Les astrophysiciens et les cosmologistes ont prévu l'existence d'un fond stochastique d'ondes gravitationnelles, un peu comme celui des ondes produites à la surface d'une mare par des gouttes de pluie, provenant potentiellement de plusieurs sources et en particulier des collisions de trous noirs supermassifs au cœur des galaxies. La détection de ce fond, en utilisant habilement les pulsars, se renforce et on commence même à faire des cartes du fond de ciel avec la détection potentielle d'une source localisée. Ce fond pourrait être très bavard sur une nouvelle physique et le Big Bang.


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    Rappelez-vous, en juin 2023, Futura vous faisait part de la découverte probable de ce que les astrophysiciensastrophysiciens relativistes appellent le fond d'ondes gravitationnellesondes gravitationnelles cosmologique par le North American Nanohertz Observatory for Gravitational Waves (NANOGrav), mais aussi dans le cadre plus large de l'International Pulsar Timing Array (IPTA) regroupant des chercheurs utilisant les données prises depuis environ 15 ans avec plusieurs dizaines de radiotélescopes sur la Planète. Parmi eux, il y a des radioastronomes français utilisant le fameux radiotélescope de Nançayradiotélescope de Nançay, dans le cadre de l'European Pulsar Timing Array (Epta). Remarquablement, la découverte de ce fond qui était attendu surtout avec le détecteur d'ondes gravitationnelles eLisa de l'ESA une fois qu'il serait dans l'espace à l'horizon des années 2030, ce serait donc fait beaucoup plus tôt et en utilisant l'effet de ces ondes sur la propagation des faisceaux d'ondes radio produits par des étoiles à neutrons bien particulières, que l'on appelle des pulsars.

    La découverte demandait à être confirmée et aussi affinée. On ne disposait pas encore d'une carte de ce fond analogue à celle du rayonnement fossile cosmologique du Big BangBig Bang, la vraie nature des sources de ces ondes étant aussi encore incertaine et il n'était pas encore possible de distinguer sur la voûte céleste des indices de la manifestation de sources localisées.

    Toujours est-il qu'à l'époque, les chercheurs de NANOGrav expliquaient que s'ils surveillaient plus de 80 pulsars qui tournent plus de 100 fois par seconde sur eux-mêmes, les célèbres pulsars millisecondes (MSPMSP), leur découverte provient de l'étude de 68 d'entre eux pendant 15 ans. Ils ont été étudiés une fois toutes les trois à quatre semaines pour la plupart, avec notamment le télescope Green Bank (GBT), le défunt observatoire d'AreciboArecibo et le Very Large Array (VLA), tous trois impliqués également dans le programme Seti.


    Dans le cadre d’un réseau mondial dédié à l’observation des pulsars, un consortium européen publiait le 29 juin 2023, dans la revue Astronomy and Astrophysics, une série de résultats issus de données collectées depuis un quart de siècle par six des radiotélescopes les plus sensibles au monde. Les données du consortium européen, de même que celles de leurs homologues américain, australien et chinois, contiennent les indices très solides de l’existence d’ondes gravitationnelles, captées dans de très basses fréquences, qui proviendraient de couples de trous noirs supermassifs situés au centre de galaxies en cours de fusion. La participation française à ces travaux est importante, impliquant la contribution de chercheurs de l’Observatoire de Paris - PSL, du CNRS, du CEA, de l’Université d’Orléans et d’Université Paris Cité. © L'Observatoire de Paris

      Des pulsars pour révéler la propagation d'ondes gravitationnelles

      Aujourd'hui, un pas de plus dans l'étude de ce fond d'ondes gravitationnelles cosmologique vient d'être annoncé par plusieurs communiqués et publications sur arXiv. On y apprend que dans le cadre d'une collaboration internationale de radioastronomes - d'Australie, d'Allemagne, du Royaume-Uni, d'Afrique du Sud, des Pays-Bas, d'Italie et de France - le radiotélescope MeerKAT en Afrique du Sud a été utilisé dans ce but pendant un peu plus de quatre ans pour surveiller les impulsions électromagnétiques de 83 pulsars avec une précision de l'ordre de la nanoseconde.

      Pour comprendre plus en détail de quoi il s'agit, nous reprenons en partie ce que nous avions expliqué en 2023.

      En 1917, EinsteinEinstein découvre en même temps le principe du laserlaser, l’énergie noire accélérant l’expansion de l’Univers observable et pousse un cran plus loin ses travaux sur les ondes gravitationnelles prédites par les équations de la relativité générale, sa théorie relativiste de la gravitation dont il a donné une forme finale en novembre 1915.

      Selon cette théorie, l'espace-tempsespace-temps de la relativité restreinte théorisé par le mathématicienmathématicien Hermann Minkowski en 1908 se comporte en fait comme un milieu élastique pouvant se courber, se déformer et être le lieu d'ondes analogues aux ondes sonoresondes sonores et lumineuses. En 2015, en utilisant des faisceaux laser, on a détecté enfin le passage d'une onde gravitationnelle sur Terre avec le détecteur LigoLigo aux États-Unis. Des dizaines d'autres détections vont suivre les années suivantes alors que d'autres détecteurs entrent dans la danse, VirgoVirgo surtout, en Europe, mais aussi Kagra, au Japon.

      Il s'agit alors d'ondes produites par les ultimes moments de deux astresastres compacts, des trous noirs stellairestrous noirs stellaires ou des étoiles à neutrons, qui en quelques centièmes de seconde font varier les distances dans l'espace sur Terre de la taille d'un noyau d'atomeatome tout au plus. Mais, en 1983, deux chercheurs états-uniens, Ron Hellings et George Downs, collègues au mythique Caltech des prix Nobel de physiquephysique Richard Feynman, et surtout Kip Thorne qui s'est lancé dans l'étude et la détection des ondes gravitationnelles, se rendent compte que l'on peut utiliser les pulsars de la Voie lactéeVoie lactée pour détecter des ondes gravitationnelles dans une autre bande de fréquencesbande de fréquences, beaucoup plus basses.


      Un pulsar est une étoile à neutrons qui émet des faisceaux de rayonnement qui balayent la ligne de visée de la Terre. Comme un trou noir, c'est un point final à l'évolution stellaire. Les « impulsions » de rayonnement de haute énergie que nous voyons d'un pulsar sont dues à un désalignement de l'axe de rotation de l'étoile à neutrons et de son axe magnétique. Les pulsars semblent pulser de notre point de vue parce que la rotation de l'étoile à neutrons fait que le faisceau de rayonnement généré dans le champ magnétique entre et sort de notre champ de vision avec une période régulière, un peu comme le faisceau de lumière d'un phare. Le flux de lumière est, en réalité, continu, mais pour un observateur éloigné, il semble clignoter et s'éteindre à intervalles réguliers. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa Goddard Space Flight Center

      Une superposition cosmologique de sources d'ondes gravitationnelles

      Les décennies à venir vont faire prendre conscience qu'il serait alors possible d'ouvrir une fenêtrefenêtre sur plusieurs phénomènes astrophysiquesastrophysiques et même cosmologiques de grande importance produisant indirectement ce que l'on a appelé le fond cosmologique d'ondes gravitationnelles stochastiquesstochastiques.

      L'origine la plus probable de ce fond est celle des sources d'ondes gravitationnelles que sont les trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs contenant de un million à plusieurs milliards de massesmasses solaires et qui peuvent entrer en collision une fois que deux grandes galaxiesgalaxies qui en contenaient un chacune ont fusionné. Le processus prendrait 25 millions d'années et produirait donc un fond cosmique chaotique de l'espace-temps un peu comme le feraient des gouttes de pluie tombant dans une mare, chaque impact de goutte de pluie représentant une collision en cours de trous noirs supermassifs dans l'UniversUnivers observable.

      L'idée de la détection de ce fond stochastique, produit par les trous noirs supermassifs comme ceux observés par les membres de la collaboration Event Horizon Telescope, est la suivante. On sait que les pulsars sont des étoiles à neutrons en rotation très rapide, denses et avec un champ magnétiquechamp magnétique intense. Elles produisent donc un faisceau d'ondes radio, un peu comme un phare et cela se traduit, quand ce faisceau croise la Terre, par une  série d'impulsions très stables dans un radiotélescope comme ceux d'Arecibo et de Nançay.

      Une vue d'artiste de la Terre noyée dans l'espace-temps qui est déformé par les ondes gravitationnelles du fond stochastique et ses effets sur les signaux radio provenant des pulsars observés. © Tonia Klein, NANOGrav
      Une vue d'artiste de la Terre noyée dans l'espace-temps qui est déformé par les ondes gravitationnelles du fond stochastique et ses effets sur les signaux radio provenant des pulsars observés. © Tonia Klein, NANOGrav

      En arrivant sur Terre, ces ondes font varier les distances de la longueur d'un terrain de foot, mais il leur faut pour cela une trentaine d'années, ce qui correspond à des longueurs d'ondelongueurs d'onde de 2 à 10 années-lumièreannées-lumière. On comprend donc pourquoi il a fallu aux physiciensphysiciens une quinzaine d'années et des détecteurs à l'échelle de la Galaxie pour déclarer aujourd'hui qu'ils avaient bel et bien mis en évidence le fond d'ondes gravitationnelles cosmologique.

      Comme les distances spatiales dans la Voie lactée sont affectées par ces ondes, les temps de trajets des ondes électromagnétiquesondes électromagnétiques des pulsars varient également, de sorte que l'on détecte parfois des avances et des retards dans les temps d'arrivée des impulsions des pulsars.

      En étudiant simultanément des dizaines de pulsars pour mettre en évidence des corrélations entre les fluctuations des temps d'arrivée des impulsions radio, on peut donc extraire du signal des fluctuations qui sont bien spécifiques au passage d'une onde gravitationnelle dans la Voie lactée, sur Terre et pas des variations concernant les émissionsémissions des pulsars eux-mêmes qui sont bien connues, par exemple celles que l'on appelle des « glitchs » (en français « pépin », « accroc »), terme anglais désignant la variation brutale de la période de rotationpériode de rotation d'un pulsar à la suite du ralentissement progressif de sa rotation en raison de mouvementsmouvements dans son intérieur.


      Une belle présentation, en anglais, de la découverte par les membres de l'IPTA du fond stochastique d'ondes gravitationnelles dont la nature exacte reste encore à définir. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © National Science Foundation

      Une source distincte d'ondes gravitationnelles ?

      Le communiqué de l'université de technologie de Swinburne, en Australie, donne la parole à l'un de ses chercheurs qui a été l'auteur principal derrière deux publications, Matt Miles. Il explique que l'étude du fond d'ondes gravitationnelles cosmologique « nous permet d'être à l'écoute des échos d'événements cosmiques sur des milliards d'années. Cela révèle comment les galaxies et l'Univers lui-même ont évolué au fil du temps ».

      Aujourd'hui, on dispose donc de nouvelles preuves de l'existence de signaux d'ondes gravitationnelles provenant de la fusionfusion de trous noirs supermassifs. Matt Miles commente cette avancée en déclarant : « Ce que nous voyons laisse entrevoir un Univers beaucoup plus dynamique et actif que ce que nous avions prévu. Nous savons que des trous noirs supermassifs sont en train de fusionner, mais nous commençons maintenant à nous demander : où sont-ils et combien y en a-t-il ? ».

      Or, justement, les chercheurs ont finalement commencé à construire une carte de ce fond qui a révélé une anomalieanomalie intrigante : « un point chaudpoint chaud » inattendu dans le signal, qui suggère un possible biais directionnel.

      Ce qui fait dire à l'auteure principale de l'une des études et chercheuse l'université Monash, également en Australie, Rowina Nathan, que « la présence d'un point chaud pourrait suggérer une source distincte d'ondes gravitationnelles, comme une paire de trous noirs dont la masse est des milliards de fois supérieure à celle de notre SoleilSoleil. Il reste encore du travail à faire pour déterminer l'importance du point chaud que nous avons découvert, mais il s'agit d'une avancée passionnante pour notre domaine ».

      Voici à quoi commence à ressembler un carte du fond d'ondes gravitationnelles cosmologique. En bas à gauche, on voit une région plus brillante qui signale peut-être une source d'ondes gravitationnelles proche de la Voie lactée sous la forme d'une collision de trous noirs supermassifs. Mais cela reste à confirmer. © Rowina Nathan
      Voici à quoi commence à ressembler un carte du fond d'ondes gravitationnelles cosmologique. En bas à gauche, on voit une région plus brillante qui signale peut-être une source d'ondes gravitationnelles proche de la Voie lactée sous la forme d'une collision de trous noirs supermassifs. Mais cela reste à confirmer. © Rowina Nathan

      Le saviez-vous ?

      Quelles sont les interprétations possibles pour le fond d’ondes gravitationnelles mis raisonnablement en évidence aujourd’hui ?

      Des trous noirs supermassifs binaires ?

      Le plus probable est que l’on observe au moins principalement les ondes des trous noirs supermassifs. Toutefois, contrairement au cas des observations de Ligo et Virgo et même si on s’attend à des fusions de trous noirs supermassifs, ce ne serait pas en raison des pertes d’énergie sous forme d’ondes gravitationnelles que se produiraient finalement ces fusions pour des trous noirs supermassifs binaires, car les calculs montrent, pour le moment en tout cas, que cela prendrait un temps équivalent à l’âge de l’Univers observable. Or, on observe des trous noirs supermassifs ayant dû provenir de la fusion de trous noirs il y a déjà des milliards d’années. C’est ce que les astrophysiciens appellent le « final-parsec problem » et pour le résoudre, ils font intervenir des interactions gravitationnelles entre les gaz et les étoiles environnant les trous noirs binaires au cœur des galaxies.

      La forme du signal mis en évidence aujourd’hui est compatible avec d’autres sources d’ondes gravitationnelles et ce que l’on observe est peut-être la somme de ces différentes sources, dont certaines font intervenir de la physique au-delà du Modèle standard de la physique des hautes énergies.

      Les ondes gravitationnelles quantiques de l'inflation ?

      Il pourrait s’agir par exemple d’ondes gravitationnelles émises pendant la fameuse phase d’inflation primordiale dont on pense qu’elle a produit la matière existante indirectement, alors que l’espace se dilatait transitoirement follement et de manière exponentiellement rapide. Cette dilatation aurait fait pénétrer dans le domaine macroscopique des fluctuations quantiques microscopiques de l’espace-temps devenant donc des ondes gravitationnelles. Toutefois, la recherche de ces ondes dans le rayonnement fossile étudié avec le satellite Planck, sans succès, impose des contraintes à l’observabilité de ces ondes avec les pulsars. Quand bien même on verrait déjà bien ces ondes, on ne sait pas encore quelle théorie parmi les nombreuses proposées, au-delà du Modèle standard, pourrait en rendre compte.

      Des transitions de phase dans des champs quantiques ?

      D’autres ondes du Big Bang pourraient aussi expliquer les observations, celle produite par des transitions de phase. Ainsi, on observe peut-être les traces de ce qui s’est produit quand le plasma de quarks et de gluon primordial de la QCD s’est refroidi au point de se condenser en gouttes de liquide hadronique, à savoir les protons et les neutrons de nos atomes. Une autre transition de phase, mais dans un cas bien particulier, est aussi admissible et fait intervenir la transition dite électrofaible, c’est-à-dire le moment où le boson de Brout-Englert-Higgs est devenu massif et a donné des masses à beaucoup de particules.