Les astrophysiciens nucléaires ont proposé il y a des décennies plusieurs hypothèses pour expliquer l'origine sur Terre des éléments lourds tels que le platine et l’or. Le télescope spatial James-Webb a accrédité l'une de ces hypothèses, mais il vient maintenant d'en affaiblir une autre et au final, l’origine des éléments lourds dans l’Univers reste l’une des plus grandes questions ouvertes en astronomie.


au sommaire


    L'astrophysique nucléaire en moins de deux décennies après la Seconde Guerre mondiale nous a appris que les étoiles sur la séquence principale, comme c'est le cas de notre Soleil, produisaient des éléments plus lourds que le lithium via des réactions de nucléosynthèsenucléosynthèse thermonucléaire (voir à ce sujet un important article publié en 1957 et qui n'exposait rien de moins que la recette suivie par l'UniversUnivers pour fabriquer les éléments chimiqueséléments chimiques dans les étoiles). Mais ces réactions de fusionfusion ne produisent pas d'éléments plus lourds que le ferfer, comme l'or ou le platineplatine.

    On sait toutefois qu'un flux intense de neutronsneutrons bombardant des noyaux qui en capturent quelques-uns peut produire ces éléments. En effet, un neutron injecté dans un noyau peut parfois se désintégrer par radioactivitéradioactivité bêtabêta en devenant un protonproton, ce qui change la nature de l'élément chimique initial.

    On pense que ces flux de neutrons se produisent à l'occasion des supernovaesupernovae et des kilonovae. De fait, l'observation de la source d'ondes gravitationnellesondes gravitationnelles GW170817 issue de la collision de deux étoiles à neutronsétoiles à neutrons, phénomène qui s'accompagne d'une kilonova, soutient l'idée qu'il s'agit d'un important mode de production d'éléments lourds. Selon les calculs, l'équivalent de plusieurs centaines de fois la massemasse de la Terre sous forme de noyaux d'or aurait été produit à cette occasion et on pense même que GW170817 a probablement généré une masse de platine 500 fois plus grande que celle de notre Planète.

    Ce tableau des éléments chimiques montre les parts relatives des objets astrophysiques dans la nucléosynthèse. Certains noyaux sont produits par les supernovae SN II (bleu marine), d'autres par les naines blanches (<em>White Dwarfs</em>) lors des supernovae SN Ia et d'autres surtout par les collisions d'étoiles à neutrons comme l'or (Au). © Jennifer Johnson, SDSS, CC by 2.0
    Ce tableau des éléments chimiques montre les parts relatives des objets astrophysiques dans la nucléosynthèse. Certains noyaux sont produits par les supernovae SN II (bleu marine), d'autres par les naines blanches (White Dwarfs) lors des supernovae SN Ia et d'autres surtout par les collisions d'étoiles à neutrons comme l'or (Au). © Jennifer Johnson, SDSS, CC by 2.0

    Deux types de sursauts gamma

    Toutefois, on n'arrive pas à expliquer les abondances de ces éléments dans la Voie lactéeVoie lactée principalement avec des kilonovae. Quid des supernovae ? Il se trouve qu'un nouvel élément au débat sur la question de l'origine des éléments plus lourds que le fer vient aujourd'hui d'être apporté par une publication dans Nature Astronomy dont on peut trouver une version en accès libre sur arXiv. Elle provient d'une équipe internationale de chercheurs, comprenant des astrophysiciensastrophysiciens de l'université Northwestern, qui a observé le sursaut gamma le plus brillant jamais enregistré, GRB 221009A.

    Rappelons que c'est vers la fin des années 1960 que les satellites militaires Vela lancés par les États-Unis pour surveiller d'éventuels tests atomiques dans l'atmosphèreatmosphère ou l'espace - en violation des accords passés qui les interdisaient - ont fait la découverte des fameux sursauts gamma, les gamma-ray bursts (GRB) en anglais. On ne commencera à comprendre leur nature que des décennies plus tard. Les GRB courts - c'est-à-dire ceux durant quelques secondes tout au plus, par opposition aux sursautssursauts longs durant plus longtemps - sont interprétés comme des collisions d'étoiles à neutrons. On va désigner l'explosion qui en résulte sous le terme de kilonova à partir de 2010. Les sursauts gamma longs sont, eux, censés résulter de l'effondrementeffondrement du cœur d'une étoile massive en trou noirtrou noir avec la production d'un disque d'accrétiondisque d'accrétion transitoire et des jets l'accompagnant alors que l'étoile continue de s'effondrer, comme on peut le voir dans les vidéos à ce sujet dans cet article.


    Une présentation des GRB longs et courts. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa Goddard

    Un événement une fois tous les 10 000 ans

    Survenu le 9 octobre 2022 comme son nom l'indique, GRB 221009A a aussi été surnommé le B.O.A.TT. pour brightest of all time ( « le plus brillant de tous les temps » ) et s'est produit il y a  environ 2,4 milliards d'années, en direction de la constellationconstellation de la Flèche, et a duré quelques centaines de secondes.

    Les chercheurs ont notamment utilisé le télescope spatial James-Webbtélescope spatial James-Webb (JWST) pour étudier la supernova associée à GRB 221009A. Mais dans un communiqué de l'université Northwestern, l'astrophysicien Peter Blanchard qui a dirigé l'étude explique que « l'événement a produit certains des photonsphotons les plus énergétiques jamais enregistrés par des satellites conçus pour détecter les rayons gammarayons gamma. C'est un événement que la Terre ne voit qu'une fois tous les 10 000 ans. Nous avons la chance de vivre à une époque où nous disposons de la technologie nécessaire pour détecter ces sursauts qui se produisent à travers l'Univers. C'est tellement excitant d'observer un phénomène astronomique aussi rare que le B.O.A.T. et travailler à comprendre la physiquephysique derrière cet événement exceptionnel », mais il ajoute aussi que « lorsque nous avons confirmé que le GRB avait été généré par l'effondrement d'une étoile massive, cela nous a donné l'occasion de tester une hypothèse sur la façon dont se forment certains des éléments les plus lourds de l'Univers. Nous n'avons pas vu de signatures de ces éléments lourds, ce qui suggère que des GRB extrêmement énergiques comme le B.O.A.T. ne produisent pas ces éléments. Cela ne veut pas dire que tous les GRB n'en produisent pas, mais c'est une information clé alors que nous continuons à comprendre d'où viennent ces éléments lourds. Les futures observations avec JWST détermineront si les cousins « normaux » du B.O.A.T. produisent ces éléments ».

    Remarquablement, le JWST a fourni récemment une preuve que les kilonovae pouvaient bien fabriquer des éléments plus lourds que le fer en observant GRB 230307A.


    Une autre présentation des GRB longs. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Deutsches Elektronen-Synchrotron

    Il n'en demeure pas moins qu'il y a trop d'éléments lourds dans l'Univers et trop peu de fusions d'étoiles à neutrons pour l'expliquer, ce qui fait dire à Peter Blanchard qu'« il existe probablement une autre source. La fusion des étoiles à neutrons binairesbinaires prend beaucoup de temps. Deux étoiles dans un système binairesystème binaire doivent d'abord exploser pour laisser derrière elles des étoiles à neutrons. Ensuite, cela peut prendre des milliards et des milliards d'années pour que les deux étoiles à neutrons se rapprochent progressivement et finalement fusionnent. Mais les observations d'étoiles très anciennes indiquent que certaines parties de l'Univers ont été enrichies en métauxmétaux lourds avant que la plupart des étoiles à neutrons binaires n'aient eu le temps de fusionner. Cela nous oriente vers une voie alternative ».