Comment étudier l’histoire géologique de Mars ? Sur Terre, cette question ne représente pas vraiment un problème puisque le dépôt continu de sédiments permet d’enregistrer une grande part des épisodes de déformation. Les roches sédimentaires représentent ainsi une archive formidable de l’histoire tectonique de notre Planète. Mais Mars est loin d’avoir connu les mêmes conditions que notre Planète en termes de sédimentation. Pourtant, des chercheurs ont trouvé des traces d’événements tectoniques dans des dépôts sédimentaires de la Planète rouge. Et leurs résultats suggèrent que l’immense canyon martien, Valles Marineris, se serait formé par affaissement progressif le long de grandes failles normales.
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Mars n'a certainement jamais eu une tectonique des plaquestectonique des plaques comparable à celle de la Terre. Il en résulte que les bassins formés par des processus tectoniques sont rares et l'histoire de leur évolution est généralement mal contrainte. Sur Terre, une façon d'étudier l'histoire tectonique d'un lieu est de s'intéresser à la déformation enregistrée dans les dépôts sédimentaires.
Des sédiments nécessaires pour enregistrer l’histoire tectonique
Les mouvements verticaux du sol, et en particulier les épisodes de subsidencesubsidence (affaissementsaffaissements, création de bassins) sont ainsi généralement bien archivés : sous l'effet de l'érosion des reliefs, les sédimentssédiments viennent s'accumuler dans les zones de bas topographiques. La source, la morphologiemorphologie et la superposition de ces dépôts sédimentaires peuvent alors être utilisés pour reconstruire le mouvement des failles et l'évolution tectonique d'un bassin. Cette même stratégie peut être appliquée à Mars.
Les cônescônes sédimentaires alluviaux sont en effet assez abondants sur la surface de la Planète rouge, même si la plupart sont considérés comme postérieurs à la période d'activité fluviale de la planète qui a eu lieu il y a 3,7 milliards d’années. Les dépôts sédimentaires que l'on observe sur Mars se sont plutôt formés durant la période sèche qui a suivi. Il ne s'agit donc pas de sédiments transportés par de l'eau liquide mais plutôt par des écoulements en masse, comme des glissements de terrains ou « debris-flow », même si certains dépôts semblent associés à de rares épisodes climatiques humides.
Des dépôts sédimentaires dans Valles Marineris
La plupart de ces dépôts sédimentaires se trouvent sur les flancs de cratères d'impact et ne sont donc pas associés à des mouvements tectoniques, ce qui est très différent de la situation sur Terre où quasiment tous les bassins sédimentairesbassins sédimentaires sont associés à des processus tectoniques. Mars présente cependant une grande formation géologique connue sous le nom de Valles Marineris : un immense réseau de canyons incisant sur plusieurs kilomètres de profondeur la croûtecroûte de la planète. Or, les reliefs formés par ces canyons sont propices à la génération de cônes sédimentaires alluviaux. Ce qui intéresse les scientifiques, c'est le fait que ces sédiments aient pu être déposés dans un contexte de tectonique active et puissent servir à reconstruire l'évolution tectonique de Valles Marineris.
Une équipe de chercheurs du Département des Sciences de la Terre (Museum d'Histoire Naturelle) de Londres a ainsi étudié la morphologie de ces dépôts sédimentaires grâce aux instruments embarqués par la sonde Mars Reconnaissance OrbiterMars Reconnaissance Orbiter (MRO). Le fond du canyon est en effet recouvert de cônes sédimentaires dont les chenaux d'alimentation incisent les pentes à partir du rebord du plateau. La morphologie de ces dépôts correspond bien à des dépôts alluviaux subaériens, de type écoulements de masse et debris-flow. Certains dépôts font également penser à la présence d'un environnement lacustrelacustre au fond du canyon, mais seulement par endroit. L'ensemble suggère que les cônes se sont formés de façon intermittente avec parfois des marques de processus fluviaux.
Les scientifiques ont également noté la présence de dépôts sédimentaires « perchés » en hauteur, jusqu'à 4 km au-dessus du fond du canyon. Ces terrassesterrasses sédimentaires, bien connues sur Terre, ont été interprétées comme d'anciens cônes alluviaux déposés dans le fond du canyon. Le fait que ces dépôts se retrouvent désormais perchés montre que le fond du canyon est progressivement descendu par l'action de failles normales. Plusieurs générations de terrasses ont ainsi été observées sur les parois du canyon. Les résultats de l'étude, publiée dans la revue Geology, suggèrent donc que le centre du canyon s'est progressivement affaissé grâce à plusieurs générations de failles normales.
Valles Marineris : pas d’extension, mais d’importants mouvements verticaux
En dépit de certaines similarités avec les bassins de riftrift extensifs sur Terre, la formation de Valles Marineris aurait donc été plutôt associée à des épisodes de forte subsidence (affaissement) le long de failles verticales, avec très peu d'extension tectonique associée. Des processus fluviaux auraient été actifs au moins de façon sporadique durant l'évolution de ces canyons.
Alors que, sur Terre, l'intensité des processus érosifs entraine souvent un remplissage des bassins plus rapide que la vitesse de subsidence, ces processus sur Mars sont clairement mineurs, indiquant l'incapacité des systèmes hydrologique et climatique à produire suffisamment de sédiments pour remplir les bassins en cours de formation. Les résultats suggèrent par contre que la cyclicité des dépôts dans Valles Marineris est liée à de la déformation tectonique, ce qui est une première.
Valles Marineris : une tectonique des plaques sur Mars ?
On cherche depuis longtemps des traces passées d'une tectonique des plaques sur Mars. Un planétologue de l'Ucla pense en avoir trouvé sur la Planète rouge en étudiant des images des sondes Mars OdysseyMars Odyssey et MRO. Selon lui, le grand canyon martien Valles Marineris serait précisément lié à l'existence d'une tectonique des plaques, ce qui éclairerait aussi l'énigme de son existence.
Article de Laurent SaccoLaurent Sacco, publié le 21 août 2012
C'est l'arrivée en orbite autour de Mars de la sonde Mariner 9 en 1971 qui a permis la découverte de Valles Marineris. Les images de cette sonde et des suivantes autour de la Planète rouge ont montré qu'il s'agissait d'un vaste système de canyons situé à proximité de l'équateuréquateur de cette planète et s'étendant sur 3.770 km environ. On suppose généralement qu'il s'agit d'un énorme fossé d'effondrementeffondrement, élargi par l'érosion jusqu'à atteindre localement une largeur de 600 km. Mais il faut bien dire que depuis presque 40 ans, l'origine d'une telle structure reste un mystère.
Le planétologue An Yin de l'université de l'Ucla en Californie vient de fournir une nouvelle pièce au débat de façon inattendue en liantliant l'existence de Valles Marineris à celle d'une tectonique des plaques sur Mars, un serpent de mer en géologiegéologie martienne. Depuis au moins une décennie, certaines études publiées suggèrent la présence d'au minimum un début de tectonique des plaques dans le passé de Mars, cette dernière n'ayant alors pas largement perdu ses réserves de chaleurchaleur, un des moteurs du mouvement des plaques.
Actuellement, la présence de volcansvolcans à sa surface comme Olympus Mons montre a priori clairement qu'il n'y a plus sur Mars de tectonique des plaques similaire à la Terre depuis longtemps. On peut en effet rapprocher la formation de ce volcan de celle des îles Hawaï sur Terre. La remontée périodique de panaches de matièrematière chaude perce la plaque pacifique en mouvement sur Terre. C'est pourquoi plusieurs petites îles volcaniques se forment au lieu d'un seul volcan montant toujours plus haut au cours du temps. Sur Mars, du fait de la faible pesanteur et justement en raison de l'absence d'une tectonique des plaques récente dans son histoire, les panaches provoquant des éruptions en surface ont fait monter Olympus Mons à 27 km de hauteur.
En orbite autour de Mars, la sonde européenne de l'Esa, Mars ExpressMars Express, a fourni d'impressionnantes images de sa surface. Dans cette vidéo, un survolsurvol du canyon géant martien, Valles Marineris, a été reconstitué à l'ordinateurordinateur à partir des images de la sonde. © Esa/DLRDLR/Gerhard Neukum/YouTubeYouTube
Depuis quelque temps, An Yin étudiait les images fournies par l'instrument ThemisThemis (Thermal Emission Imaging System) de la sonde Mars Odyssey et celles d'Hirise (High Resolution Imaging Science Experiment) à bord de Mars Reconnaissance Orbiter (MRO), l'un des instruments ayant permis la création de Google Mars.
Valles Marineris, une frontière entre plaques sur Mars ?
Sur Terre, Yin connaît bien la géomorphologiegéomorphologie et les systèmes de failles présents dans l'Himalaya et au Tibet. De façon inattendue, sur une douzaine d'images de Mars parmi la centaine qu'il était en train d'analyser, il a commencé à faire le lien avec ces systèmes de failles associés à la tectonique des plaques sur Terre, plus précisément à des frontières entre plaques.
Son but initial n'était pas de prouver l'existence d'une tectonique des plaques martienne. Mais en regardant les images de Valles Marineris, il lui a semblé clair qu'il était en présence de l'équivalent d'une frontière entre deux plaques ayant subi un mouvement de coulissement horizontal. Il a ainsi découvert un cratère d'impact coupé en deux parties apparemment situées de part et d'autre de deux plaques ayant coulissé. On le voit d'ailleurs assez bien sur l'image ci-dessous extraite de GoogleGoogle Mars. Le mouvement de coulissement le long du canyon de Valles Marineris a décalé ces deux parties de 150 km environ.
Selon Yin, Valles Marineris pourrait donc bien être une frontière entre deux plaques encore animées de mouvements mais bien plus lents que sur Terre. Ces mouvements ne s'effectueraient pas chaque jour mais par périodes d'activité de la faille, peut-être tous les millions d'années. À ces occasions, il se produirait alors des séismesséismes importants sur Mars. Finalement, pour Yin, « les plaques tectoniquesplaques tectoniques de Mars sont à un stade primitif. Cela nous donne un aperçu de ce à quoi la Terre aurait pu ressembler et pourrait nous aider à comprendre la formation des plaques tectoniques sur Terre ».