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La théorie de la formation du Système solaire représente une entreprise de cosmogonie particulièrement fascinante où les méthodes de la mécanique analytique, de Lagrange à Poincaré en passant par Gauss et Hamilton, permettent de plonger dans l'histoire de la formation des planètes. Il faut bien sûr pour cela la compléter par la théorie de la mécanique des fluides, qu'ils soient chargés ou neutres, et quelques autres branches de la physique et de la chimie comme la thermodynamique et la théorie cinétique des gaz.
La mécanique céleste et la physique nous ont ainsi permis de construire une image cohérente où les planètes ont commencé à se former dans un disque protoplanétaire entourant le jeune SoleilSoleil, constitué d'un mélange de gaz et de poussières en collision. Par effet boule de neige, ces poussières ont donné des cailloux puis finalement des corps de plus d'un kilomètre, les planétésimaux, lesquels ont continué à entrer en collision sous l'effet de la gravitation. Lorsque les rencontres sont « douces », les corps peuvent se coller et rester agrégés. Quand elles se font à des vitessesvitesses plus élevées et donc plus violentes, elles conduisent à la fragmentation de ces corps.
Le gaz dans le disque protoplanétairedisque protoplanétaire s'est dissipé en moins de 10 millions d'années et le processus d'accrétionaccrétion de matièrematière s'est poursuivi pour donner des protoplanètes et finalement des planètes. Les géantes gazeusesgéantes gazeuses comme JupiterJupiter et SaturneSaturne se seraient donc formées très vite, avant des planètes rocheuses comme VénusVénus, la Terre ou Mars qui, elles, auraient mis plusieurs dizaines de millions d'années.
La présence des géantes gazeuses avec leur fort champ d'attraction gravitationnelle est donc susceptible d'avoir impacté les conditions de formation de ces planètes rocheuses. Pour la décrire, il faut aussi prendre en considération que le disque protoplanétaire lui-même devait exercer un champ de gravitation.
Daniel Kirkwood (1814-1895) était un astronome américain qui a eu l’idée de dresser un diagramme du nombre d’astéroïdes connus de son temps en fonction de leur distance au Soleil. Il a alors découvert plusieurs lacunes dans cette distribution, qui portent aujourd’hui son nom, et avait déjà compris qu’elles étaient liées à des résonances avec l’orbite de Jupiter. Kirkwood a également suggéré que des résonances causées par les lunes de Saturne expliquaient la fameuse division Cassini dans ses anneaux. Enfin, l’astronome a été le premier à associer les pluies d’étoiles filantes aux débris cométaires. © DP
Une résonance particulière avec Jupiter et le disque protoplanétaire
L'un des effets caractéristiques que l'on rencontre du fait de l'existence de forces gravitationnellesforces gravitationnelles entre plusieurs corps est celui dit de résonancerésonance qui peut se manifester de différentes façons. Les astronomesastronomes savent ainsi qu'encore aujourd'hui il existe des résonances gravitationnelles causées par Jupiter. Elles expliquent ce que l'on appelle dans la ceinture d'astéroïdeastéroïde, les lacunes de Kirkwood.
Ces résonances, combinaisons de forces gravitationnelles, piègent des corps célestes sur des orbitesorbites ou, au contraire, les en éloignent. Elles se produisent lorsque le rapport des périodes de révolutionpériodes de révolution de deux objets orbitant autour d'un troisième est une fraction entière simple. C'est un cas particulier de résonance mécanique dont une bonne illustration est la suivante. On sait bien qu'il suffit de pousser une personne sur une balançoire à une fréquencefréquence bien définie soit pour amplifier son mouvementmouvement, soit pour le freiner.
Deux chercheurs états-uniens viennent de publier un article sur arXiv dans lequel ils avancent qu'une ancienne idée faisant intervenir un certain type de résonance gravitationnelle, appelée en anglais « sweeping resonance », ce que l'on pourrait traduire par résonance de balayage, serait en mesure d'expliquer la petite massemasse de Mars. En effet, les simulations numériquessimulations numériques de la formation des planètes du Système solaire qui ont été conduites jusqu'à présent, peinent en général à expliquer pourquoi Mars est dix fois moins massive que la Terre, alors qu'elles indiqueraient plutôt qu'une planète telluriqueplanète tellurique au-delà de son orbite devrait avoir une masse comprise entre 1,5 et 2 fois celle de notre Planète bleue dans beaucoup de ces simulations.
Or, il semble qu'en tenant compte de cette résonance dans une nouvelle simulation numérique, qui implique le champ de gravitégravité de Jupiter et celui du disque protoplanétaire quand il était encore là, la faible masse de Mars s'explique. Cet effet n'aurait pas été considéré auparavant, pensant que Mars mettait trop de temps à se former. Mais ces dernières années, des arguments issus de l'étude des météorites ont été produits laissant entendre que sa formation aurait été très rapide.
Tout comme dans le cas des lacunes de Kirkwood, cette résonance aurait éjecté bon nombre de planétésimaux en dessous de 50 km de diamètre, et les collisions auraient pu finir par former la planète.
Un autre effet possible de cette résonance, et toujours avec une combinaison de la force gravitationnelle de Jupiter et celle du disque protoplanétaire, aurait conduit les protoplanètes dans la région de l'orbite de Mars à avoir des vitesses relatives plus élevées, ce qui au final, favorisait la fragmentation et non la croissance par accrétion de ces corps célestes.
Les migrations de Jupiter auraient gêné la croissance de Mars
Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 12/06/2011
Pourquoi Mars est-elle presque dix fois moins massive que la Terre alors que Vénus présente une masse comparable ? Les modèles numériquesmodèles numériques de formation des planètes telluriques échouaient à en rendre compte. Une solution vient d'être découverte en faisant migrer deux fois Jupiter, très tôt dans l'histoire du Système solaire.
Il y a quelques années Alessendro Morbidelli et ses collègues avaient publié dans Nature une série d'articles concernant des simulations numériques faisant intervenir, après la formation des planètes internes, des migrations des planètes géantesplanètes géantes vers l'extérieur du Système solaire. Devenu célèbre aujourd'hui sous le nom de Modèle de NiceModèle de Nice, ce scénario rendait bien compte de plusieurs caractéristiques du Système solaire et en particulier du Grand Bombardement tardifGrand Bombardement tardif (ou Late Heavy Bombardment : LHB en anglais), une période de l'histoire du Système solaire qui s'étend approximativement de -4,1 à -3,9 milliards d'années, durant laquelle se serait produite une notable augmentation des impacts météoritiques ou cométaires sur les planètes telluriques et dont la surface de la LuneLune garde des traces.
D'autres simulations numériques expliquaient aussi la formation des planètes internes mais pas complètement. En particulier, si l'on arrivait parfois à retrouver une planète à l'emplacement de Mars, sa masse et sa taille étaient toujours trop importantes. Étrangement aussi, la composition variée de la ceinture d'astéroïdesceinture d'astéroïdes entre Mars et Jupiter n'était pas non plus une conséquence des calculs d'ordinateursordinateurs.
De droite à gauche, les tailles comparées de Vénus, la Terre et Mars. © Nasa
Alessendro Morbidelli vient aujourd'hui de publier à nouveau dans Nature un article tentant de résoudre cette énigme. Avec Kevin Walsh, du Southwest Research Institute, et plusieurs autres collègues, il fait intervenir cette fois-ci deux migrations précoces de Jupiter, alors même que les planètes telluriques sont en train de se former pendant la première centaine de millions d'années du Système solaire.
Une migration en deux étapes
Les planétologues ont ainsi fait migrer Jupiter (mais aussi Saturne, la planète aux anneaux étudiés par André Brahic) en direction du Soleil, alors que le disque protoplanétaire était encore là avec du gaz, pour atteindre une orbite à seulement 1,5 unité astronomiqueunité astronomique (UA). Le mouvement s'est ensuite inversé, conduisant Jupiter à s'éloigner du Soleil pour atteindre une distance de 2 à 4 UA. Cette double migration aurait été rapide, moins de 100.000 ans, et elle aurait eu un double effet sur les petits corps en formation qui donneront par accrétion, des millions d'années plus tard, les planètes telluriques internes.
Les perturbations gravitationnelles causées par Jupiter et ses migrations auraient tout d'abord chassé un grand nombre de corps présents dans la région occupée actuellement par la ceinture d'astéroïdes. Puis, dans un second temps, ces mêmes perturbations auraient conduit des petits corps pauvres en eau de régions internes du protosystème solaire, et des petits corps similaires aux comètescomètes provenant des régions externes, à reformer la ceinture d'astéroïdes.
Non seulement les chercheurs retrouvent la diversité de cette ceinture mais, en bonus, ils obtiennent le bon rapport masse de la Terre sur masse de Mars. Ainsi, comme dans le cas de beaucoup d'exoplanètes découvertes, notre propre Système solaire aurait été le lieu de migrations précoces pour les planètes géantes.
Ce qu’il faut
retenir
- Mars est dix fois moins massive que la Terre alors qu’elle devrait l’être jusqu’à deux fois plus selon plusieurs simulations numériques.
- Si Mars s’est formée rapidement, comme le laisse entendre l’étude récente des météorites, la protoplanète et les corps célestes qui croisaient son orbite ont dû subir l’effet combiné du champ de gravitation de Jupiter et du disque protoplanétaire.
- Une résonance gravitationnelle particulière aurait alors inhibé sa formation, en dépeuplant par exemple les régions où se trouvait la matière pouvant la faire croître.