La question se posait depuis un moment, qui des trous noirs géants et des galaxies a commencé à se former en premier pendant les quelques centaines de millions d'années juste après la fin du Big Bang ? Les observations de petites galaxies nombreuses mais anormalement lumineuses selon le scénario standard de la formation des galaxies faites avec le James-Webb semblent obliger à reviser ce que l'on pensait généralement de cette question.
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La collaboration Event Horizon Telescope nous a livré depuis quelques années des images et des mesures concernant les radio-sources M87*M87* dans la galaxie Messier 87Messier 87 et Sgr A*Sgr A* dans la Voie lactée. Elles soutiennent de façon très convaincante la théorie qui veut que ces sources soient en fait des trous noirs supermassifs en rotation accrétant de la matière. M87* a une ainsi une masse estimée à 6,5 milliards de masses solaires et Sgr A* à 4,3 millions de masses solaires. Quand beaucoup de matière est accrétée, le trou noir devient un quasar, un astre brillant à lui tout seul comme grande galaxie entière et qui émet de puissants jets de matière, comme l'explique la vidéo ci-dessous.
Nous savons aussi qu'il existe de nombreux trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs dans le cosmoscosmos observable et que l'immense majorité des grandes galaxies en contiennent un depuis des milliards d'années. Il existe en outre une relation entre la masse des galaxies et la masse des trous noirs qu'elles contiennent qui suggère très fortement que les deux croissent ensemble et coévoluent.
Toutefois, on ne sait pas très bien ni comment sont nés ces trous noirs géants ni quelles sont leurs relations exactes avec les galaxies même si certains scénarios sont plus crédibles que d'autres dans les débats sur ces sujets dans la communauté scientifique. On espérait que le James-Webb nous aide à y voir plus clair et justement, il a apporté de nouveaux éléments de réflexion - selon un article publié dans Astrophysical Journal Letters et en accès libre sur arXiv.
Jean-Pierre Luminet, directeur de recherche au CNRS, et Françoise Combes, professeur au Collège de France, nous parlent des trous noirs, notamment des grands trous noirs supermassifs des galaxies qui sont derrière les quasars et qui impactent l'évolution des galaxies. © Fondation Hugot du Collège de France
Les trous noirs, les graines de la formation des galaxies ?
L'article mentionne parmi les chercheurs impliqués l’un des grands noms de la cosmologie et de la théorie du Big Bang, Joseph Silk, professeur au Département de physiquephysique et d'astronomie de l'université Johns Hopkins (États-Unis) et à l'Institut d'astrophysiqueastrophysique de Paris, Sorbonne Université.
Dans un communiqué de l'université Johns Hopkins, il commente en ces termes la publication dont il est le principal auteur : « Nous savons que des trous noirs monstrueux existent au centre des galaxies proches de notre Voie lactée, mais la grande surprise maintenant est qu'ils étaient également présents au début de l'UniversUnivers et étaient presque comme des éléments de base ou des graines pour les premières galaxies. Ils ont vraiment tout stimulé, comme de gigantesques amplificateurs de formation d'étoilesétoiles, ce qui représente un revirement complet de ce que nous pensions possible auparavant, à tel point que cela pourrait complètement bouleverser notre compréhension de la formation des galaxies. »
Pour arriver à ces déclarations, Silk et ses collègues se sont appuyés sur la découverte faite par le James-Webb quelques centaines de millions d'années après le Bib Bang d'une importante population de petites galaxies encore peu massives mais anormalement brillantes et rougies par la présence de poussières, ce qui indique un taux de formation d'étoiles très élevé et une production anormalement rapide d'étoiles. Cette population de galaxies rouges et ultra-compactes a été appelée la population des « little red dots », ce qui peut se traduire par « petits points rouges ».
Mais ce n'est pas tout, ces galaxies sont également anormalement lumineuses parce qu'elles présentent des signatures de noyaux actifs de galaxies et donc de trous noirs géants accrétant de la matière déjà nombreux tôt dans l'histoire du cosmos observable dans ces noyaux de galaxies.
Les modélisationsmodélisations des débuts de la formation des galaxies et le modèle le plus couramment envisagé pour la formation des trous noirs supermassifs s'accommodent mal de ces observations, ce qui suggère fortement qu'il faut les revoir.
Les scénarios standards basés sur la matière noirematière noire froide et l'énergie noireénergie noire font débuter la formation des galaxies par de vastes nuagesnuages de gazgaz qui vont s'effondrer gravitationnellement en donnant des embryonsembryons de galaxies avec les premières étoiles. Ces embryons vont continuer à croître et à former des étoiles en accrétant du gaz.
Les premières étoiles ne pouvaient pas se former comme les étoiles plus récentes car il n'existait pas alors de poussière et elles devaient être plus massives que celles que l'on observe aujourd'hui. Plusieurs modèles existent faisant naître à un moment dans l'évolution précoce des galaxies en leur cœur des étoiles supermassives, qui en explosant vont aussi donner des trous noirs géants mais pas encore supermassifs.
Des trous noirs primordiaux ou des étoiles supermassives précoces ?
Mais selon Silk et ses collègues, ce n'est pas vraiment comme ça que les choses se seraient passées. En fait, les trous noirs géants seraient nés, ou étaient déjà là, avec les embryons de galaxies et pendant des centaines de millions d'années, des jets et des émissionsémissions de matière associés à l'accrétionaccrétion sur ces trous noirs auraient compressé le gaz dans les surdensités de matière se transformant en embryons de galaxies, puis en galaxies nainesgalaxies naines au point de catalyser fortement la formation des étoiles suite à l'effondrementeffondrement de nuages comprimés par les émissions des trous noirs et donc la croissance des galaxies.
Les trous noirs supermassifs auraient donc eu un rôle très important dans la naissance même des galaxies. Mais selon les chercheurs, environ un milliard d'années après le Big BangBig Bang, l'activité des trous noirs supermassifs a commencé à produire parfois l’effet inverse. C'est-à-dire que leurs émissions de matière et de rayonnement pouvaient au contraire expulser le gaz contenu dans des galaxies et donc stopper la formation d'étoiles, à moins qu'ensuite ces galaxies ne se soient à nouveau alimentées en matière, par exemple comme dans la théorie des filaments froids de matière noire.
Reste que si l'idée que des trous noirs géants existaient bien plus tôt que ne le supposent les scénarios cosmologiques standards, on ne sait toujours pas vraiment comment ils se sont formés. Le scénario des étoiles supermassives est toujours envisageable mais elles seraient donc apparues plus tôt qu'on ne le pensait. Il y a toujours aussi la possibilité du serpent de mer des trous noirs primordiaux formés pendant le Big Bang alors même que les densités de matière et d'énergie étaient très importantes et que tout un spectrespectre de fluctuations de densités pouvait donner des trous noirs de la masse d'une montagne par exemple ou déjà de plusieurs milliers de masses solaires.