Le James-Webb a rapidement mis en évidence une population de trous noirs déjà très massifs quelques centaines de millions d'années après le Big Bang. La découverte était déjà problématique dans le cadre du modèle cosmologique standard qui a du mal à expliquer comment ces astres compacts sont devenus si vite aussi grands. L'énigme s'intensifie avec de nouvelles observations du successeur de Hubble qui montrent que les mécanismes de croissance par accrétion de matière du plus lointain quasar connu ne diffèrent en rien de ceux observés plus tard dans l'histoire du cosmos avec une croissance lente de la masse des trous noirs supermassifs.


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    Dans le domaine de la cosmologie, et dans les autres domaines aussi de l'astrophysique, le télescope spatial James-Webb (JWST) n'a pas déçu. Il nous permet d'explorer des stratesstrates de lumière de l'histoire de l'Univers observable mieux que Hubble et même certaines qui étaient hors de sa portée, moins de 500 millions d'années après le Big BangBig Bang.

    Découvrez le télescope spatial James-Webb aux côtés d'Astropierre dans cet épisode de Futura dans les Étoiles. © Futura 

    Les observations du JWST ont ainsi révélé qu'un grand nombre de galaxiesgalaxies déjà bien évoluées et massives existaient plus tôt qu'on ne le pensait généralement il y a moins d'un milliard d'années après le Big Bang. On trouve notamment de grands trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs contenant déjà plus de massemasse que celui de notre Voie lactéeVoie lactée aujourd'hui. C'est un problème pour le modèle cosmologique standardmodèle cosmologique standard basé sur la matière noire et l'énergie noireénergie noire. Nous n'en sommes pas encore à une réfutation, mais elle pourrait finir par arriver et nous conduire à adopter une nouvelle loi de la gravitationgravitation et/ou de la mécanique dans le cadre de la théorie Mond.


    Jean-Pierre Luminet, directeur de recherche au CNRS et Françoise Combes, professeur au Collège de France, nous parlent des trous noirs. © Fondation Hugot du Collège de France

    On comprend plutôt bien comment des trous noirs peuvent naître par effondrementeffondrement gravitationnel d'étoilesétoiles massives contenant quelques dizaines de masses solaires. On obtient alors ce que l'on appelle des trous noirs stellairestrous noirs stellaires. Il n'en est pas de même avec les trous noirs supermassifs contenant de quelques millions à quelques milliards de masses solaires au cœur des galaxies. Ils sont responsables de l'existence des noyaux actifs de galaxiesnoyaux actifs de galaxies et en particulier ceux découverts depuis 1963 et que l'on appelle des quasars.

    Les mystérieux quasars

    On sait que ces objets influencent l'évolution des galaxies et surtout que ces astres croissent ensemble, au moins en ce qui concerne les grandes galaxies spiralesgalaxies spirales et elliptiques, car il existe une remarquable relation de proportionnalité entre la masse des trous noirs au cœur de ces galaxies et la masse qu'elles contiennent sous forme d'étoiles.

    L'existence des trous noirs supermassifs est déjà en soi un problème et plusieurs théories ont été proposées pour rendre compte de la formation de ces géants. En tout état de cause, il faut faire intervenir des mécanismes de genèse et de croissance rapide. On pensait notamment que ceux qui étaient actifs moins d'un milliard d'années après le Big Bang devaient être différents de ceux à l'œuvre dans le cosmoscosmos observable depuis quelques milliards d'années, ce qui expliquerait aussi pourquoi il y avait plus de quasarsquasars au début de l'histoire de l'Univers qu'aujourd'hui.

    Rappelons que les quasars sont des noyaux actifs de galaxies très brillants et qui résultent d'une importante accrétionaccrétion de matièrematière par des trous noirs supermassifs, matière dont une grande partie finit par tomber dedans.

    Le saviez-vous ?

    Il y a environ 60 ans, la technique des occultations a permis de déterminer la contrepartie dans le visible de ce qui n'était alors qu'une étonnante source radio puissante, 3C 273. Lorsque Maarten Schmidt, un astronome néerlandais, a ensuite fait l’analyse spectrale de la lumière de l’astre toujours dans le visible, il découvrit avec stupéfaction des lignes d’émissions de l’hydrogène fortement décalées vers le rouge. Or, 3C 273 apparaissait dans le visible comme une étoile alors que ce résultat impliquait qu’il se situât en dehors de la Voie lactée à une distance cosmologique. Pour être observable d’aussi loin, l’objet devait donc être d’une luminosité prodigieuse. D’autres quasi-stellars radio sources, des quasars selon la dénomination proposée en 1964 par l’astrophysicien d’origine chinoise Hong-Yee Chiu, n’allaient pas tarder à être découverts. On en connaît aujourd’hui plus de 200 000.

    Les astrophysiciens ont très tôt cherché à comprendre la nature de ces astres qui, bien que libérant d’énormes quantités d’énergie, semblaient être de petite taille. On a d’abord pensé qu’il pouvait s’agir d’énormes étoiles dominées par les effets de la relativité générale, notamment responsables du décalage spectral, avant d’envisager assez rapidement qu’il pouvait s’agir de trous noirs supermassifs accrétant d’importantes quantités de gaz. Dans le bestiaire des astres relativistes que l’on commençait à explorer sérieusement pendant les années 1960, certains, comme le Russe Igor Novikov et l'Israélien Yuval Ne'eman, ont même proposé que les quasars soient en fait des trous blancs. C’est-à-dire soit des régions de l’Univers dont l’expansion au moment du Big Bang avait été retardée (hypothèse des lagging core), soit l’autre extrémité de trous de ver éjectant la matière qu’ils avaient absorbée sous forme de trous noirs dans une autre partie du cosmos, voire dans un autre Univers.

    On peut montrer que le rayonnement produit par le gazgaz chaud du disque d'accrétiondisque d'accrétion exerce une pressionpression, la fameuse pression de radiationpression de radiation, sur la matière tombant sur un trou noir. Il existe même une luminositéluminosité limite au-delà de laquelle le rayonnement stoppe le flux de matière. Ce n'est qu'un exemple pour faire comprendre que la détermination théorique de la façon dont un trou noir croît n'est pas simple. Plus généralement, il y a des incertitudes sur la manière dont un trou noir grossit en avalant de la matière.

    On pouvait espérer tester les théories proposant une alimentation différente en matière des trous noirs moins d'un milliard d'années après le Big Bang en observant des quasars de l'époque avec le JWST. C'est ce qu'une équipe d'astrophysiciensastrophysiciens avait entrepris de faire en observant le plus lointain quasar connu pour le moment de la noosphère en janvier 2023, lors du premier cycle d'observations du JWST.

    J1120+0641, un quasar laboratoire

    La collecte de données a duré environ deux heures et demie et elle concernait donc le spectrespectre du célèbre quasar J1120+0641 situé dans la constellation du Lionconstellation du Lion, observé dans l'infrarougeinfrarouge moyen avec l'instrument MiriMiri du JWST pendant la période dite de l'AubeAube cosmique. En l'occurrence pour ce quasar, à peine 770 millions d'années après le Big Bang (décalage vers le rougedécalage vers le rouge z = 7).

    L'analyse des observations a été confiée à Sarah Bosman, chercheuse postdoctorale à l'Institut Max-PlanckPlanck d'astronomie (MPIA) et membre du consortium européen Miri, et elle est exposée avec le travail de ses collègues dans un article de Nature Astronomy.


    Françoise Combes, professeur au Collège de France, nous parle des trous noirs supermassifs. © École normale supérieure, PSL

    Dans un communiqué du MPIA, la chercheuse révèle brutalement ce qui a été découvert. « Globalement, les nouvelles observations ne font qu'ajouter au mystère : les premiers quasars étaient étonnamment normaux. Quelle que soit la longueur d'ondelongueur d'onde à laquelle nous les observons, les quasars sont presque identiques à toutes les époques de l'Univers. »

    Sa déclaration est complétée par des explications dans le même communiqué : « La forme générale du spectre infrarouge moyen ("continuum")) code les propriétés d'un grand tore de poussière qui entoure le disque d'accrétion dans les quasars typiques. Ce tore aide à guider la matière vers le disque d'accrétion, "alimentant" le trou noir... le tore, et par extension les mécanismes d'alimentation dans ce quasar très précoce, semblent être les mêmes que pour ses homologues plus modernes. La seule différence est celle qu'aucun modèle de croissance rapide des quasars précoces n'avait prédite : une température de poussière légèrement plus élevée d'environ cent kelvinskelvins que les 1300 K trouvés pour la poussière la plus chaude dans les quasars moins éloignés ».

    Ainsi, J1120+0641, avec une luminosité équivalente à 63 × 1012 fois celle du SoleilSoleil générée par un trou noir supermassif d'environ 2 milliards de masses solaires apparaît comme mature aussi bien en taille qu'en masse tôt dans l'histoire du cosmos, ce qui est difficile à expliquer dans le cadre des modèles actuels et peut-être impossible.

    On pensait notamment que sa masse avait été surestimée en raison de la présence d'une grande quantité de poussière dans la galaxie hébergeant le quasar, ce qui aurait modifié son spectre au point de le faire croître. Mais il semble maintenant que ce n'est pas le cas, au moins pour J1120+0641.

    Trois scénarios pour produire des germes de trous noirs supermassifs

    Rappelons que trois hypothèses ont été principalement avancées pour expliquer la naissance des trous noirs supermassifs.

    La première fait intervenir des trous noirs cosmologiques primordiaux, vestiges de la phase à haute densité du Big Bang moins d'une seconde après son début, où de grandes quantités de matière pouvaient s'effondrer gravitationnellement en donnant directement ces trous noirs.

    La seconde fait intervenir des étoiles exotiquesexotiques très massives, quelques centaines à plusieurs milliers de masses solaires en particulier mais peut-être plus, faisant partie des toutes premières étoiles du cosmos observable, celles dites de Population III, nées pendant les premières centaines de millions d'années de l'histoire du cosmos observable. Ces étoiles se seraient alors formées dans les conditions particulières de l'Univers au moment des âges sombresâges sombres, alors que la matière baryonique à l'origine de toutes les étoiles était constituée d'un mélange presque pur d'hydrogènehydrogène, d'héliumhélium et leurs isotopesisotopes, sans aucune trace d'éléments lourds comme le carbonecarbone, le siliciumsilicium et le ferfer.

    Cette différence est d'importance, depuis des milliards d'années, l'existence de poussières silicatées et carbonées est nécessaire pour permettre l'effondrement des nuagesnuages moléculaires et poussiéreux où naissent des pouponnières d'étoiles. En effet, en s'effondrant sous leur propre gravitégravité, ces nuages s'échauffent et il apparaît une pression qui stoppe l'effondrement, sauf si un agent dissipe une partie de la chaleurchaleur dans ces nuages, les conduisant à se refroidir. Au sortir du Big Bang, sans ces poussières, la formation des étoiles ne pouvait pas être la même. De fait, on a également des problèmes pour faire naître des étoiles supermassives qui, après avoir explosé en supernovaesupernovae, pourraient laisser des trous noirs géants contenant bien plus que quelques centaines de masses solaires, des germesgermes de trous noirs supermassifs que l'on appelle des trous noirs de masses intermédiaires.

    La dernière hypothèse suppose, toujours à la période où se forment les premières étoiles, que d'immenses nuages de matière s'effondrent en donnant directement des trous noirs de masses intermédiaires au cours des premières centaines de millions d'années après le Big Bang. On obtiendrait donc très vite des trous noirs de grande taille et c'est précisément ce qui est suggéré par les observations concernant J1120+0641 maintenant. Les chercheurs en déduisent aussi que ces premiers trous noirs formés par effondrement gravitationnel direct devaient contenir déjà au moins 100 000 masses solaires.

    Dans tous les cas de figure, les trous noirs massifs générés vont ensuite croître en accrétant de la matière, notamment sous la forme des filaments froids qui font aussi croître les galaxies selon le paradigme qui s’est imposé au cours de la décennie passée. Des collisions entre galaxies, suivies de fusionfusion, vont aussi faire coalescer les trous noirs massifs et supermassifs et les faire croître. Mais il reste à ce sujet le « problème du parsec final ».