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Alain Blanchard est un célèbre cosmologiste français. Membre de l'Institut universitaire de France, il est aussi professeur à l'université Paul Sabatier. Ses travaux concernent les amas de galaxies, le rayonnement fossile et la formation des structures en cosmologie. Il vient de proposer avec ses collègues Arnaud Dupays et Brahim Lamine un modèle donnant une explication pour l'énergie noire. © IUF
Dans un précédent article, nous avons fait connaissance avec quelques idées de base concernant les théories proposées par Theodor Kaluza et Oscar Klein pour unifier les forces de la nature, uniquement ou presque au moyen d'une géométrie de l'espace-temps pluridimensionnelle. Nous voilà maintenant mieux armés pour comprendre comment et pourquoi l'énergie noire pourrait être une manifestation de l'énergie du vide quantique dans un espace-temps possédant une dimension spatiale supplémentaire, comme le proposent des chercheurs français.
Alain Blanchard, Arnaud Dupays et Brahim Lamine ne sont pas les premiers à explorer l'influence des dimensions supplémentaires sur l'énergie du vide quantique et ses implications en cosmologie. Mais le modèle qu'ils proposent permet de reproduire l'une des caractéristiques les plus délicates à obtenir de la constante cosmologique : le fait qu'elle soit positive.
Futura-Sciences a demandé à Alain Blanchard de nous expliquer plus en détail en quoi consiste ce modèle. Le cosmologiste est membre de l'Institut universitaire de France et professeur à l'université Paul Sabatier de Toulouse. Ses travaux concernent les amas de galaxies, le rayonnement fossilerayonnement fossile et la formation des structures en cosmologie.
Futura-Sciences : Il y a une dizaine d’années, peu de temps après ce qui est aujourd’hui considéré comme la découverte de l’expansion accélérée de l’univers, vous faisiez partie de ceux qui avaient des doutes quant à l’existence d’une constante cosmologique. Aujourd’hui, vous publiez avec vos collègues une théorie expliquant la nature de cette constante à partir de l’énergie du vide quantique dans le cadre des théories de Kaluza-Klein. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
Alain Blanchard : Avant de vous répondre, j'aimerais commencer par rappeler que dès 1996, j'avais découvert avec mes collègues que les observations de l'époque concernant le rayonnement fossile semblaient montrer que l'universunivers était presque plat. Nous étions les premiers à apporter un élément convaincant qui impliquait que la densité de l'univers devait donc être très proche de la densité critiquedensité critique. Étant donné les contraintes venant de la nucléosynthèsenucléosynthèse primordiale et les observations concernant les supernovaesupernovae connues à ce moment-là, avant les travaux conduits par Perlmutter et Riess, cela indiquait que l'univers contenait davantage de matière noirematière noire que ce qui était proposé jusque-là.
Cette prédominance de la matière noire, je l'ai retrouvée en compagnie de mes collègues dans nos travaux sur les amas de galaxies, notamment au moyen des données d'observations dans le domaine des rayons Xrayons X avec XMM NewtonNewton. Lorsque les mesures de WMap sont arrivées au début des années 2000, il était cependant tout à fait clair que jointes à celles des supernovae, on pouvait s'en servir pour soutenir l'existence d'une constante cosmologique avec une valeur peu différente de celle que l'on mesure de nos jours. Mais le modèle cosmologique obtenu entrait alors en conflit avec les observations des amas que je considère toujours comme solidessolides. À l'époque, j'avais insisté sur le fait que les mesures de WMap pouvaient tout à fait être mises en accord avec l'abondance de matière noire indiquée par les amas, sans que l'on ait besoin de faire appel à la constante cosmologique.
Le SDSS-III Baryon Oscillation Spectroscopic Survey (Boss) cartographie la distribution spatiale des galaxies lumineuses rouges (GRL) et des quasars afin de mesurer les caractéristiques des oscillations baryoniques acoustiques (BAO) dans l'univers primitif. Les ondes sonores qui se propageaient alors dans l'univers primitif, comme des vaguelettes dans un étang, ont laissé des empreintes dans les fluctuations de températures du rayonnement traduisant des fluctuations de densité. Ces fluctuations ont évolué pour former aujourd’hui les murs et les vides observés dans la répartition des galaxies. Cette vue d’artiste illustre les traces des BAO dans le rayonnement fossile et la répartition des galaxies. © Chris Blake, Sam Moorfield
Toutefois, le modèle cosmologique dont la densité est la densité critique avec prédominance de matière noire prédisait un spectrespectre bien particulier dans les fluctuations cosmologiques de densité de matière initiales. On pouvait l'observer dans la répartition des galaxies sous la forme de ce qu'on appelle les oscillations acoustiques des baryonsbaryons (BAO pour baryon acoustic oscillations en anglais). Ce spectre n'est pas en accord avec les mesures fournies par le Sloan DigitalDigital Sky Survey (SDSS). C'est en constatant ce désaccord que j'ai été finalement conduit à prendre au sérieux l'existence de l'énergie noireénergie noire.
Mais je crois toujours qu'il y a un problème avec les amas de galaxies. D'ailleurs, si les dernières observations de PlanckPlanck concernant les amas au moyen de l'effet Sunyaev-Zel'dovich sont bel et bien compatibles avec l'existence de l'énergie noire, elles confirment aussi qu'il y a quelque chose que nous ne comprenons pas bien dans les amas.
Dans le modèle d’énergie noire découlant de l’énergie du vide quantique dans le cadre d’une théorie de Kaluza-Klein avec une dimension spatiale supplémentaire que vous proposez, vous faites le lien avec l’effet Casimir. Quel est ce lien ?
Alain Blanchard : Pour le comprendre, il faut se souvenir que l'effet Casimireffet Casimir est une pressionpression poussant deux plaques conductrices l'une vers l'autre lorsqu'elles sont très proches. Cela provient du fait qu'elles posent des contraintes sur les longueurs d'ondelongueurs d'onde possibles pour les fluctuations du vide du champ électromagnétiquechamp électromagnétique existant entre ces plaques. On sait que ces fluctuations, en utilisant l'électrodynamique quantiqueélectrodynamique quantique, c'est-à-dire la description quantique la plus aboutie de l'électromagnétismeélectromagnétisme, conduisent à des calculs qui donnent une force d'attraction entre ces plaques dépendant de leur distance. Cette force est la conséquence directe de la différence des densités d'énergie du vide quantique entre les plaques et celle à l'extérieur des plaques.
Hendrik Casimir (1909-2000), un physicien théoricien hollandais, a réalisé que lorsque deux miroirs sont face à face dans le vide, des fluctuations quantiques du champ électromagnétique dans ce vide vont exercer sur eux une « pression de radiation ». En moyenne, la pression externe (flèches rouges) est supérieure à la pression interne (flèches vertes). Les deux miroirs s'attirent donc mutuellement sous l'effet de ce que l'on appelle la force de Casimir (force F ici), proportionnelle à A/d4, avec A la surface des miroirs et d la distance qui les sépare. © Astrid Lambrecht
Il se trouve que dès les années 1980, lorsque l'on a étudié intensivement les théories de Kaluza-Klein, proposées pour unifier les forces et les particules élémentairesparticules élémentaires en introduisant des dimensions spatiales supplémentaires d'une taille donnée, on a découvert que ces dimensions avaient une influence sur la densité d'énergie du vide quantique. Dans un modèle cosmologique simple, on a un espace-temps macroscopique plat à trois dimensions, avec en chaque point des dimensions spatiales supplémentaires microscopiques refermées sur elles-mêmes. Ces dimensions compactes introduisent là aussi des contraintes sur les longueurs d'onde possibles des fluctuations des champs quantiques s'y propageant. On obtient finalement, du point de vue d'un observateur dans l'espace-temps plat, une contribution à l'énergie du vide quantique qui rappelle celle de l'effet Casimir.
On étudie donc des sortes de manifestations de l’effet Casimir en cosmologie depuis longtemps. En quoi la théorie que vous avez proposée avec vos collègues se distingue-t-elle des autres ?
Alain Blanchard : Il y a effectivement eu plusieurs théories à ce sujet, mais souvent, elles ne permettaient pas d'expliquer une constante cosmologique uniquement comme une manifestation de l'effet Casimir. Si on tentait de le faire, cela débouchait sur divers problèmes. L'un des plus graves était que l'on obtenait généralement une constante cosmologique négative, et pas positive comme on l'observe actuellement.
Le physicien Arnaud Dupays du laboratoire Collisions-Agrégats-Réactivité de l’Université Paul Sabatier (Toulouse), l'un des auteurs d'un modèle d'énergie noire en cosmologie de Kaluza-Klein. © CNRS
En réfléchissant à ces questions avec Arnaud Dupays et Brahim Lamine, nous nous sommes rendu compte qu'il y avait une autre façon d'imposer des conditions aux longueurs d'onde des fluctuations des champs quantiques, qui permettait de résoudre bien des problèmes.
Le physicien Brahim Lamine, du Laboratoire Kastler Brossel, est coauteur avec Alain Blanchard et Arnaud Dupays d'un modèle d'énergie noire en cosmologie de Kaluza-Klein. © LKB
Quelle est donc cette « condition aux limites », comme disent les physiciens, qui vous a permis de déboucher sur votre modèle d’énergie noire ?
Alain Blanchard : Nous avons postulé que lors du calcul sur la valeur de l'énergie du vide, il ne fallait pas tenir compte des valeurs des longueurs d'onde supérieures à ce qu'on appelle le rayon de HubbleHubble, c'est-à-dire en gros la taille de l'univers observable à un moment donné de son histoire au moins dans les modèles cosmologiques les plus simples. Dans un modèle très simplifié, mais susceptible de révéler l'essentiel du mécanisme à l'origine de l'énergie noire, nous avons découvert que non seulement il était possible d'avoir une constante cosmologique positive, mais aussi de l'ordre de grandeurordre de grandeur de celle que l'on mesure si l'on ajuste la valeur du rayon des dimensions supplémentaires. Compte tenu des contraintes sur la taille et le nombre de dimensions spatiales supplémentaires issues des expériences menées à ce jour, ce modèle fait intervenir une seule dimension spatiale supplémentaire.
Il existe différentes théories proposées pour rendre compte de l’énergie noire. Certaines postulent même que la constante cosmologique n’est pas une vraie constante, mais peut changer dans le temps et dans l’espace. Peut-on tester votre modèle et le distinguer des autres ?
Alain Blanchard : Notre modèle prédit une vraie constante cosmologique et qui n'évolue donc pas dans le temps. Il n'est pas le seul à faire cette prédiction, mais il serait automatiquement réfuté si l'on venait à découvrir une variation dans le temps de l'énergie noire. Ces variations, on les cherche, et c'est d'ailleurs l'un des objectifs au programme de la mission Euclid et des campagnes d'observations avec le LSSTLSST. Mais ce qu'il y a d'intéressant avec notre modèle, c'est que l'on pourrait le réfuter bien avant la mise en orbiteorbite d'EuclidEuclid et la mise en service du LSST.
Euclid est un télescope spatial de 1,2 mètre de diamètre doté de deux caméras. Le satellite (les servitudes et la partie scientifique) sera construit en Europe, à l'exception des détecteurs infrarouges fournis par la Nasa. © Esa
Comme toutes les théories avec des dimensions spatiales supplémentaires, la nôtre prédit un écart à la loi d'attraction de Newton à très petites distances. Pour rendre compte de la valeur de l'énergie noire, la dimension spatiale que nous avons introduite doit avoir une taille de l'ordre de 35 micronsmicrons, et c'est aussi la taille à laquelle on doit commencer à voir une modification de la loi de Newton pour la force entre deux objets séparés par cette distance.
Or, les expériences destinées à découvrir une telle modification de la loi de Newton, comme celles effectuées par les chercheurs du Eöt-Wash Group, sont presque assez sensibles pour tester notre prédiction, selon le physicienphysicien Eric Adelberger. Avec le perfectionnement de ces expériences, on pourrait donc avoir dans un avenir proche une réponse quant à leur pertinence pour la cosmologie.
En revanche, si notre modèle fait lui aussi baisser la valeur de l'énergie de Planck (comme ceux proposés par Lisa Randall, Nima Arkani-Hamed et d'autres à la fin des années 1990), elle reste encore très élevée, avec une valeur de l'ordre d'un million de TeV. Malheureusement, il n'y a donc aucun espoir d'en observer des conséquences, comme d'éventuels minitrous noirs au LHCLHC dans quelques années lorsqu'il fera des collisions à 14 TeV.