Il aura fallu cinq siècles et deux enterrements pour que les archéologues confirment avoir trouvé la tombe de l'astronome Nicolas Copernic. Pour découvrir la dépouille du « père » de la cosmogonie héliocentrique, les scientifiques ont dû mener une véritable enquête à travers le temps, faisant même appel à des médecins-légistes procédant à des analyses ADN pendant plusieurs années.
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En se baladant dans les collatéraux de la basilique Santa Croce, à Florence (Italie), on peut admirer les gisants de quelques illustres personnalités, dont GalileoGalileo Galilée. La sépulturesépulture abritant les restes du savant toscan est à la mesure de l'importance de ses travaux. De nombreuses figures de la Renaissance et l'époque moderne, ayant eu une influence dans le développement des sciences au sortir du Moyen Âge, ont ainsi eu droit à la création de monuments posthumes. Une personnalité faisait office d'exception : Nicolas CopernicCopernic. L'astronomeastronome, médecin et mathématicienmathématicien s'est trouvé au cœur d'une enquête archéologique durant plusieurs décennies. Les spécialistes n'ont découvert l'emplacement de sa dépouille qu'en 2005, près de 500 ans après sa mort.
Revolutionibus copernicienne
Né en 1473 dans un village de Poméranie, dans l'actuelle Pologne, Nicolas Copernic fréquente les cercles savants d'Europe centrale, intégrant l'Université de Cracovie en 1491. Cet ardent humaniste développe ses goûts pour les sciences, tout en entretenant de bonnes relations avec le clergé. Le XVIe siècle est une ère de changements pour la science européenne. Les penseurs argumentent et débattent des axiomes transmis par les « Anciens », les philosophes de l'Antiquité tels qu'AristoteAristote, Galien, Plutarque ou PtoléméePtolémée. Ce dernier, né en 100 et mort en 168, avait notamment influencé les sciences médiévales avec son traité d'astronomie, L'Almageste. Mais, en étudiant rigoureusement les manuscrits de Ptolémée, Copernic en souligne la complexité et les irrégularités.
Le jeune astronome polonais réfléchit alors à un système différent, dont l'issue est un changement radical de la conception cosmogonique. En rédigeant son Magnum opus, nommé De Revolutionibus orbium coelestium, Copernic étaye l'idée d'un système héliocentriquehéliocentrique, en opposition au géocentrisme. Là où les précédentes cosmogonies plaçaient la Terre au centre de la révolution de tous les astres de la voûte céleste, c'est désormais le Soleil qui occupe cette place. Une idée existant déjà depuis l'Antiquité, mais marginalement, avec des philosophes comme Philolaos de Crotone, au Ve avant J.-C. De Revolutionibus est un ouvrage massif de plus de 2 500 pages, en six livres. Des proches de Copernic, dont deux cardinaux, l'incitent à publier son traité peu de temps avant sa mort. Des écrits racontent comment l’astronome s'est vu remettre la première version imprimée de son ouvrage seulement quelques heures avant sa mort.
Comme le nez au milieu de la figure
Copernic meurt dans la petite commune de Frombork, à quelques kilomètres de Gdansk. Le savant est alors inhumé dans la cathédrale locale, sans extravagance. Copernic était surtout connu au sein de la communauté universitaire. Des personnes commencent à rechercher la dépouille du savant à partir du XVIIe siècle, sans succès. Autour de la cathédrale, des centaines de tombes inconnues ont fleuri au fil des années. Et c'est en 2004 qu'un archéologue, Jerzy Gassowski, va émettre l'idée que Copernic est enterré parmi les nombreuses tombes de la cathédrale de Frombork.
Une mission d'excavation est mise en place avec l'accord de l'évêque pour creuser à l'intérieur du bâtiment, à proximité de l'autel duquel Copernic priait tous les jours. En 2005, une quinzaine de squelettes ont été exhumés de la fosse, dont un crânecrâne. En examinant ses caractéristiques, les chercheurs réalisent qu'ils viennent de mettre la main sur un individu âgé d'environ 70 ans au moment de sa mort. Soit l'âge de Copernic lors de ses funérailles.
Le crâne est étudié par des services de police qui reconstituent virtuellement le facièsfaciès de l'homme retrouvé sous la cathédrale. Et la ressemblance avec les portraits de Copernic peints au XVIe siècle est frappante. Mais tout n'est que supposition. C'est en 2008 que les théories sont avérées. Des chercheurs de l'université d'Uppsala, en collaboration avec l'institut médico-légal de Cracovie, analysent deux cheveux retrouvés dans un traité d'astronomie, le Calendarium Romanum Magnum de Johann Stöffler. Écrit en 1518 et traitant du calendrier romain et des interprétations zodiacales, le livre est d'une grande inspiration pour Copernic dans ses travaux. L'exemplaire du Calendarium détenu par Uppsala appartenait à Copernic lui-même.
En croisant les résultats ADN du crâne et d'un fémurfémur retrouvés dans la sépulture de Frombork, et ceux des cheveux prélevés dans le livre de Stöffler, les archéologues ont établi le lien formel. La preuve était là, cachée aux yeuxyeux de tous pendant cinq siècles. En 2010, les restes de l'astronome sont retournés à la terre, au sein de la cathédrale. Cette fois-ci, une grande stèle noire gravée du portrait de Copernic et du système solaire vient marquer son tombeau. Une marque de réconciliation, quelque peu tardive, avec l'Église catholique. En 1616, le Vatican frappait de censure De Revolutionibus, après qu'un certain GaliléeGalilée ait fait la démonstration des thèses coperniciennes dans une série d'expériences ayant suscité l'émoi et la polémique dans la société croyante du XVIIe siècle.
Copernic retrouvé et inhumé une seconde fois
Article de Jean-Luc GoudetJean-Luc Goudet, publié le 25 mai 2010
Au terme d'une enquête étonnante, le corps de Nicolas Copernic a été formellement identifié et le grand astronome a pu être inhumé en grande pompe presque exactement 467 ans après sa mort dans la cathédrale de Frombork, en Pologne, là où il disposait d'un observatoire.
Nicolas Copernic avait disparu. Comme les prêtres de Frombork, le chanoine, qui était aussi médecin et astronome, a été enterré sous la cathédrale dans une sépulture anonyme. Par la suite, rien n'a été fait pour rappeler la mémoire de cet homme qui avait écrit De Revolutionibus Orbium Coelestium (Des révolutions des sphères célestes), un ouvrage imprimé seulement l'année de sa mort, ainsi que Commentariolus, qui sera publié... au dix-neuvième siècle. Son œuvre, confidentielle de son vivant, était connue de quelques-uns, notamment de Georg Joachim Rheticus, enthousiasmé devant la théorie de Copernic qui faisait tourner la Terre et les planètes (au sens moderne du mot) autour du Soleil, comme l'avait imaginé aussi Aristarque de Samos 1.700 ans auparavant.
L'idée, considérée comme contraire aux Ecritures, était condamnée par l'Eglise et deviendra même une hérésie lorsque, plus tard, elle commencera à se répandre et sera portée par d'autres, dont, bien sûr, Galilée et Kepler. C'est donc discrètement que le chanoine Copernic, décédé à 70 ans, est inhumé après sa mort, datée (sans certitude) du 24 mai 1453.
Il faut attendre 2004 pour qu'un archevêque de Frombork, Jacek Jezierski, décide de rechercher le corps de l'astronome héliocentriste sous les dalles de la cathédrale. Il fait appel à Jerzy Gassowski, de l'Institut d'archéologie de l'Ecole supérieure des sciences humaines de Pultusk, lequel demande l'aide de Karol Piasecki, anthropologue qui avait déjà collaboré avec la police de Varsovie pour la reconstruction de visages à partir de crânes.
Enquête policière
A l'aide d'un système radar, les scientifiques auscultent les sous-sols de la cathédrale à la recherche des sépultures après avoir délicatement soulevé quelques dalles de marbremarbre (classées en tant que monument historiques). En août 2005, dans la tombe numéro 13, les archéologues découvrent un squelette qui semble intéressant, dont il manque seulement la mâchoire et le pied gauche, du fait d'un déplacement des restes postérieurement à l'inhumation. Dans cette couche du seizième siècle, c'est le seul squelette de vieillard. Le « crâne très prometteur », selon les termes de Karol Piasecki (dans un rapport sur la découverte du corps de Copernic), est transporté au laboratoire central de la police scientifique. Le secret est bien gardé, notamment pour éviter que la presse s'empare de l'affaire car, dixit le même Piasecki, elle est « capable de créer une réalité indépendamment de la vérité ».
L'analyse des os et du squelette conclut qu'il s'agit d'un homme dont l'âge au moment du décès correspond aux soixante-dix ans de Copernic. La reconstitution du visage, réalisée sur ordinateurordinateur, montre une grande ressemblance avec les portraits connus de l'astronome, notamment un neznez asymétriqueasymétrique, cassé durant sa jeunesse.
A ce stade, les enquêteurs semblent à peu près persuadés que ces restes sont bien les bons. Mais comment le prouver ? Une bonne idée serait un test ADNADN puisque du matériel génétiquematériel génétique a été récupéré dans une dent du crâne de Frombork. Reste à en trouver d'autres dont l'origine pourrait être démontrée. Un astronome suédois, Göran Henriksson, tente sa chance en allant consulter un ouvrage daté de 1518, Calendarium Romanum Magnum, écrit par Johannes Stoeffler, un astronome allemand contemporain de Copernic, lequel avait, disent les historienshistoriens des sciences, consulté ce livre.
A l'intérieur, Henriksson découvre quelques cheveux, dont on sait depuis peu qu'ils renferment de l'ADN. Des analyses sont réalisées en Suède et en Pologne. L'ADN de deux des cheveux est identiques à celui retrouvé à l'intérieur de la dent. Pour les scientifiques de l'équipe, le doute est levé. Ce chanoine de Frombork qui a consulté le livre de Johannes Stoeffler ne peut être personne d'autre que Nicolas Copernic.
C'est donc sous son nom et avec les fastes dus à un héros du pays que les Polonais d'aujourd'hui ont inhumé l'illustre astronome sous les dalles de la cathédrale de Frombork...