Par son diamètre et sa capacité à observer l’Univers en infrarouge, le télescope spatial James-Webb est révolutionnaire pour l'étude des atmosphères d'exoplanètes. On fait le point avec Martin Turbet, chercheur au CNRS, spécialisé dans l’étude du climat des planètes et des exoplanètes au Laboratoire de météorologie dynamique de l’Institut Pierre et Simon Laplace, à Paris.
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Futura : Qu’apporte le télescope spatial James-Webb dans l’étude des atmosphères des exoplanètes ?
Martin Turbet : Ce qui est drôle, c'est qu'au début le James-Webb n’avait pas du tout été conçu pour ça. La science des exoplanètes s'est inventée plus tard. Et pourtant, aujourd’hui, il y a presque 30 % du temps d'observation qui est dédié à l'observation des atmosphères d'exoplanètes. C'est un des cas scientifiques qui marche le mieux comme le montrent les retours extrêmement positifs que nous avons reçus. Nous avons déjà une grande quantité d'observations d’exoplanètes de type « Jupiter chaud », de très grandes et très chaudes exoplanètes, avec un degré de détail et de qualité sans précédent. On est maintenant capable de dresser des inventaires des molécules dans l'atmosphère de ces planètes, mais aussi de mesurer précisément combien il y en a en fonction de l'altitude, de mesurer la distribution des températures de l’atmosphère, etc.
L'autre aspect révolutionnaire est qu’on est capable pour la première fois d'aller observer des planètes qui sont de plus en plus petites, des atmosphères plus ténues, et de plus en plus froides. Ça nous ouvre un champ d'observation auquel on n'avait pas accès avant l’arrivée du James-Webb.
Qu’a-t-on appris sur les atmosphères des planètes du système Trappist (7 planètes) grâce au James-Webb ?
M.TT. : C'est le système planétaire qui a été le plus observé avec le James-Webb depuis son lancement, avec presque 300 heures d'observations cumulées ! C'est juste colossal sachant la difficulté d'obtenir du temps sur le James-Webb. Les premiers résultats de l'étude des deux planètes internes, Trappist 1b et 1c, suggèrent qu'elles aient pu perdre leur atmosphèreatmosphère.
On n'en est pas encore complètement sûr et on attend des résultats à venir pour pouvoir aller plus loin. Mais il semble que la leçon que nous donnent les planètes du système interne, qui est corroborée par des observations réalisées sur d'autres systèmes planétaires similaires, est qu'il est compliqué pour les planètes rocheusesplanètes rocheuses comparables à la Terre en orbite autour de petites étoiles de garder leur atmosphère. Et ça, ce n'est pas une très bonne nouvelle pour la recherche et l'étude de planètes habitables...
Vous faites aussi face à des difficultés inattendues...
M.T. : Il est plus compliqué que prévu d'étudier les planètes externes du système Trappist, qui sont plus froides, mais plus intéressantes car elles sont plus comparables à la Terre en température. On utilise la méthode des éclipses secondaires pour les planètes internes dont on capte directement la lumière émise thermiquement. Pour les planètes externes, on utilise la méthode de spectroscopie de transit qui consiste à observer l'atmosphère d'une planète quand elle passe devant son étoile, au moment où elle en filtre la lumière.
Pour cela, près de 200 heures d'observation ont été obtenues à ce stade, mais on fait face au défi de la contaminationcontamination stellaire que l'on avait sous-estimée jusqu'à présent. En fait, l'étoile n'est pas une boule homogène et peut avoir des régions sombres et brillantes à sa surface. Comme la fraction de l'étoile cachée par le transit de la planète n'est pas forcément représentative du reste de l'étoile, cela introduit un biais qui peut nous induire en erreur créant comme un « faux signal ».
Par exemple, la vapeur d'eau, que l'on va chercher dans l'atmosphère de la planète, peut également se trouver dans les régions les plus froides de l'atmosphère de l'étoile. Cela peut produire un signal artificiel semblable à celui indiquant la présence de vapeur d'eau dans l'atmosphère de la planète et ainsi nous induire en erreur. Il est très difficile de corriger cet effet. Dans le tout dernier cycle d'observation du James-Webb, on teste une nouvelle méthode pour essayer de résoudre ce problème, en utilisant les transits de Trappist 1b, qui a priori n'a pas d'atmosphère, pour sonder la surface de l'étoile et en faire un modèle physiquemodèle physique pour corriger cet effet de contamination stellaire. On a espoir comme cela de pouvoir accéder à la composition de l'atmosphère des planètes externes du système Trappist, mais cela va demander beaucoup plus d'heures d'observation que prévu et on aura des résultats d'ici quelques années dans le meilleur des cas.
Rappelez-nous pourquoi on s’intéresse tant au système Trappist
M.T. : Le système Trappist est vraiment le meilleur laboratoire naturel que l'on ait à disposition aujourd'hui pour étudier des planètes qui ont à peu près la taille et l'ensoleillement semblables aux planètes rocheuses du Système solaire (Mars, VénusVénus et surtout la Terre). C'est vraiment super intéressant parce que pour la première fois, on peut comparer avec elles nos connaissances en matièrematière de climatclimat et d'habitabilité.
Quels sont les autres systèmes les plus intéressants à étudier en ce moment ?
M.T. : Pour la question de l'habitabilité, il y a notamment le système LHS1140, qui est composé d'au moins deux planètes, dont LHS1140b. Avant le James-Webb, on avait mesuré très précisément sa massemasse et sa taille avec la méthode des vitesses radialesméthode des vitesses radiales et la méthode des transits. On a alors déterminé qu'elle devait avoir une densité très faible. LHS1140b pouvait donc être soit de type mini-Neptune (avec une enveloppe d'hydrogènehydrogène étendue), soit une planète avec de grandes quantités d'eau.
On a obtenu les résultats de deux programmes d'observation ces derniers mois avec deux instruments du JWSTJWST, qui ont montré que vraisemblablement cette planète-là n'est pas de type mini-NeptuneNeptune, car les spectresspectres mesurés ne collent pas à ce scénario. La planète a donc vraisemblablement de grandes quantités d'eau, et, si c'est le cas, très probablement au moins en partie sous forme liquideliquide à la surface ou sous une couche de glace du fait de son ensoleillement très modéré. Pour sonder si cette planète a une atmosphère et de quoi elle est faite, il va falloir accumuler beaucoup plus d'heures d'observation. Ce sera un des grands défis scientifiques avec le James-Webb dans les prochaines années.