Le ciel d'été, pas besoin d'être un spécialiste pour s'en émerveiller. Mais quand l'occasion se présente d'une petite visite guidée avec un astrophysicien, il faut sauter sur l'occasion. C'est ce que nous vous proposons. Un voyage dans notre Univers en compagnie de l'astrophysicien David Elbaz. Un moment d'immortalité...


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    L'été, le temps semble parfois suspendre son vol. Et on se laisse alors plus volontiers aller à la rêverie. David Elbaz est astrophysicienastrophysicien. Il est aussi l'un des guides à suivre pour s'émerveiller des beautés de l'Univers. Il nous parle de son Ciel. De notre Ciel...

    Davie Elbaz est astrophysicien, directeur de recherche au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Sa spécialité : l'étude de la formation des galaxies. © DR
    Davie Elbaz est astrophysicien, directeur de recherche au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Sa spécialité : l'étude de la formation des galaxies. © DR

    Depuis sa mise en service, le télescope spatial James-Webb (JWST) nous régale d'images de notre Univers toutes plus merveilleuses les unes que les autres. L'astrophysicien que vous êtes en a-t-il une préférée ? Pourquoi ?

    Étrangement, c'est l'image d'une galaxie qui fait partie de notre voisinage à l'échelle cosmique qui me touche le plus. Située dans la direction de la constellation du PoissonPoisson, cette galaxie n'est qu'à 32 millions d'années-lumière de nous, mais déjà son nom laisse rêveur : on l'appelle la Galaxie du Fantôme à cause de sa lumière diffuse et blafarde.

    Ce que j'aime dans cette image, c'est bien sûr sa beauté, mais aussi ce sentiment de plonger dans un puits sans fond, comme si on était pris dans les fils d'une toile d'araignéearaignée cosmique qui nous conduit vers le centre où se trouve un trou noir galactique. Cette structure filandreuse est véritablement nouvelle, car on n'avait jamais réalisé d'image avec un tel degré de précision qui montre les régions où naissent des moléculesmolécules complexes dans les bras spiraux de la galaxie. Ce qu'on voit ici c'est de la lumière en infrarougeinfrarouge moyen à des longueurs d'ondeslongueurs d'ondes bien spécifiques qui permettent de capter la lumière produite par des molécules qu'on appelle des PAHs, ou hydrocarbones aromatiquesaromatiques polycycliques. Ce sont des myriadesmyriades d'atomesatomes de carbonecarbone reliés entre eux, avec de nombreux cycles de carbone - des cycles benzéniques - dont la vibrationvibration a une signature que l'on reconnaît entre toutes dans cette lumière colorée. Elles sont nées dans l'écumeécume des vaguesvagues du disque galactique comme la couleurcouleur blanche de l'écume de nos vagues terrestres traduit la présence de microorganismesmicroorganismes.

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    Au moment où je vous réponds, je participe à une conférence sur l'origine de cette danse des galaxies justement. C'est une véritable révolution qui est en cours depuis que l'on a réalisé que cette danse cosmique était née de l'apport de matièrematière diffuse depuis l'espace sous la forme de sortes de fleuves cosmiques. C'est cette incroyable histoire qui est au cœur d'une révolution en astrophysiqueastrophysique que je raconte dans mon livre Les 10 001 nuits de l’univers. La danse du cosmos (NDLRNDLR : ouvrage paru aux Editions Odile Jacob).

    Sur cette photo, la galaxie Messier 74, encore appelée, Galaxie du Fantôme, telle qu'observée avec la caméra Miri embarquée à bord du télescope spatial James-Webb (JWST). Cette caméra a été construite par une collaboration internationale où la France et le CEA Paris-Saclay ont joué un rôle central. © ESA/Webb, Nasa & CSA, J. Lee and the PHANGS-JWST Team
    Sur cette photo, la galaxie Messier 74, encore appelée, Galaxie du Fantôme, telle qu'observée avec la caméra Miri embarquée à bord du télescope spatial James-Webb (JWST). Cette caméra a été construite par une collaboration internationale où la France et le CEA Paris-Saclay ont joué un rôle central. © ESA/Webb, Nasa & CSA, J. Lee and the PHANGS-JWST Team

    Y a-t-il une image, du télescope spatial James-Webb ou d'un autre instrument, que vous attendez tout particulièrement dans les semaines/mois à venir ?

    On attend encore beaucoup du JWST. Des spectresspectres, d'abord, car c'est grâce à eux que l'on décode le plus finement le langage de la lumière. Je pense, en particulier, à ces galaxies très massives qui sont nées très rapidement dans l'histoire de l’Univers. On en parle beaucoup dans nos conférences. S'agit-il d'un véritable défi pour nos théories, voire pour notre modèle cosmologique, ou bien d'un simple effet des incertitudes des mesures ? Pour le savoir, nous avons besoin de spectres qui nous permettront de connaître précisément leur distance, et donc leur luminositéluminosité intrinsèque, leur massemasse stellaire, et l'éventuelle présence de trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs. Les observations du JWST nous révèlent qu'il existe bien plus de trous noirs supermassifs dans les galaxies que ce que l'on pensait. On en arrive à penser qu'ils pourraient bien être nés en premier dans l'Univers.

    L'homme que vous êtes a-t-il envie de nous faire rêver avec une autre image, du JWST ou d'un autre instrument ?

    Je pense bien sûr à la vision de cette pouponnière d'étoilesétoiles située dans la direction de la constellation de l'Aigle que l'on appelle les « piliers de la création ». Difficile de résister à la tentation de montrer encore et encore cette image qui nous rappelle que des phénomènes naturels, comme ceux que l'on observe sur Terre, se déroulent dans l'univers. On assiste ici à un phénomène d'érosion analogue à celui qui a créé les pics rocheux de Monument Valley. Dans les deux cas, on est les témoins de l'action du temps sur des millions d'années. Ce n'est pas l'action du ventvent et de l'eau qui a érodé ces piliers cosmiques, mais celle de la lumière rayonnée par des étoiles très puissantes, jeunes et massives, qui se trouvent juste au-dessus des « piliers de la création ». Comme pour les roches terrestres, ce sont les zones les plus résistantes qui persistent, c'est un véritable symbole de la résistancerésistance à la flèche du temps. Ici les zones de résistance indiquent les lieux de fertilité dans l'univers. Nous-mêmes, nous sommes nés dans un coconcocon de poussière interstellairepoussière interstellaire doté de cette résistance. La poussière interstellaire protège des systèmes solairessystèmes solaires en train de naître, comme la chrysalidechrysalide d'une chenille la protège pendant qu'elle donne naissance au papillon. Le papillon ensuite s'envole de ses propres ailes, l'étoile aussi ! Elle va quitter son cocon et voler de ses propres ailes. Comme le Système solaire.

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    En haut, une image de Monument Valley. En bas, les Piliers de la création. © I, Luca Galuzzi, Wikipedia, CC by-SA 2.5 ; Nasa, ESA, CSA, STScI
    En haut, une image de Monument Valley. En bas, les Piliers de la création. © I, Luca Galuzzi, Wikipedia, CC by-SA 2.5 ; Nasa, ESA, CSA, STScI

    Pollution lumineusePollution lumineuse, constellations de satellites, vie urbaine. Notre relation avec les étoiles s'étiole. Qu'avons-nous à y perdre ? 

    Quand on se rend au Chili pour aller observer au télescope, la nuit on a le sentiment de voler dans l'espace. C'est tellement fort que j'ai cru que j'allais manquer d'airair. Les étoiles sont si nombreuses que je m'y perds. Leur lumière est presque éblouissante, en pleine nuit sans LuneLune. On retrouve alors le regard qu'avaient les Anciens sur le ciel.

    Demain, nos descendants reconnaitront-ils leur chemin parmi les étoiles si celles-ci bougent en permanence, ayant été remplacées par des satellites ?

    Retrouver son regard d'enfant

    Mais on peut s'interroger : est-il important de lever les yeuxyeux au ciel ? Moi, je pense que oui, car c'est un moment privilégié où on retrouve le regard de notre enfance. Le ciel est le même, notre taille n'y change rien, les étoiles restent imperturbables à nos actions bonnes ou mauvaises. On touche à l'immortalité, l'espace d'un instant, c'est peut-être peu, mais c'est nourrissant pour notre âme. D'ailleurs on a construit un télescope au Chili et on l'a appelé « âme », Alma, ce qui est l'acronyme d'Atacama Large Millimeter Array. J'ai écrit avec le dessinateur Matthieu Fauré une BD qui porteporte justement ce titre et qui raconte l'histoire d'un astronomeastronome perdu au milieu des Indiens Atacameños dans le désertdésert d'Atacama au Chili. Elle sortira le 3 octobre.

    Un conseil pour renouer le lien entre les humains et les étoiles - et plus généralement la nature - cet été et au-delà ?

    Quand on lève les yeux vers le ciel la nuit, on reconnaît facilement cette grande casserolegrande casserole, la Grande Ourse. Quand on prolonge l'arc du manche de la Grande Ourse, on aboutit à l'étoile la plus brillante de l'hémisphère Nordhémisphère Nord. Regardez-la bien, elle a une couleur rougeâtre, c'est parce qu'elle a refroidi après avoir épuisé son réservoir d'hydrogènehydrogène. C'est un vieux SoleilSoleil ! Elle nous montre à quoi ressemblera le Soleil vu de loin dans 2,5 milliards d'années et nous rappelle que rien n'est éternel dans l'univers, même pas les étoiles, et c'est pour ça qu'il nous ressemble tant et qu'il nous est familier. Le Ciel c'est aussi nous. Cette étoile porte le magnifique nom de Gardien des Ours, Arcturus, car elle est proche de la Grande Ourse et de la Petite Ourse. Arctos signifie Ours en grec, c'est de là que vient le mot arctiquearctique, car c'est la région qui se trouve dans la direction de la Grande et de la Petite Ourse qui indiquent le Nord. Je trouve émouvant de penser que le gardien des ours, Arcturus, perd son enveloppe, comme l'Arctique perd ses icebergs. Le Ciel, qui était pour les Anciens la manifestation de l'éternité, devient l'incarnation du changement quand on passe du noir et blanc à la couleur.

    On a beaucoup à apprendre en plongeant dans les étoiles, j'invite ceux qui s'y intéressent à venir le dimanche 10 novembre à 21 h 30 au théâtre de la Gaîté-Montparnasse assister au spectacle « Dans les étoiles ».

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