'occasion de collisions entre galaxies, entraînant un apport massif de gaz frais.

    Malheureusement, comme l'expliquait Futura dans le précédent article ci-dessous, les progrès des observations à la fin des années 1990 et au début des années 2000 allaient montrer que la majorité des quasars n'étaient pas associés à des collisions galactiques.

    Depuis environ une décennie, les observations et les modélisations ont finalement imposé un autre paradigme où l'existence d'AGN et, a fortiori, de quasars -- tout autant d'ailleurs que les processus de croissance des trous noirs supermassifs et des galaxies qui les hébergent -- résultait de courants froids de matière baryonique, comme l'avait expliqué à Futura le cosmologiste Romain Teyssier.

    Vue d’artiste du gaz chassé d’un noyau galactique sous l'effet d'une collision entre deux galaxies. Le trou noir supermassif visible au cœur de l'image avec son disque d'accrétion ne serait alors pas alimenté abondamment en matière, pendant quelques millions d'années au moins. © Yohei Miki, <em>The University of Tokyo </em>
    Vue d’artiste du gaz chassé d’un noyau galactique sous l'effet d'une collision entre deux galaxies. Le trou noir supermassif visible au cœur de l'image avec son disque d'accrétion ne serait alors pas alimenté abondamment en matière, pendant quelques millions d'années au moins. © Yohei Miki, The University of Tokyo

    Des collisions qui soufflent le gaz dans les galaxies

    Un groupe de chercheurs japonais de l'université de Tokyo vient de publier un article en accès libre sur arXiv dans le célèbre journal Nature Astronomy. En combinant des modèles analytiques avec des modèles numériquesmodèles numériques dont les algorithmes sont implémentés sur un superordinateursuperordinateur, ils proposent aujourd'hui un début de solution à l'énigme de l'allumage des quasars comme l'explique dans un communiqué de cette université, Yohei Miki : « Depuis que les astronomes ont exploré les collisions galactiques, on a supposé qu'une collision fournirait toujours du carburant sous forme de matière pour un trou noir supermassif  au centre d'une galaxie, et que ce carburant alimenterait le trou noir, augmentant considérablement son activité, ce que trahirait de la lumière ultraviolette et des rayons Xrayons X entre autres. Cependant, nous avons maintenant de bonnes raisons de croire que cette séquence d'événements n'est pas inévitable et qu'en fait, le contraire peut parfois être vrai ».

    En effet, paradoxalement, sous certaines conditions, en particulier à l'occasion de collisions frontales, les simulations numériques montrent en fait que, parfois, l'effet de la collision serait de chasser le gaz entourant un trou noir supermassif central, le privant donc de carburant et rendant impossible l'allumage en mode quasar.


    Le VLT confirme l'énigme de l'allumage des quasars

    Article de Laurent Sacco publié le 18/07/2011

    On le savait depuis l'année dernière grâce aux observations conjointes de Hubble et du satellite XMM-Newton de l'Esa. Ce ne sont pas les collisions entre galaxies qui sont responsables de l'immense majorité des allumages des quasars. Aujourd'hui, le VLTVLT le confirme en remontant encore plus tôt dans l'histoire du cosmoscosmos observable.

    On ne comprend pas très bien comment se sont formés les premiers trous noirs géants de l'univers. En revanche, on pensait savoir ce qui faisait d'eux des quasars : des collisions entre galaxies. Pourtant, comme on l'avait déjà expliqué dans un article précédent en début d'année, les observations dans le domaine des rayons X faites par le satellite XMM-Newton de l'Esa, jointes à celle de Hubble, ont fait l'effet d'une bombe dans la communauté des astrophysiciens en 2010.

    Plongeant dans le passé de l'univers observable sur une duréedurée de 8 milliards d'années, elles montraient que les noyaux actifs de galaxies, plus précisément ceux possédant un trou noir supermassif accrétant voracement de la matière et devenant ainsi un quasar, n'étaient généralement pas associés à des collisions de galaxies. Cette conclusion était tirée des observations du champ Cosmos, une région d'environ dix fois la surface de la Pleine LunePleine Lune, dans la constellationconstellation du SextantSextant.

    Le nombre de quasars était plus élevé dans le passé de l'Univers, précisément quand celui-ci était plus dense et que les collisions entre galaxies étaient plus fréquentes. Il était logique de penser que c'est à l'occasion de ces collisions que d'importantes quantités de gaz frais tombaient en direction du trou noir central d'une galaxie, alimentant le moteur magnétohydrodynamique constitué par un trou noir en rotation accrétant de la matière.

    Cosmos sous l'œil du VLT

    En remontant encore plus dans le passé, alors que le taux de collisions devait être encore plus important, c'est-à-dire jusqu'à il y a 11 milliards d'années, soit moins de 4 milliards d'années après le Big BangBig Bang, les observations du VLT (toujours dans le champ Cosmos) montrent aujourd'hui que l'énigme de l'allumage des quasars persiste est qu'elle est encore plus troublante.


    Une vidéo extraite du site Du Big Bang au Vivant avec des commentaires de Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet et Hubert ReevesHubert Reeves. © Groupe ECP, www.dubigbangauvivant.com/Youtube

    Dressant une carte montrant près de 600 quasars détectés par leur émissionsémissions en rayons X et dont les distances ont été déterminées grâce au VLT au bout de cinq ans de travail, les astrophysiciens ont non seulement constaté qu'il n'y avait pas vraiment de corrélation entre l'allumage des quasars et des collisions de galaxies mais ils ont aussi découvert que les noyaux actifs se trouvent principalement dans les grandes galaxies massives, avec beaucoup de matière noire. En outre, la plupart des noyaux actifs se trouvent plutôt dans des galaxies de masses environ 20 fois plus grandes que celles prédites par la théorie de fusionfusion des galaxies.

    Selon Viola Allevato, l'un des auteurs principaux d'un article déposé sur ArxivArxiv, donné en lien ci-dessous, et exposant les détails de la découverte, il y aurait tout de même des explications probables pour l'allumage des quasars : « ces nouveaux résultats nous donnent un nouvel aperçu de la manière dont les trous noirs supermassifs commencent leur repas. Ils indiquent que les trous noirs sont généralement alimentés par des processus au sein de la galaxie elle-même, tels que les instabilités de disque et les régions à flambées d'étoiles, par opposition à des collisions de galaxies ».