V404 Cygni est l'un des quelques dizaines de trous noirs stellaires détectés dans la Voie lactée grâce aux émissions de rayons X de la matière chauffée dans les disques d'accrétion qui les entourent et provenant d'une étoile compagne. On réalise aujourd'hui qu'il s'agit d'un système triple et cela questionne nos théories sur la formation des trous noirs stellaires et des systèmes binaires qui en contiennent un, voire deux.


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    Au cours des 50 dernières années, les trous noirs - qu'ils soient stellaires ou supermassifs - au cœur des grandes galaxies sont devenus des objets de plus en plus incontournables de l'astronomie et de la physique notamment grâce aux travaux de Kip Thorne, Stephen HawkingStephen Hawking et Roger Penrose, pour ne citer qu'eux.

    Toutefois, leur détection était a priori problématique puisque par définition, au moins dans le cadre de la physique classique, ils sont... noirs ! Ils ne peuvent pas émettre par eux-mêmes de la lumière. Heureusement, lorsqu'ils sont dans un système binairesystème binaire et qu'ils arrachent de la matière par leurs forces de marée d'une étoileétoile en orbiteorbite autour d'eux, il se forme un disque d'accrétiondisque d'accrétion autour du trou noir. Le gazgaz y tombe en spirale, ce qui provoque des frottements visqueux entre les spires dans le disque au point qu'il s'échauffe et se met à émettre de la lumière dans le domaine des rayons Xrayons X et gamma, que peuvent détecter des satellites dans l'espace, comme ChandraChandra et Fermi.


    Apprenez-en plus sur les systèmes de trous noirs les plus connus de notre Galaxie et de son voisin, le Grand Nuage de Magellan. Cette visualisation présente 22 systèmes binaires à rayons X qui abritent des trous noirs confirmés à la même échelle, avec leurs orbites accélérées d'environ 22 000 fois. La vue de chaque système reflète la façon dont nous le voyons depuis la Terre. Les couleurs des étoiles, allant du bleu-blanc au rougeâtre, représentent des températures allant de cinq fois plus élevées à 45 % plus froides que celles de notre Soleil. Dans la plupart de ces systèmes, un flux de matière provenant de l'étoile forme un disque d'accrétion autour du trou noir. Dans d'autres, comme le célèbre système appelé Cygnus X-1, l'étoile produit un flux important qui est en partie emporté par la gravité du trou noir pour former le disque. Les disques d'accrétion utilisent une palette de couleurs différente car ils présentent des températures encore plus élevées que celles des étoiles. Le plus grand disque illustré, appartenant à un système binaire appelé GRS 1915, s'étend sur une distance supérieure à celle séparant Mercure de notre Soleil. Les trous noirs eux-mêmes sont représentés plus grands que dans la réalité à l'aide de sphères mises à l'échelle pour refléter leurs masses. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © NASA's Goddard Space Flight Center and Scientific Visualization Studio

    V404 Cygni, un microquasar de la Voie lactée

    Il peut se produire également la formation de puissants jets de matière perpendiculaires au disque d'accrétion. En fait, ces phénomènes que l'on peut observer autour de trous noirs stellairestrous noirs stellaires, contenant quelques dizaines de massesmasses solaires tout au plus et qui se forment en fin de vie des étoiles massives, peuvent s'observer aussi avec des trous noirs géants contenant des millions, voire des milliards de masses solaires. Ils apparaissent alors très lumineux et on les appelle des quasars.

    Inversement, certains de ces trous noirs stellaires avec des jets ressemblent à des quasarsquasars en réduction et on les appelle pour cette raison des microquasars. Il en existe un particulièrement connu dans la Voie lactéeVoie lactée, étudié depuis des décennies, et il a défrayé la chronique le 15 juin 2015.

    Observable dans la constellationconstellation Cygne, le trou noir stellaire V404 Cygni a été à plusieurs reprises l'objet le plus brillant du ciel dans le rayonnement X - jusqu'à 50 fois plus que la nébuleuse du Crabenébuleuse du Crabe, l'une des sources les plus importantes. Or, justement, cette année-là et après 26 ans d'un calme relatif, il a connu un brusque sursautsursaut d'activité durant environ deux semaines avec une émissionémission de rayons X importante provenant de la partie intérieure de son disque d'accrétion, chauffée à plus de 10 millions de kelvinskelvins.


    Animation montrant des jets astrophysiques émis par le système binaire V404 Cygni, constitué d'un trou noir et d'une étoile en orbite rapprochée l'un autour de l'autre. La matière aspirée par l'étoile forme un disque d'accrétion autour du trou noir, d'où les jets – des faisceaux d'énergie ultra-puissants – sont projetés dans l'espace. © University of Southampton, G Pérez Díaz (IAC)

    Rappelons que V404 Cygni est, avec son voisin le célèbre Cygnus X-1 (le premier candidat au titre de trou noir découvert au cours des années 1970 par ses émissions de rayonnement X), l'un des trous noirs les plus proches du SoleilSoleil. Il est tout de même situé à environ 7 800 années-lumièreannées-lumière pour nous dans la constellation du Cygne. Il contient environ 10 masses solaires et ses forces de marée arrachent de la matière à une étoile compagne dont la masse est de l'ordre de la moitié de celle du Soleil.

    Un trou noir observable dans le visible avec un télescope d'amateur ?

    D'ordinaire, V404 Cygni n'est pas assez brillant pour que l'on puisse observer la partie du spectre d'émissionspectre d'émission de son disque d'accrétion dans le domaine visible. Mais, comme Futura l'expliquait dans un précédent article il y a quelques années, un groupe d'astronomesastronomes japonais a révélé dans un article publié dans le journal Nature que le dernier soubresaut de V404 Cygni en 2015 a été étonnant. Des fluctuations dans le domaine visible sur des échelles de temps de 100 secondes à 150 minutes ont été retrouvées également dans le domaine des rayons X, prouvant qu'il s'agissait d'un phénomène lié au disque d'accrétion du trou noir lui-même.

    C'était une première. Il semble donc bel et bien que l'on peut aussi observer et étudier l'activité d'un trou noir stellaire dans le visible.

    Mieux, V404 Cygni était si brillant dans ce domaine pendant quelque temps qu'un astronome amateur observant le trou noir avec un télescopetélescope de 200 mm de diamètre, précisaient les chercheurs japonais, pourrait détecter et étudier les variations de son activité dans ces longueurs d'ondelongueurs d'onde ! De fait, des astronomes amateurs et d'autres qui sont professionnels et qui peuvent disposer d'instruments, comme ceux utilisés dans le cadre du DUAO (Diplôme universitaire d’astronomie observationnelle) de l'Observatoire de la Côte d'Azur (OCA), surveillent l'activité de V404 Cygni, son étoile et son disque d'accrétion depuis des décennies, tout comme certains surveillent et étudient les étoiles variables.


    Le système binaire V404 Cygni a été observé dans le visible le 23 juin 2015. Ces images montrent ses fluctuations de luminosité, pendant quelques heures, dans le cercle jaune. © Michael Richmond, Rochester Institute of Technology, YouTube

    Bref, on l'aura compris, le système binaire V404 Cygni fait partie des trous noirs vedettes et d'ailleurs plus de 1 300 articles scientifiques lui ont été consacrés. Il était donc a priori bien compris et pourtant les astronomes Kevin Burdge du MIT et Kareem El-Badry du Caltech viennent de publier dans Nature un article surprenant à son sujet, comme on peut le voir en consultant une version en accès libre sur arXiv.

    Avec leur collègues, ils cherchaient de nouveaux signes de trous noirs dans la Voie lactée ce qui les a conduits à consulter des observations archivées comme celles que l'on peut trouver dans un observatoire virtuel (OV), une collection d'archives de données interactives et d'outils logicielslogiciels qui utilisent InternetInternet pour bâtir un environnement de recherche scientifique dans lequel les programmes de recherche en astronomie peuvent être conduits. En l'occurrence, la composante utilisée s’appelle Aladin.

    Un système triple découvert par Gaia

    Par curiosité, Burdge avait examiné de nouveau des images de V404 Cygni et contrairement à ses prédécesseurs, il fut intrigué par une étoile proche du système binaire sur les images et dont il a voulu vérifier qu'il s'agissait juste d'une association par hasard sur la voûte céleste. Pour cela, il disposait cependant d'un outil que les autres ne possédaient pas avant lui : des observations astrométriques très précises de la mission GaiaGaia de l'ESAESA, concernant les positions et les vitessesvitesses d'un très grand nombre d'étoiles dans la Voie lactée.

    Burdge a dans un premier temps découvert que la seconde étoile était à 3 500 unités astronomiquesunités astronomiques du trou noir, en d'autres termes, 3 500 fois plus éloignée du trou noir que la Terre l'est du Soleil. Cela équivaut également à 100 fois la distance entre PlutonPluton et le Soleil.

    Comme l'explique un communiqué du MIT, Burdge et ses collègues ont finalement découvert avec Gaia que cette étoile et V404 Cygni se déplaçait exactement en tandem, par rapport aux autres étoiles voisines. Or, ils ont calculé que les chances que ce soit un hasard sont d'environ une sur 10 millions.

    Sur cette représentation d'artiste, on voit le trou noir central, V404 Cygni (point noir), en train de consumer une étoile proche (corps orange à gauche), tandis qu'une seconde étoile (éclair blanc supérieur) orbite à une distance beaucoup plus grande. © Jorge Lugo
    Sur cette représentation d'artiste, on voit le trou noir central, V404 Cygni (point noir), en train de consumer une étoile proche (corps orange à gauche), tandis qu'une seconde étoile (éclair blanc supérieur) orbite à une distance beaucoup plus grande. © Jorge Lugo

    C'était du jamais-vu ! Clairement, on était en présence d'un système triple avec un trou noir stellaire, le premier du genre découvert. « L'étoile tertiaire est en fait cachée à la vue de tous depuis plus de 30 ans. Des dizaines d'autres articles ont remarqué qu'il y a une autre étoile "à côté" de V404 Cygni dans le ciel, mais ils ont tous supposé que l'étoile était un alignement fortuit, explique Kareem El-Badry qui ajoute, ce n'est qu'avec l'astrométrie précise de la mission Gaia qu'il est devenu clair que l'étoile est en fait à la même distance et se déplace dans la même direction que V404 Cygni, ce qui signifie qu'elle lui est liée gravitationnellement ».

    Cela pose question. En effet, selon le scénario standard de la formation d'un trou noir stellaire, il naît lors de l'explosion en supernovasupernova de type SNSN II d'une étoile généralement d'au moins quelques dizaines de masses solaires. L'éjection de matière par l'explosion modifie la répartition des masses dans un système binaire au point que parfois une étoile compagne de ce qui est devenu un trou noir est éjectée. Or, dans le cas de V404 Cygni, la deuxième étoile découverte n'est que faiblement liée par la gravitégravité au système binaire et lors de la naissance du trou noir, elle avait toutes les chances d'être éjectée. Pourquoi est-elle encore là ?

    Un nouveau paradigme pour la naissance des trous noirs stellaires ?

    On pouvait avancer une explication en faisant intervenir le second scénario de formation d'un trou noir stellaire, celui de l'effondrementeffondrement gravitationnel direct d'une étoile massive en fin de vie en trou noir stellaire, sans passer par le cas supernova et donc sans éjection de matière déstabilisatrice.

    De fait, les simulations effectuées sur ordinateursordinateurs concernant la naissance de ce système triple, selon les deux scénarios évoqués, montre que le second est bien le plus probable. Cela contribue donc à changer quelque peu notre conception de la formation des trous noirs stellaires, d'autant plus que l'on sait que ce second scénario a aussi été avancé ces dernières années pour rendre compte du cas de Cygnus X1.

    Selon le communiqué du Caltech, on ne sait pas encore si d'autres système triples avec trous noirs restent à découvrir. « Soit nous avons eu beaucoup de chance, soit les systèmes triples sont courants. S'ils sont courants, cela pourrait résoudre certaines des questions de longue date sur la formation des binaires de trous noirs. Les triples ouvrent des voies d'évolution qui ne sont pas possibles pour les binaires purs. Des gens ont déjà prédit que les binaires de trous noirs pourraient se former principalement par évolution triple, mais il n'y avait jusqu'à présent aucune preuve directe », conclut El-Badry.