Hubert Reeves avait pour habitude de dire que nous sommes des poussières d'étoiles, mais cela ne nous donne pas automatiquement une explication sur l'origine de l'eau des océans sur Terre et ceux de possibles exoTerres. Plusieurs hypothèses ont été proposées ces dernières décennies à ce sujet et le débat a toujours été marqué par des rebondissements. Un autre se produit en ce moment sous nos yeux avec le travail de chercheurs de l'Observatoire de Paris et de l'Institut de physique du Globe de Paris.
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L'eau sur Terre est intimement liée à l'origine de la vie et à sa perpétuation sous des formes complexes. On retrouve cette importance dans toutes les cosmogonies, ce qui souligne bien à quel point expliquer sa présence sur notre Planète bleue fascine l'esprit humain. Certains, comme Arthur Clarke, ont même proposé de la rebaptiser « planète Océan ». En son temps, ThalèsThalès de Milet, le grand mathématicienmathématicien, astronomeastronome et philosophe grec, l'un des sept sages de la Grèce antique et le fondateur présumé de l'école milésienne de philosophie présocratique, pensait même que l'eau était au fondement de toute chose.
Ses héritiers modernes, les astrophysiciensastrophysiciens et cosmochimistes s'occupant également d'exobiologie, cherchent à savoir d'où peut bien provenir l'eau de notre planète Océan et ils tentent d'élucider cette énigme depuis plus de 50 ans avec des télescopes, des missions spatiales et des spectromètres de masse dans les laboratoires sur Terre. Cette origine de l'eau est pensée d'une façon inséparable avec celle de l'origine du Système solaireSystème solaire à partir de l'effondrementeffondrement d'un nuagenuage de gazgaz et de poussières dans une galaxiegalaxie qui évolue chimiquement depuis sa naissance à coup de supernovaesupernovae. On peut dire que l'on est effectivement passé du mythe à la science, bien que la solution finale de l'énigme de l'origine de l'eau qui nous constitue nous échappe encore partiellement.
Par Sean Raymond, astrophysicien au Laboratoire d'astrophysique de Bordeaux. Une vidéo du parcours éducatif AstrobioEducation. © Société française d'exobiologie
De l'eau d'origine terrestre ou extraterrestre ?
Deux grandes classes d'hypothèses ont été proposées et, périodiquement, l'une prend le dessus sur l'autre, sans que le débat ne soit clos.
Il y a d'abord l'hypothèse qui attribue un stock d'eau originel à la Terre lors de sa formation. Stock qui se trouverait dans son manteaumanteau qui aurait largement dégazé lorsque l'activité volcanique de la planète était bien plus importante qu'aujourd'hui, il y a plus de 4 milliards d'années à l'HadéenHadéen. On constate bien, de fait, que les gaz des volcansvolcans contiennent beaucoup de vapeur d'eau, mais il pourrait s'agir de contaminationcontamination ultérieure par l'eau de la Terre.
Il y a ensuite l'hypothèse d'une origine extraterrestre, un apport en eau par un bombardement de comètescomètes ou d'astéroïdesastéroïdes riches en eau, voire par le flux des micrométéorites. Ce qui peut favoriser cette hypothèse, c'est qu'il semble bien établi maintenant qu'un océan de magmamagma a existé à la surface de la Terre à ses débuts, à cause notamment de son choc avec Théia, la petite planètepetite planète de la taille de Mars, qui expliquerait la formation de la LuneLune. La Terre aurait donc perdu son stock d'eau initial, qui aurait été renouvelé plus tard. On peut avancer aussi tout simplement, arguments à l'appui, que la formation de la Terre s'est faite à partir de matériaux pauvres en eau, ce qui implique un apport après sa formation.
Bien évidemment, on peut faire remarquer que ces deux hypothèses ne sont pas vraiment indépendantes puisque la Terre provient de l'accrétionaccrétion de corps rocheux et aussi sans doute de comètes. De fait, l'origine de l'eau est, dans les deux cas, extraterrestre et remonte aux conditions de formation des corps du Système solaire dans le disque protoplanétairedisque protoplanétaire initial.
Une présentation de la problématique de l'origine de l'eau terrestre par Laurette Piani, CRPG-CNRS, Université de Lorraine. Une vidéo du parcours éducatif AstrobioEducation. © Société Française d'Exobiologie
Une ligne des glaces variable
Voilà qu'aujourd'hui, une nouvelle variante de l'hypothèse extraterrestre, qui est celle la plus favorisée et qui fait donc intervenir un apport d'eau externe à la jeune Terre au cours des 100 premiers millions d'années de son histoire, vient d'être proposée dans un article publié dans Astronomy & Astrophysics par une équipe dirigée par un astronome de l'Observatoire de Paris - PSL au sein du Laboratoire d'études spatiales et d'instrumentation en astrophysiqueastrophysique (Lesoa - Observatoire de Paris - PSL/CNRS/Sorbonne Université/Université Paris Cité). Comme l'explique un communiqué de l'Observatoire de Paris, le nouveau modèle est basé sur de nombreuses observations du Système solaire, ainsi que sur d'autres, faites avec l'Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (en abrégé Alma, qui signifie aussi « âme » en espagnol), le réseau de radiotélescopesradiotélescopes géant observant les ondes millimétriques, installé dans le désertdésert d'Atacama dans le nord du Chili.
Il est également basé, selon le même communiqué, sur des « données précises issues de mesures isotopiques réalisées dans l'atmosphèreatmosphère de la Terre, ainsi que d'observations récentes d'astéroïdes (notamment les résultats des missions spatiales qui se sont rapprochées des astéroïdes comme Hayabusa 2 et Osiris-REx) », qui rappelle également que « jusqu'à présent, la théorie dominante supposait que des corps glacés, similaires à des comètes, avaient percuté la Terre, apportant ainsi l'eau. Cependant, ce scénario nécessite un "jeu de billard" cosmique, où des mécanismes dynamiques complexes envoient ces objets glacés vers la Terre, à un moment précis et en quantité suffisante. Pour le moins aléatoire, ce scénario est questionné quant à sa robustesse, et sur son universalité à travers tous les systèmes extrasolairesextrasolaires ».
L'idée pour contourner certains problèmes théoriques à ce sujet est la suivante : ne pas faire intervenir d'impact de petits corps célestes riches en eau, mais la formation d'un nouveau disque gazeux après la dissipation du disque protoplanétaire laissant un disque de débris à partir de la sublimationsublimation de la glace des astéroïdes au-delà de la ligne des glaces. Rappelons qu'en astrophysique et en planétologie, la ligne des glaces, encore appelée ligne des neiges, est la ligne frontière isotherme au-delà de laquelle une espèce chimiqueespèce chimique donnée existe, dans les conditions de température interplanétaires, sous forme solidesolide, donc de « glace » et en particulier dans le cas de l'eau. En deçà de cette ligne, l'espèce se trouve sous forme de gaz.
Un scénario testable avec les jeunes ceintures d’exo-astéroïdes
Précisons un peu. Tout commence bien par des astéroïdes glacés mais, depuis son arrivée sur la séquence principaleséquence principale, le jeune SoleilSoleil voit sa luminositéluminosité augmenter lentement (cela conduit d'ailleurs au paradoxe dit du jeune Soleil faible) et cela continue de nos jours, de sorte que dans un milliard d’années environ les océans de la Terre seront portés à ébullition.
La ligne des glaces a donc bougé en se déplaçant vers la partie « externe » du Système solaire, de sorte que des astéroïdes glacés ont été chauffés et ont dégazé, comme le fait d'ailleurs une comète s'approchant du Soleil. Un disque de vapeur d'eau s'est donc formé autour du Soleil. La modélisationmodélisation de ce disque est similaire à celle d'un disque d'accrétiondisque d'accrétion avec un gaz visqueux. Avec un tel gaz, il peut se produire des transferts de matièrematière en direction du Système solaire interne, de sorte que la jeune Terre s'est trouvée plongée dans une enveloppe de vapeur d'eau qu'elle a capturée, formant ses premiers océans.
Au final, les chercheurs ont obtenu des résultats non pas seulement qualitatifs, mais aussi quantitatifs. Ainsi, ils ont réussi à retrouver la teneur en eau sur Terre (avec le bon rapport D/H, voir à ce sujet la vidéo ci-dessus) ainsi que sur d'autres planètes et la Lune, l'eau terrestre étant délivrée entre 20 et 30 millions d'années après la naissance du Soleil.
La conclusion de leurs travaux, c'est que, selon leurs propres termes, « le transport d'eau visqueuse est inévitable et plus générique que le scénario d'impact. Nous suggérons également qu'il s'agit d'un processus universel qui peut également se produire dans les systèmes extrasolaires. Les conditions requises pour que ce scénario se déroule devraient en effet être présentes dans la plupart des systèmes planétaires : un disque protoplanétaire opaque qui est initialement suffisamment froid pour que de la glace se forme dans la région de la ceinture d'exo-astéroïdes, suivi d'une ligne de neige naturelle se déplaçant vers l'extérieur qui permet à cette glace initiale de se sublimer après la dissipation du disque primordial, créant un disque de gaz secondaire visqueux et conduisant à l'accrétion d'eau sur les exoplanètesexoplanètes ».
Il y a un bonus, ce modèle conduit à une prédiction réfutable car un tel disque aqueuxaqueux pourrait être détecté dans les jeunes ceintures d'exoastéroïdes avec Alma, si ce scénario est générique.
Par Hervé Cottin, astrochimiste, professeur des universités, LISA, Université Paris Est Créteil/Université de Paris/CNRS. Sommes nous-seuls dans l’univers ? Vous vous êtes peut être déjà posé la question... On peut trouver des réponses dans les films, la littérature ou les bandes dessinées de science-fiction et notre imaginaire est peuplé de créatures extraterrestres ! Mais que dit la science à ce sujet ? Le site AstrobioEducation vous propose de partir à la découverte de l’exobiologie, une science interdisciplinaire qui a pour objet l’étude de l’origine de la vie et sa recherche ailleurs dans l’Univers. À travers un parcours pédagogique divisé en 12 étapes, des chercheurs et chercheuses de différentes disciplines vous aideront à comprendre comment la science s’emploie à répondre aux fascinantes questions des origines de la vie et de sa recherche ailleurs que sur la Terre. © Société Française d'Exobiologie