Des astronomes amateurs avaient repéré de curieuses irrégularités dans la luminosité de AR Scorpii, une étoile double considérée comme variable. À l’aide de plusieurs télescopes terrestres et spatiaux, des chercheurs ont découvert que l’une des deux étoiles, une naine blanche, émet un faisceau qui vient frapper son compagnon, une naine rouge, avec un rythme de près de deux minutes. Un cas étrange. Rien de moins qu'un nouveau type d’étoile binaire exotique.

Comme chaque été, en début de nuit, la constellation du Scorpion se déploie devant nous, en direction du sud. C'est un bel enfilement d'étoiles qui, de par leurs dispositions, font vraiment penser à cet arthropode. D'un côté, vers l'est, devant la lueur des myriades d'étoiles de la Voie lactée, on imagine son dard au bout de sa queue arcboutée et, de l'autre, vers l'ouest, on reconnaît ses pinces (en 2016, la planète Mars brille devant) reliées à son corps dominé par la supergéante rouge Antarès. Mais ce ne sont là que les plus visibles à l'œil nu. Au moyen d'un instrument, on peut distinguer pléthore d'objets célestes parmi d'innombrables étoiles.

En marge de l'un d'eux, le magnifique Rho Ophiuchi, l'un des nuages de gaz et de poussière les plus proches de notre Système solaire, des astronomes amateurs qui se sont intéressés au système AR Scorpii (ou AR Sco pour faire court), distant de 380 années-lumière, ont permis la découverte d'un nouveau type d'étoile binaire exotique.

« AR Scorpii a été découvert voici 40 ans, mais sa véritable nature nous est demeurée inconnue jusqu'en 2015, date à laquelle nous avons commencé à l'observer, raconte Tom Marsh, du Groupe d'astrophysique de l'université de Warwick et auteur principal de l'article qui vient de paraître dans la revue Nature. Dès les premières minutes, nous avons compris que nous observions quelque chose d'extraordinaire. »


Animation des deux protagonistes du système AR Scorpii. Les particules accélérées par la naine blanche créent un rayonnement qui frappe son compagnon, une naine rouge, avec un rythme de seulement 1,97 minute. © Eso, L. Calçada, University of Warwick

Des pulsations électromagnétiques embrasent le compagnon

AR Scorpii est un couple d'étoiles lié gravitationnellement composé d'une naine blanche, le cœur résiduel d'un soleil qui, bien que de la taille de la Terre, est 200.000 fois plus massif, et d'une naine rouge, une étoile de type M, plus petite et plus froide que notre Soleil (un tiers de sa masse).

Depuis les premières observations, au début des années 1970, le système qui connaît des variations de luminosité toutes les 3,6 heures, créées par leur danse l'une autour de l'autre, est considéré par les astronomes comme une étoile variable. Toutefois, en mai 2015, un groupe d'astronomes amateurs a remarqué des irrégularités. Informé et intrigué par cette affaire, Tom Marsh a constitué une équipe pour tenter de résoudre cette énigme.

Pour y parvenir, les chercheurs de l'université de Warwick ont bénéficié de temps d'observation avec plusieurs télescopes terrestres et spatiaux : le VLT (Very Large Telescope) au Cerro Paranal (Chili), les télescopes William Herschel et Isaac Newton à La Palma (Canaries), le Réseau compact de télescopes australiens à l'observatoire Paul Wild de Narrabri et, enfin, Hubble et le satellite Swift.

Résultat : du jamais vu. D'abord, la naine blanche, pourvue d'un puissant champ magnétique et d'une rotation très rapide, est capable d'accélérer des électrons -- d'origine encore non déterminée -- jusqu'à une vitesse proche de celle de la lumière. « En fouettant l'espace, ces particules de haute énergie libèrent un rayonnement semblable à celui d'un phare qui vient frapper la surface de la naine rouge froide et entraînent le système binaire dans un spectaculaire régime de pulsations lumineuses : chaque 1,97 minute, le système semble en effet s'embraser puis s'éteindre » explique l'Eso.

Une des grandes surprises est que ces pulsations sont composées d'ondes radio, encore jamais détectées dans un système composé d'une naine blanche. Les chercheurs n'avaient encore jamais été témoin de ce comportement d'ordinaire associé aux étoiles à neutrons (cœur compact résiduel d'étoiles massives). Cela étant, comme le rappelle l'un des auteurs de l'étude, Boris Gänsicke, « certaines théories ont envisagé la possibilité que les naines blanches arborent un comportement similaire. La découverte d'un tel système est très intéressante, conclut-il, et constitue un formidable exemple de collaboration entre astronomes amateurs et professionnels ».