Détectée en 2023 lors de la troisième campagne de chasse aux sources d'ondes gravitationnelles avec des détecteurs comme Ligo et Virgo, la source baptisée GW230529 intrigue les théoriciens. Elle a fait intervenir une collision entre une étoile à neutrons et un astre compact dont la nature est incertaine et qui remet peut-être en question ce que l'on pense de la naissance de certains trous noirs ou la structure de certaines étoiles à neutrons.


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    On a peine à croire que cela fait déjà presque 10 ans que nous sommes vraiment entrés dans l'ère de l'astronomie gravitationnelle avec la détection de la source GW150914 (GW étant l'acronyme pour Gravitational Waves), la première détection d'ondes gravitationnellesondes gravitationnelles sur Terre réalisée aux États-Unis par la collaboration LigoLigo le 14 septembre 2015, même si la découverte n'a été annoncée que le 11 février 2016, après de nombreuses vérifications.

    Depuis lors, les instruments que sont Ligo aux USA, VirgoVirgo en Italie et Kagra au Japon ont détecté bien d'autres sources d'ondes gravitationnelles produites par des collisions d'astres compacts, trous noirs ou étoiles à neutrons. Parfois, il a été possible de localiser précisément ces sources sur la voûte céleste et de découvrir des contreparties dans le domaine des ondes électromagnétiques. Jamais encore lorsqu'il s'agit d'une collision entre deux trous noirs, mais quelque fois lorsqu'une voire deux étoiles à neutrons sont impliquées.

    Tout comme le son nous donne des renseignements sur l'instrument de musique et la matière dont il est fait, quand deux astres compacts entrent en collision, les ondes gravitationnelles produites qui se propagent dans la structure de l'espace-temps comme des vaguesvagues à la surface de l'eau selon la théorie de relativité généralerelativité générale d'EinsteinEinstein, portent en elles des informations sur la nature de ces astres compacts, leurs massesmasses, leurs moments cinétiquesmoments cinétiques de rotation propre et aussi sur les caractéristiques des géométries de l'espace-temps produites par ces objets. Il semble d'ailleurs que l'on commence à détecter les modes quasi-normaux que la théorie attribue aux trous noirs, les équivalents des sons produits par une cloche frappée, et qui s'amortissent avec le temps.


    Dans cette vidéo, plusieurs des membres importants de la collaboration Ligo, qui regroupe des chercheurs du Caltech et du MIT, nous parlent de la découverte des ondes gravitationnelles. On peut voir notamment Kip Thorne, le théoricien, et Rainer Weiss, l'expérimentateur, à l'origine de Ligo. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle avec deux barres horizontales en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître, si ce n'est pas déjà le cas. En cliquant ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, vous devriez voir l'expression « Traduire les sous-titres ». Cliquez pour faire apparaître le menu du choix de la langue, choisissez « français », puis cliquez sur « OK ». © caltech, YouTube

    L'étude des sources donne également des renseignements sur les populations d'astres compacts et leurs formations possibles, en particulier pour des étoiles massives en fin de vie qui vont s'effondrer gravitationnellement en donnant des supernovaesupernovae et des cadavres stellaires sous forme justement d'étoiles à neutrons ou de trous noirs.

    Rappelons qu'aucun des détecteurs d'ondes gravitationnelles actuellement en service ne détecte les ondes que peuvent produire les trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs. On pense qu’il est possible de les observer actuellement indirectement avec les ondes radios des pulsars cependant.

    Les membres de la collaboration Ligo-Virgo-Kagra viennent de rendre public sur arXiv un article dans lequel ils se sont penchés récemment sur un curieux cas avec la source d'onde gravitationnelle GW230529. Comme son nom l'indique, sa détection est survenue le 29 mai 2023 mais malheureusement uniquement avec Ligo et pire, avec le détecteur situé à Livingston en Louisiane, dans le sud des États-Unis ; 4 000 kilomètres de là, à Hanford, dans l'État de Washington au Nord-Ouest, son jumeaujumeau était à l'arrêt, tout comme Virgo.

    Un astre compact énigmatique

    Impossible de trianguler pour situer précisément la source sur la voûte céleste et une recherche d'une contrepartie électromagnétique n'a rien donné. Ce point est d'importance comme on le verra. Toujours est-il que l'équipe de chercheurs a analysé le signal mesuré pour en conclure qu'il provenait de la collision de deux astres compacts dont l'un devait contenir environ 3,6 masses solaires et le plus léger une masse située entre 1,2 et 2,0 masses solaires.

    L'objet le plus léger ne pose a priori pas de problème, sa masse est dans l'intervalle de celles que l'on a pu mesurer avec d'autres étoiles à neutrons et par une autre méthode, mais surtout dans l'intervalle que la théorie des étoiles à neutrons autorise. Il existe l'équivalent de la masse limite de Chandrasekharlimite de Chandrasekhar pour les naines blanchesnaines blanches avec les étoiles à neutrons. Au-dessus, elles ne sont pas stables et doivent s'effondrer en trou noir. Les premières estimations de cette masse limite ont été données par Oppenheimer et Volkoff, indépendamment par Lev Landau.

    Quelques informations autour de la détection de GW230529. © Observatoire de la Côte d'Azur - Université Côte d'Azur - CNRS
    Quelques informations autour de la détection de GW230529. © Observatoire de la Côte d'Azur - Université Côte d'Azur - CNRS

    Par contre, le cas de l'objet le plus lourd dit « primaire », comme l'explique un communiqué de l'Observatoire de la Côte d'Azur, est plus difficile à interpréter. Avec ses 3,6 masses solaires, il ne devrait pas a priori s'agir d'une étoile à neutrons, mais il faut bien dire que la théorie de la structure et donc de la masse limite des étoiles à neutrons contient encore quelques mystères. Il y a quelques années, un astre compact tout aussi problématique mais plus léger (2,6 masses solaires)) avait été détecté via la source GW190814. L’hypothèse que l’on soit en présence d’une étoile de quarks avait même été avancée. Il semble tout de même peu probable qu'il s'agisse bien d'une étoile à neutrons. De plus, on aurait alors détecté une collision d'étoiles à neutrons, ce qui doit donner une kilonova avec une signature électromagnétique.

    Doit-on en conclure alors qu'il s'agit en fait d'un trou noir ? ce qui est possible aussi d'après les analyses du signal gravitationnel. C'est là que les choses se corsent. Avant 2015, on connaissait déjà dans la Voie lactéeVoie lactée les masses de candidats au titre de trous noirs stellairestrous noirs stellaires, donc formés par l'effondrementeffondrement gravitationnel d'une étoile. On pouvait déterminer ces masses parce que les trous noirs font partie d'un système binairesystème binaire, avec une étoile compagne dont de la matière est attirée par les forces de maréeforces de marée, formant un disque d'accrétiondisque d'accrétion brillant en rayons Xrayons X.

    Une lacune dans la distribution des masses des trous noirs et des étoiles à neutrons ?

    Les masses déterminées étaient le plus souvent comprises entre six et une dizaine de masses solaires environ. En tenant compte des masses observées avec les étoiles à neutrons, les astrophysiciensastrophysiciens avaient proposé l'hypothèse de l'existence de ce que l'on appelle le « mass gapgap »  en anglais (ce qui peut se traduire par écart ou lacune de masse). Il correspond au fait qu'aucun astre compact de masse comprise entre 2,5 et 5 masses solaires n'avait été observé jusqu'à présent.

    Au sujet de la découverte de GW230529 effectuée lors de la troisième campagne de chasse aux ondes gravitationnelles dans le communiqué de l'Observatoire de la Côte d'Azur, comme l'explique Shanika Galaudage, post-doctorante à l'Observatoire de la Côte d'Azur, spécialiste des couples de trous noirs - étoiles à neutrons et une des responsables de l'écriture de l'article sur arXivarXiv : « Cet évènement renforce l'idée que le gap entre les populations d'étoiles à neutrons et de trous noirs stellaires n'est pas vide » ajoutant que « ce genre d'événements est intéressant par la quantité de questions qu'ils posent à la communauté astrophysiqueastrophysique. On repousse les frontières de nos compréhensions sur l'origine des populations d'étoiles à neutrons et de trous noirs. La quatrième période de prise de données va commencer ; avec un peu de chance, on détectera d'autres événements de ce type ! ».

    « Cette nouvelle période de prise de données, qui réunit Ligo, Virgo et Kagra, va recommencer officiellement le 10 avril  et toutes nos équipes sont mobilisées par l'optimisation de l'antenne Virgo et l'analyse de données », précise toujours dans le communiqué de l'OCA Marie-Anne Bizouard, directrice de recherche CNRS, responsable de Virgo au laboratoire Artemis (Observatoire de la Côte d'Azur - Université Côte d'Azur - CNRS).

    Un trou noir primordial ou résultant d'une collision d'étoiles à neutrons ?

    Que le gap n'existe probablement pas est une chose mais ce qui rend les astrophysiciens perplexe, dans l'hypothèse la plus probable où GW230529 fait bien intervenir un trou noir, c'est le scénario de la genèse d'un tel trou noir d'environ 3,6 masses solaires. En effet, les modèles d'effondrement gravitationnel accompagnant une supernova ont du mal à reproduire des masses inférieur à 6 masses solaires, ce qui questionne donc ces modèles.

    Plusieurs scénarios sont tout de même envisageables. Ainsi, il est possible qu'une partie de la matière expulsée par une supernova retombe sur l'étoile à neutrons résiduelle, faisant augmenter sa masse au point de la déstabiliser et de la conduire à s'effondrer en trou noir.

    On peut imaginer aussi un système triple d'étoiles à neutrons dont deux étaient déjà entrées en collision pour donner un trou noir en orbiteorbite autour de l'étoile à neutrons restante.

    Autre solution faisant intervenir l'effondrement d'une étoile à héliumhélium, une étoile bleue de type spectral O ou B présentant de très fortes raies de l'hélium et des raies de l'hydrogènehydrogène plus faibles que d'ordinaire indiquant des ventsvents stellaires forts et une perte significative de masse des couches externes. Certaines simulations suggèrent des masses de trous noirs faibles atteignant la masse maximale des étoiles à neutrons, bien que l'intervalle de masse en deçà de 5 masses solaires soit moins peuplé, quand des étoiles à hélium s'effondrent en devenant des supernovae.

    Une dernière hypothèse, plus exotiqueexotique, le trou noir de GW230529 pourrait être un trou noir primordial, ayant capturé l'étoile à neutrons légère.