On sait depuis longtemps qu’il existe une relation de proportionnalité entre la masse d’un trou noir supermassif et celle de la galaxie qui l’héberge. Si cette relation implique un processus de co-croissance, toutefois on ne comprend pas encore aussi bien qu’on le voudrait en quoi il consiste. Pour la première fois, une équipe d’astrophysiciens fournit les premières preuves concrètes et directes d’un lien plus spécifique entre la masse des trous noirs centraux des galaxies et cette fois-ci la teneur en gaz d'hydrogène atomique froid de leurs galaxies hôtes, suggérant l’influence des trous noirs centraux sur la croissance et l’extinction de leurs galaxies hôtes, en régulant l’accrétion de gaz froid dans les galaxies.


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    On peut dire que du Grec Hipparque (v. 190 - v. 120 av. J.-C.)), considéré comme le plus grand astronomeastronome d'observation de l'Antiquité en raison de ses travaux de détermination des grandeurs et distances du Soleil et de la Lune ainsi que de sa compilation d'un catalogue d'étoiles faisant suite à celui de Timocharis d'Alexandrie (c'est en confrontant ce catalogue, vieux de plus d'un siècle, à ses propres observations qu'il découvrit la précession des équinoxes) à William Herschel (1738 -1822), découvreur d'UranusUranus et des rayons infrarougesinfrarouges, le Monde de l'astronomie (c'est-à-dire l'UniversUnivers pour les savants de l'époque) décrit essentiellement les planètes du Système solaireSystème solaire. Avec l'astrophysiqueastrophysique au siècle suivant, on va passer à l'étude des étoiles et de la Voie lactéeVoie lactée. Le XXe siècle  a été celui de l'exploration de l'Univers extragalactique avec les nébuleusesnébuleuses de Hubble, jusqu'aux quasarsquasars et au Big BangBig Bang.

    Cette exploration se poursuit aujourd'hui avec les trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs et l'étude de l'évolution des galaxiesgalaxies et des structures qui les rassemblent et le XXIe siècle pourrait aussi être le siècle de l’étude du multivers.

    Nous n'en sommes pas encore là et il y a encore bien du travail à faire pour comprendre les relations entre l'évolution des trous noirs supermassifs et celle des galaxies qui les hébergent ainsi bien sûr que leurs naissances. Il est établi qu'il y a un lien entre ces trous noirs et la capacité des galaxies à former de nouvelles étoiles. Cette formation était notamment fiévreuse au cours des premiers milliards d'années du cosmoscosmos observable, mais certaines galaxies sont devenues rapidement mortes, ne formant plus d'étoiles et étant vidées du gazgaz qui pourrait servir à la cosmogonie stellaire.


    Comment s’est formé l’Univers ? De quoi est-il fait ? On envoie dans l’espace des télescopes de plus en plus puissants pour essayer d’en apprendre plus, de comprendre… Lancé en décembre 2021, le télescope spatial James-Webb a déjà fourni des images spectaculaires. Celles-ci permettent aux astrophysiciens de plonger au plus profond de l’Univers et de remonter le temps jusqu’à la source de toute lumière, des étoiles et des galaxies. ‪David Elbaz‬, directeur scientifique du département d’astrophysique au CEA, présente cette quête du premier matin du monde. © CEA

    Des galaxies étudiées dans l'ultraviolet et dans la bande des ondes radio

    On tente de répondre à des questions à ce sujet avec des instruments comme le télescope spatial James-Webbtélescope spatial James-Webb, mais aussi avec d'autres plus anciens. Un des derniers exemples de ces entreprises vient d'être fourni par des chercheurs chinois de l'École d'astronomie et de sciences spatiales de l'université de Nanjing qui ont découvert un lien direct entre la massemasse des trous noirs centraux des galaxies et la teneur en gaz d'hydrogènehydrogène atomique de leurs galaxies hôtes. Cela fournit des preuves observationnelles importantes du lien longtemps suspecté entre ces trous noirs supermassifs et la teneur en gaz froid des galaxies massives.

    Comme on peut le constater dans l'article qu'ont publié ces chercheurs dans le prestigieux journal Nature (en accès libre sur arXiv), David Elbaz, l’astrophysicien français bien connu, directeur de recherches au Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA Saclay) et responsable du Laboratoire Cosmologie et Évolution des Galaxies a participé à cette découverte.

    Elle s'est faite en utilisant les données collectées dans le cadre de la campagne d'observations du Galex Arecibo SDSS Survey (Gass) qui avait débuté le 19 mars 2008. Comme son nom l'indique, elle combinait notamment des données collectées par le défunt radiotélescope d'Arecibo et par le petit télescope spatial Galaxy Evolution Explorer (Galex ou Explorer 83) destiné à étudier la formation des étoiles et des galaxies sur les 10 derniers milliards d'années dans le rayonnement ultravioletultraviolet et dont la mission s'est achevée le 30 juin 2013.

    Gass était conçu pour mesurer avec AreciboArecibo la teneur en hydrogène atomique neutre via la fameuse raie à 21 cm dans un échantillon représentatif d'environ 1 000 galaxies massives, sélectionnées uniformément à partir des relevés spectroscopiques du Sloan DigitalDigital Sky Survey, en abrégé SDSS (un programme de relevé des objets célestes utilisant un télescope optique dédié de 2,5 mètres de diamètre situé à l'observatoire d'ApacheApache Point et démarré en 2000) et d'imagerie Galex.


    Conférence Cyclope du 4 février 2020 de David Elbaz, directeur de recherche à l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers au CEA. Des galaxies ont été retrouvées sans vie, « froides », constituées uniquement de petites étoiles. L’enquête, menée par des astrophysiciens, a conclu à un décès il y a 8 à 10 milliards d’années. Qui sont les coupables ? Les trous noirs, accusés par les modélisations réalisées à l’aide de supercalculateurs ? Mais quel est le rôle des autres acteurs obscurs de l’Univers, matière noire, énergie noire ? Et qu’en est-il des « galaxies noires » récemment découvertes ? Les astrophysiciens ne cessent de traquer le côté obscur de l’Univers. Une traque de longue date qui stimule les scientifiques, qui cherchent à comprendre la dynamique de l’Univers entre amas de galaxies et vides immenses. © CEA

    Des courants froids de matière à l'accrétion régulée

    Depuis environ une décennie, le nouveau paradigme de la croissance des galaxies fait intervenir des courants froids d’hydrogène et d’hélium canalisés par des filaments de matière noire, comme l’avait expliqué à Futura l’astrophysicien Romain Teyssier.

    Comme le rappelle le communiqué de l'université de Nanjing, on sait également depuis un moment qu'il existe en gros deux familles de galaxies : celles qui forment des étoiles et celles qui n'en forment pas, généralement appelées respectivement « galaxies formatrices d'étoiles » et « galaxies passives ». Les galaxies passives semblent clairement le produit des galaxies actives et il se pose alors tout naturellement la question de savoir ce qui provoque la transition des galaxies avec formation d'étoiles chez les secondes.

    On avait bien remarqué que les galaxies passives étaient en moyenne les plus massives. Or, depuis les années 1970, les théoriciens avaient proposé que les trous noirs supermassifs, cœur des grandes galaxies, puissent perturber les réservoirs de gaz froid de leurs galaxies hôtes en émettant copieusement du rayonnement et des ventsvents de matièrematière suite à une accrétionaccrétion massive de matière. Le souffle de ces trous noirs finissant par expulser hors des grandes galaxies le gaz froid en mesure de former de nouvelles étoiles.


    Une conférence de Romain Teyssier sur la cosmologie numérique appliquée à la naissance et l'évolution des galaxies. Les simulations débutent avec comme conditions initiales les contraintes sur les fluctuations de densité de matière environ 400 000 ans après le Big Bang telles que nous l'enseigne la carte du rayonnement fossile dressée avec le satellite Planck. Le chercheur explique surtout que selon l'acuité de la modélisation de la physique des baryons (notamment avec une résolution de plus en plus grande en ce qui concerne les échelles d'espace et de temps dans les simulations) avec la formation des étoiles et pas seulement en tenant compte de la physique de la matière noire, une grande diversité de phénomènes et surtout de formes de galaxies apparaît. © Collège de France

    Un nouveau paradigme pour la mort des galaxies ?

    Mais, dans l'article de Nature, David Elbaz et ses collègues présentent aujourd'hui une analyse d'un échantillon statistique de galaxies proches pour lesquelles une mesure de leur masse stellaire, de la masse de leurs trous noirs centraux et de leur réservoir d'hydrogène atomique (HI) est disponible avec Gass. Ils montrent que le réservoir de gaz diminue avec une bien meilleure corrélation avec la masse des trous noirs supermassifs en comparaison avec d'autres paramètres galactiques majeurs comme la masse stellaire, la densité de surface de la masse stellaire et la masse du bulbe des galaxies spiralesgalaxies spirales.

    En clair, il apparaît maintenant que ce n'est pas la masse des galaxies qui joue un rôle dans la détermination de la quantité de gaz qu'elles contiennent, mais plutôt la masse du trou noir central. Plus le trou noir d'une galaxie est massif, plus son réservoir de gaz atomique est petit.

    Le <em>Galaxy Evolution Explorer</em> a été lancé le 28 avril 2003. Sa mission était d'étudier la forme, la luminosité, la taille et la distance des galaxies sur 10 milliards d'années d'histoire cosmique. Le télescope de 50 centimètres de diamètre à bord du Galaxy Evolution Explorer balayait le ciel à la recherche de sources de lumière ultraviolette. © Nasa, JPL-Caltech
    Le Galaxy Evolution Explorer a été lancé le 28 avril 2003. Sa mission était d'étudier la forme, la luminosité, la taille et la distance des galaxies sur 10 milliards d'années d'histoire cosmique. Le télescope de 50 centimètres de diamètre à bord du Galaxy Evolution Explorer balayait le ciel à la recherche de sources de lumière ultraviolette. © Nasa, JPL-Caltech

    Dans le cadre du paradigme des courants froids, il faut en conclure que les trous noirs ont le pouvoir d'empêcher les galaxies de recevoir de la matière de l'extérieur, c'est-à-dire qu'ils affectent la croissance et l'extinctionextinction de leurs galaxies hôtes, en régulant l'accrétion de gaz froid dans les galaxies.

    Le communiqué de l'université de Nanjing se conclut en expliquant que « l'article révèle également que les deux types de galaxies de base, les galaxies à formation d'étoiles et les galaxies passives, suivent en fait la même relation teneur en gaz froid-masse du trou noir. Cela suggère que la relation entre la teneur en gaz froid et la masse du trou noir fournit un cadre nouveau et probablement plus fondamental pour étudier la (trans)formation des galaxies, par rapport à la relation communément supposée entre la teneur en gaz et les masses stellaires, ou d'autres paramètres galactiques ».