Les astronomes viennent de battre un record en découvrant un blazar, un trou noir supermassif doté d'un jet pointé directement vers la Terre. Désigné par VLASS J041009.05−013919.88 (J0410−0139), c'est le blazar le plus éloigné jamais identifié, offrant un rare aperçu de l'époque de la réionisation, lorsque l'Univers avait moins de 800 millions d'années. De nouveau, ce genre de découverte remet en question les modèles existants de formation des trous noirs et des galaxies dans le cosmos primitif.


au sommaire


    Les astronomesastronomes continuent de sonder les stratesstrates de lumière du cosmoscosmos observable en observant des objets le plus loin possible dans l'espace et donc le plus tôt possible dans l'histoire de l'Univers observable. Pour pénétrer les secrets des arcanes du cosmos derrière la formation et l'évolution des galaxies ils traquent, à diverses longueurs d'onde pour obtenir des informations complémentaires, les phares cosmiques que sont les quasars.

    Les quasi-stellar radio sources, les « quasars » donc, selon la dénomination proposée en 1964 par l'astrophysicienastrophysicien d'origine chinoise Hong-Yee Chiu, font régulièrement parler d'eux depuis 60 ans. Cela est bien compréhensible. Tout d'abord parce que ce sont des astresastres toujours très distants, plusieurs milliards d'années-lumièreannées-lumière au moins, et qui apparaissent comme des étoilesétoiles très brillantes lorsqu'on les observe au télescopetélescope, mais dont on sait aujourd'hui que ce sont des exemples de ce que l'on appelle des noyaux actifs de galaxiesnoyaux actifs de galaxies (Active Galactic Nuclei ou AGN, en anglais). Ensuite et surtout, les quasars sont en général au moins cinq millions de millions de fois plus brillants que le SoleilSoleil !

    Nous avons toutes les raisons de penser que leur prodigieuse énergieénergie provient de l'accrétionaccrétion de la matièrematière par des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs de Kerr en rotation, pouvant contenir des millions à des milliards de massesmasses solaires comme M87*, récemment imagé par les membres de la collaboration Event Horizon Telescope.


    Dans cet extrait de la plateforme TV-Web-cinéma « Du Big Bang au Vivant », qui couvre des découvertes dans le domaine de l'astrophysique et de la cosmologie, Jean-Pierre Luminet nous parle des quasars. © Jean-Pierre Luminet

    Des quasars aux blazars

    Parmi les quasars les plus lumineux se trouvent les blazarsblazars (en anglais to blaze veut dire flamboyer).

    Le plus lointain connu à ce jour a été observé tel qu'il était un peu moins de 800 millions d'années après le Big BangBig Bang et il a été désigné dans un catalogue par VLASS J041009.05−013919.88 (J0410−0139). Comme son nom l'indique, il a été découvert lors de la campagne d'observation principalement basée sur de la radioastronomie avec une version upgradée du légendaire Karl G. Jansky Very Large Array (VLA). Ce réseau de radiotélescopesradiotélescopes combinés qui donne donc un instrument virtuel de très grande taille pour faire des observations à haute résolutionrésolution est  notamment apparu en 1997 dans l'adaptation cinématographique du livre écrit par Carl Sagan : Contact.

    Le VLA participe aujourd'hui au programme Seti mais, depuis le 7 septembre 2017, sa version largement améliorée est utilisée pour le le VLA Sky Survey (VLASS) qui cartographiera 80 % du ciel en trois phases sur sept ans et devrait répertorier environ 10 millions de sources radio qui permettront à la communauté scientifique d'imager des explosions de supernovaesupernovae, des sursautssursauts gamma et des collisions d'étoiles à neutronsétoiles à neutrons qui sont masquées par d'épais nuagesnuages ​​de poussière aux télescopes en lumière visible.


    Trous noirs, naissances et morts d'étoiles, collisions de galaxies et bien plus encore : tout cela fait partie du travail quotidien du VLA. Le Very Large Array, ou VLA, est un complexe de 27 antennes massives situées sur les plaines de San Agustin, au centre du Nouveau-Mexique, toutes pointées vers le ciel pour surveiller les émissions radio du cosmos. Avec le soutien de la NSF, des astronomes – comme Claire Chandler – utilisent cette installation pour observer les événements les plus dynamiques et les plus cataclysmiques de l'Univers. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © National Science Foundation News

    Un blazar laboratoire pour l'astrophysique et la cosmologie

    Un article paru dans Nature, dont une version se trouve sur arXiv, explique donc que VLASS J041009.05−013919.88 (J0410−0139) est un exemple de noyau actif de galaxie et dans le cas présent il est produit par un trou noir supermassif contenant environ 700 millions de masses solaires (celui de notre Voie lactéeVoie lactée en contient seulement un peu plus de 4 millions) accrétant de la matière pendant l'époque de la réionisation et générant des jets de particules dont l'un est dirigé en direction de notre Galaxie, ce qui en fait précisément un blazar.

    L'intense rayonnement produit par J0410−0139 a dû lui-même contribuer à la réionisationréionisation des atomesatomes d'hydrogènehydrogène et d'héliumhélium neutres formés au moment de l'émissionémission du rayonnement fossilerayonnement fossile, environ 380 000 ans après le Big Bang.


    Il y a sept ans, le télescope spatial Fermi Gamma-ray de la Nasa avait identifié les blazars gamma les plus éloignés. La lumière provenant du blazar connu alors comme le plus éloigné a commencé son voyage vers nous lorsque l'Univers avait 1,4 milliard d'années, soit près de 10 % de son âge actuel. Malgré leur jeunesse, ces blazars éloignés hébergent certains des trous noirs les plus massifs connus. Le fait qu’ils se soient développés si tôt dans l’histoire cosmique remettait déjà en question les idées sur la formation et la croissance des trous noirs supermassifs. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Goddard Space Flight Center de la Nasa, Scott Wiessinger

    Comme l'explique un communiqué du NSF National Radio Astronomy Observatory (NSF NRAO), aux États-Unis, la découverte et l'étude de J0410−0139, qui s'est faite en utilisant également le Very Long Baseline Array (NSF VLBA), l'observatoire à rayons Xrayons X ChandraChandra et l'Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (Alma), remet en question les modèles existants de formation des trous noirs et des galaxies dans le cosmos primitif dominé par la matière noirematière noire.

    Elle soulève des questions sur la façon dont les trous noirs supermassifs croissent si rapidement dans l'enfance de l'Univers. Faudra-t-il abandonner l’existence des élusives particules de matière noire au profit d’une modification des lois de la mécanique céleste newtonienne dans le cadre de la théorie Mond, comme certains le pensent, en se fondant également sur les observations du télescope James-Webb ?

    En tout état de cause, comme l'explique Emmanuel Momjian du NRAO, co-responsable de l'étude de VLASS J041009.05−013919.88, « ce blazar offre un laboratoire unique pour étudier l'interaction entre les jets, les trous noirs et leurs environnements au cours de l'une des époques les plus transformatrices de l'Univers ».

    Bonus ! Un modèle unifié des AGN

    Un récapitulatif de ce que Futura a expliqué dans un précédent article.

    Depuis des décennies, on pense que les trous noirs supermassifs, c'est-à-dire contenant au moins un million de masses solaires et parfois plusieurs milliards, sont à l'origine des noyaux actifs de galaxies (AGN ou active galactic nucleus, en anglais) mis en évidence notamment par les radioastronomes, mais aussi par les astronomes, sans que ces AGN soient forcément des sources radio. Ces AGN se caractérisent par des phénomènes particulièrement énergétiques sous une forme ou sous une autre, par exemple des jets de matière relativistes sur des milliers d'années-lumière.

    Les AGN les plus spectaculaires sont les quasars, qui de prime abord ressemblent à des étoiles vues dans un télescope ordinaire tout en étant de puissantes sources radio, mais dont la détermination précise des distances auxquelles ils étaient observés au début des années 1960 conduisait à admettre qu'il s'agissait d'objets dont la taille était de l'ordre de grandeurordre de grandeur du Système solaireSystème solaire, capables toutefois de libérer en continu autant d'énergie que les étoiles d'une grande galaxie entière comme la Voie lactée.

    Au final, les astronomes ont compris que les AGN pouvaient être décrits par trois grandes classes, à savoir les radiogalaxies, les galaxies de Seyfertgalaxies de Seyfert et les quasars avec des sous-divisions. Certains sont très lumineux à la fois dans le visible et en radio, d'autres dans une seule de ces bandes spectrales. Certains possèdent des jets de matière, d'autres non.

    Ainsi, les radiogalaxies sont des galaxies d'apparence ordinaire, plutôt des galaxies elliptiquesgalaxies elliptiques géantes ou des galaxies lenticulairesgalaxies lenticulaires, mais qui émettent puissamment dans le domaine radio. Le rayonnement radio émis peut être des centaines de fois plus puissant que celui des galaxies dites normales - on connaît par exemple le cas de la source baptisée Cygnus A, qui est un million de fois plus brillante que notre Voie lactée. Une caractéristique importante des radiogalaxies est la présence, parfois à des milliers d'années-lumière de leur centre, de deux lobes où est concentré l'essentiel de l'émission radio. Il s'agit de l'extrémité des jets de matière expulsés à très grande vitessevitesse que l'on a mentionnés précédemment et dont on peut voir une illustration d'artiste dans la vidéo ci-dessus.

    Les galaxies de Seyfert sont des galaxies spiralesgalaxies spirales observées la première fois en 1943 par Karl Seyfert. On peut citer les galaxies NGCNGC 1410 dans la constellationconstellation de l'Eridan et Messier 77 dans celle de la Baleine. Elles sont plus lumineuses que la moyenne des galaxies non seulement en radio, mais aussi dans le visible avec notamment leur noyau qui émet autant de lumière que le reste des étoiles de ces galaxies.

    Un résumé du modèle unifié des AGN expliquant les différentes observations par des différences de points de vue. Une classe particulière de quasar est celle des blazars dont l'AGN <em>BL Lacertae</em> est l'exemple typique. Dans le modèle unifié des AGN, il s'agirait du jet de matière d'un quasar dirigé dans notre direction. © Nasa, EPO, <em>Sonoma State University</em>, Aurore Simonnet
    Un résumé du modèle unifié des AGN expliquant les différentes observations par des différences de points de vue. Une classe particulière de quasar est celle des blazars dont l'AGN BL Lacertae est l'exemple typique. Dans le modèle unifié des AGN, il s'agirait du jet de matière d'un quasar dirigé dans notre direction. © Nasa, EPO, Sonoma State University, Aurore Simonnet

    On a fini par avancer l'idée, décrite par ce que l'on appelle le modèle unifié des AGN, que derrière tous ces noyaux actifs de galaxies se cachait un même type d'objets, mais vus sous différents angles et à différentes périodes de l'histoire de l'Univers, à savoir comme on l'a dit des trous noirs supermassifs émettant une énorme quantité d'énergie suite à des processus complexes, et pas toujours bien compris, d'accrétion de matière (principalement sous forme de filaments froids) et de magnétohydrodynamique relativiste.

    Ainsi, dans une région guère plus grande que le Système solaire tout au plus, devait se trouver un tore de poussière et de gazgaz neutres entourant un disque d'accrétiondisque d'accrétion de poussière, de gaz et finalement de matière ionisée par la chaleurchaleur libérée par frottements visqueux dans ce disque et chutant sur un trou noir de Kerrtrou noir de Kerr en rotation.

    Le plasma chauffé pénétrant dans l'ergosphère du trou noir, c'est-à-dire la région de l'espace-tempsespace-temps entraînant en rotation tout corps tombant radialement, participait alors à un mécanisme complexe, élucidé en partie par Blandford et Znajeck, où l'énergie gravitationnelle de chute de la matière et surtout l'énergie de rotation du trou noir étaient converties en rayonnement intense et en jets de matière le long de l'axe de rotation de l'astre compact.