Grâce au télescope Subaru et au télescope Gemini Nord, tous deux situés sur le mont Maunakea à Hawaï, une équipe internationale d'astronomes a découvert la première paire de quasars connue de la noosphère pendant l'Aube cosmique. Sa découverte était attendue et c'est la plus lointaine à ce jour, observée alors que le cosmos avait environ 900 millions d'années. 


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    Il y a un peu plus de 60 ans, la découverte des premiers quasars allait planter « le premier clou dans le cercueil » du modèle cosmologique standard alors dominant, celui de l'Univers stationnaire. Selon lui, peu importe quand et où un observateur se trouve dans le cosmoscosmos observable il le verrait toujours identique à lui-même, c'est-à-dire en expansion éternelle, sans commencement ni fin, une création continue de matière le maintenant à une densité constante.

    Or les quasars, que l'on sait maintenant être des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs au cœur de noyaux de galaxies accrétant transitoirement de la matière (souvent via des courants froids) et qui sont particulièrement brillants, ne semblaient avoir existé en nombre important que dans le lointain passé de l'Univers connu. Cela impliquait donc que celui-ci évoluait dans le temps et ne restait pas constamment semblable à lui-même, en contradiction avec la théorie de l'Univers stationnaire.

    Quelques années après, la découverte du rayonnement fossilerayonnement fossile par Penzias et Wilson plantait un deuxième clou accréditant fortement la théorie du Big BangBig Bang de l'Abbé Lemaître. Le développement de la théorie de la nucléosynthèsenucléosynthèse primordiale des éléments, à laquelle Hubert Reeves a participé, n'a fait que conforter les idées de Lemaître.


    Depuis environ 13,8 milliards d’années, l’Univers n’a cessé d’évoluer. Contrairement à ce que nous disent nos yeux lorsque l’on contemple le ciel, ce qui le compose est loin d’être statique. Les physiciens disposent des observations à différents âges de l’Univers et réalisent des simulations dans lesquelles ils rejouent sa formation et son évolution. Il semblerait que la matière noire ait joué un grand rôle depuis le début de l’Univers jusqu’à la formation des grandes structures observées aujourd’hui. © CEA Recherche

    Des quasars en collision pendant l'Aube cosmique ?

    Dans le cadre du modèle cosmologique actuel avec matière et énergie noireénergie noire, fortement corroboré par les observations du satellite Planck concernant le rayonnement fossile, les premières galaxies étaient plus proches les unes des autres que celles que l'on observe aujourd'hui. Elles étaient donc plus fréquemment et fortement en interaction gravitationnelle, malgré l'expansion de l'espace les éloignant, au point qu'il devait exister plus de collisions et de fusionsfusions entre ces galaxies qu'on n'en observe depuis quelques milliards d'années avec le télescope Hubble.

    Fort logiquement, on en avait déduit que déjà lors du premier milliard d'années de l'existence du cosmos, qui est âgé d'environ 13,8 milliards d'années depuis le Big Bang (rappelons qu'il ne s'agit pas nécessairement d'un vrai début de l'existence de l'Univers observable), on devait pouvoir observer des galaxies hébergeant des quasars en cours de fusion.

    Cela n'avait jamais été le cas, jusqu'à aujourd'hui...

    Un communiqué du NOIRLab (National Optical-Infrared Astronomy Research Laboratory)) fait en effet état d'une telle découverte exposée en détail par une équipe internationale d'astronomesastronomes (incluant des membres du Kavli Institute for the Physics and Mathematics of the Universe) dans une publication dans Astrophysical Journal Letters, dont on peut trouver une version en accès libre sur arXiv.

    Les membres de cette équipe ont en effet débusqué en utilisant les instruments des télescopestélescopes Subaru et Gemini Nord, tous deux situés sur le mont Mauna kea à Hawaï, une paire de quasars en cours de fusion pendant ce que les cosmologistes ont appelé la réionisationréionisation de l'AubeAube cosmique (voir la vidéo ci-dessous à ce sujet avec un texte pour plus de détails).

    Cette époque a pris fin il y a environ un milliard d'années. On ne connaissait qu'environ 300 quasars solitaires pendant cette période mais aujourd'hui, non seulement on a découvert le premier quasar binairebinaire connu pendant cette époque, mais aussi la paire de quasars en fusion la plus éloignée jamais observée - en l'occurrence environ 900 millions d'années après le Big Bang.

    Cette image, prise avec l'<em>Hyper Suprime-Cam</em> du télescope Subaru, montre une paire de quasars en train de fusionner. Les taches rouge pâle ont attiré l'attention des astronomes et une spectroscopie de suivi avec le télescope Gemini Nord, une moitié de l'Observatoire international Gemini, qui est financé en partie par la National Science Foundation américaine et exploité par NSF NOIRLab, a confirmé que ces objets sont des quasars. La paire est visible seulement 900 millions d'années après le Big Bang. Il s'agit non seulement de la paire de quasars en fusion la plus éloignée jamais découverte, mais aussi de la première paire confirmée dans la période de l'histoire de l'Univers connue sous le nom d'Aube cosmique. © NOIRLab, NSF, AURA, T.A. Recteur (Université d'Alaska Anchorage, NSF NOIRLab), D. de Martin (NSF NOIRLab) et M. Zamani (NSF NOIRLab)
    Cette image, prise avec l'Hyper Suprime-Cam du télescope Subaru, montre une paire de quasars en train de fusionner. Les taches rouge pâle ont attiré l'attention des astronomes et une spectroscopie de suivi avec le télescope Gemini Nord, une moitié de l'Observatoire international Gemini, qui est financé en partie par la National Science Foundation américaine et exploité par NSF NOIRLab, a confirmé que ces objets sont des quasars. La paire est visible seulement 900 millions d'années après le Big Bang. Il s'agit non seulement de la paire de quasars en fusion la plus éloignée jamais découverte, mais aussi de la première paire confirmée dans la période de l'histoire de l'Univers connue sous le nom d'Aube cosmique. © NOIRLab, NSF, AURA, T.A. Recteur (Université d'Alaska Anchorage, NSF NOIRLab), D. de Martin (NSF NOIRLab) et M. Zamani (NSF NOIRLab)

    Une paire de quasars découverte par sérendipité

    Dans un autre communiqué, Yoshiki Matsuoka, de l'université d'Ehime au Japon, relate qu'il travaillait sur des images prises par l'Hyper Suprime-Cam du télescope Subaru quand il a été intrigué par une faible tache rouge. « En examinant les images des candidats quasars, j'ai remarqué deux sources similaires et extrêmement rouges l'une à côté de l'autre. Cette découverte est purement fortuite. »

    Avec ses collègues et des observations complémentaires faites avec le télescope Gemini Nord, ils ont donc établi que l'on était en présence de deux quasars à une même distance de la Voie lactéeVoie lactée et pas d'une association fictive sur la voûte céleste de deux objets de distances très différentes par rapport à nous. Pour éliminer cette hypothèse, les astronomes ont évalué ces distances en mesurant des décalages spectraux avec le spectrographespectrographe pour objets faibles (Focas) du télescope Subaru et le spectrographe dans le proche infrarougeinfrarouge Gemini (GNIRS) de Gemini Nord. La mise en évidence d'un pont de gazgaz s'étendant entre les deux quasars suggère que ces derniers et leurs galaxies hôtes sont en interaction gravitationnelle rapprochée, au point qu'une fusion était probablement en cours il y a un peu moins de 13 milliards d'années.

    Les observations ont permis également d'arriver à la conclusion que les trous noirs supermassifs derrière les deux noyaux actifs de galaxies contenaient chacun déjà à l'époque où on les observe environ 100 millions de massesmasses solaires chacun. Pour mémoire, celui de notre Voie lactée n'en contient qu'un peu plus de 4 millions. Une fois de plus, on constate que des trous noirs géants se sont formés étonnamment tôt dans l'histoire du cosmos observable.


    Un résumé de la découverte de la paire de quasars ancienne. © NOIRLabAstro

    Il reste encore beaucoup de travail à faire pour expliquer ce fait, notamment en faisant grimper le nombre d'observation des quasars. Yoshiki Matsuoka explique d'ailleurs que « les propriétés statistiques des quasars à l'époque de la réionisation nous révèlent beaucoup de choses, comme la progression et l'origine de la réionisation, la formation de trous noirs supermassifs pendant l'Aube cosmique et l'évolution la plus ancienne des galaxies hôtes des quasars. L'existence de quasars en fusion à l'époque de la réionisation est anticipée depuis longtemps. Elle est désormais confirmée ».

    L'Observatoire Vera-C.-Rubin (Vera C. Rubin Observatory, ou VRO), anciennement nommé Large Synoptic Survey Telescope (LSSTLSST, en français « Grand Télescope d'étude synoptique »), qui devrait voir sa première lumièrelumière en 2025, devrait détecter des millions de quasars grâce à ses capacités d'imagerie profonde.

    Pour en savoir plus sur la réionisation et les quasars


    Le phénomène de la réionisation s'est produit très tôt dans l'histoire de l'univers, ce qui le rend difficilement observable directement. Quelques minutes après le Big Bang, l'Univers était encore trop chaud pour que les électrons puissent être capturés par les noyaux atomiques : il était alors complètement ionisé. Par la suite, l'Univers a continué à s'étendre et se refroidir jusqu'à ce que sa température devienne suffisamment basse pour permettre aux électrons de se lier aux noyaux et de former les premiers atomes. Cette « recombinaison » s'est produite environ 380 000 ans après le Big Bang. Ce moment marque aussi un autre événement important dans l'histoire de l'univers : alors que la lumière est très facilement diffusée par les électrons quand ceux-ci sont libres, c'est beaucoup moins plus le cas quand ceux-ci sont liés aux noyaux. Ainsi, la recombinaison marque-t-elle aussi le moment où l'Univers est devenu transparent et où la lumière a pu s'y propager librement. © HFI Planck

    Sur la réionisation du cosmos observable

    On cherche aussi toujours à comprendre ce qui s'est passé juste après le Big Bang, c'est-à-dire une fois que les atomesatomes se sont formés, comment les premières étoilesétoiles et les premières galaxies qui les contenaient sont nées et quelles furent leurs évolutions précoces. Parmi les questions que cela implique, il y a celle qui consiste à déterminer les dates du début et de la fin de ce que l'on appelle la réionisation, c'est-à-dire le passage des âges sombresâges sombres à celui de l'Aube cosmique et par quels moyens.

    Expliquons un peu de quoi il s'agit.

    Selon le modèle cosmologique standard, environ 380 000 ans après la fin du Big Bang et disons environ un millier d'années, l'expansion du cosmos observable a fait chuter la température de son plasma, de sorte que les premiers atomes d'hydrogènehydrogène et d'héliumhélium se sont formés, les premières moléculesmolécules d'hydrogène également et quelques traces d'autres atomes comme le deutérium et le lithiumlithium. Les photonsphotons du rayonnement fossile n'étaient alors plus assez énergétiques pour casser un atome formé par la capture d'un électronélectron par un noyau du plasma.

    Aucune étoile n'illumine alors le gaz froid qui remplace le plasma gorgé de photons avant l'émissionémission du rayonnement fossile. Ce sont les âges sombres qui ont duré quelques centaines de millions d'années tout au plus avant que l'effondrementeffondrement de la matière connue ne donne les premières populations d'étoiles importantes et les protogalaxies.

    Le rayonnement ultravioletultraviolet des premières étoiles, sans doute aidé aussi par le rayonnement similaire produit par les premiers trous noirs géants, ancêtres des trous noirs supermassifs, a commencé à réioniser les atomes et, pendant la période dite justement de la réionisation, la majeure partie de la matière ordinaire entre les galaxies va retourner à l'état de plasma - mais bien moins dense. C'est d'ailleurs heureux pour les astrophysiciensastrophysiciens car cela permet aux photons des galaxies lointaines de nous parvenir sans avoir été largement absorbés par le milieu intergalactique.

    Sur les quasars

    Il y a environ 60 ans, la technique des occultationsoccultations a permis de déterminer la contrepartie dans le visible de ce qui n'était alors qu'une étonnante source radio puissante, 3C 273. Lorsque Maarten Schmidt, un astronome néerlandais, a ensuite fait l'analyse spectrale de la lumière de l'astreastre toujours dans le visible, il découvrit avec stupéfaction des lignes d'émissions de l'hydrogène fortement décalées vers le rouge. Or, 3C 273 apparaissait dans le visible comme une étoile alors que ce résultat impliquait qu'il se situât en dehors de la Voie lactée à une distance cosmologique. Pour être observable d'aussi loin, l'objet devait donc être d'une luminositéluminosité prodigieuse. D'autres quasi-stellars radio sources, des quasars selon la dénomination proposée en 1964 par l'astrophysicien d'origine chinoise Hong-Yee Chiu, n'allaient pas tarder à être découverts. On en connaît aujourd'hui plus de 200 000.


    Françoise Combes, astrophysicienne et professeure au Collège de France, explique les dernières découvertes au sujet des quasars. © Espace des sciences

    Les astrophysiciens ont très tôt cherché à comprendre la nature de ces astres qui, bien que libérant d'énormes quantités d'énergie, semblaient être de petite taille. On a d'abord pensé qu'il pouvait s'agir d'énormes étoiles dominées par les effets de la relativité généralerelativité générale, notamment responsable du décalage spectral, avant d'envisager assez rapidement qu'il pouvait s'agir de trous noirs supermassifs accrétant d'importantes quantités de gaz. Dans le bestiaire des astres relativistes que l'on commençait à explorer sérieusement pendant les années 1960, certains, comme le Russe Igor Novikov et l'Israélien Yuval Ne'eman, ont même proposé que les quasars soient en fait des trous blancs. C'est-à-dire soit des régions de l'Univers dont l'expansion au moment du Big Bang avait été retardée (hypothèse des lagging core), soit l'autre extrémité de trous de ver éjectant la matière qu'ils avaient absorbée sous forme de trous noirs dans une autre partie du cosmos, voire dans un autre Univers.