En analysant les données sismiques collectées par les instruments de l'atterrisseur Insight de la Nasa il y a plusieurs années, des géophysiciens pensent avoir trouvé des preuves de l'existence d'un grand réservoir souterrain d'eau liquide dans la croûte de Mars, suffisamment pour remplir les hypothétiques paléo-océans à la surface de la Planète rouge. Que faut-il vraiment en penser ?

 


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    Bien des mystères de l'intérieur et de la géodynamique de notre Planète bleue ont été résolus en analysant les ondes sismiquesondes sismiques se propageant à travers sa croûtecroûte, son manteaumanteau et son noyau. Les géophysiciens peuvent résoudre ce que l'on appelle en mathématique un problème inverse avec les mesures de ces ondes. Ce n'est en rien mystérieux, nous le faisons nous-mêmes quand nous reconnaissons la forme et la composition d'un instrument de musique rien qu'en écoutant le son qu'il produit.

    Les planétologues ont bien sûr entrepris de faire de même sur la Lune et sur Mars en y déposant des sismomètressismomètres. L'atterrisseur Insight (INterior exploration using Seismic Investigations, Geodesy and Heat Transport) a ainsi atteint la surface de la Planète rouge le , y déployant le sismomètre Seismic Experiment for Interior Structure (Seis) (en français : Expérience sismique pour la structure interne) le 19 décembre 2018.


    La mission Insight a été lancée le 5 mai 2018 de Vandenberg en Californie. Objectif : Mars ! C’est la 12e mission du programme américain Discovery dédié à l’étude de la Planète rouge, avec pour but : révéler les mystères de l'intérieur de la quatrième planète du Système solaire. Le sismomètre Seis est le fruit de 15 ans de recherche et développement mis en œuvre par le Cnes. Les principaux responsables vous expliquent tout de cette mission. © cnes.fr

    De l'eau liquide entre 11,5 et 20 kilomètres sous la surface de Mars ?

    La mission s'est terminée à la fin de l'année 2022, mais aujourd'hui un article publié dans les PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences) par des chercheurs de l'UC Berkeley et de la Scripps Institution of Oceanography aux États-Unis suggère une découverte ahurissante.

    L'article de PNAS commence par rappeler que « l'eau liquide existait au moins épisodiquement sur Mars dans les rivières, les lacs, les océans et les aquifèresaquifères pendant le Noachien et l'Hespérien, il y a plus de trois milliards d'années. Mars a perdu sa capacité à héberger des masses d'eau liquide persistantes à sa surface après que la planète a perdu la majeure partie de son atmosphèreatmosphère au cours de cette période. L'eau de surface ancienne a pu être incorporée dans des minérauxminéraux, enfouie sous forme de glace, séquestrée sous forme liquide dans des aquifères profonds ou perdue dans l'espace ».

    Or les données de Seis laissent maintenant penser que, entre 11,5 et 20 kilomètres sous la surface de Mars, il reste des vestiges de l'eau initialement présente sur Mars, laissant des traces d'écoulements et même d'océans qui étaient présents il y a plus de trois milliards d'années. Cette eau serait à l'état liquideétat liquide et, ramenée en surface, elle pourrait recouvrir la planète d'un océan global de 1 à 2 kilomètres d'épaisseur.

    Une découpe de l'intérieur de Mars sous l'atterrisseur Insight de la Nasa. Les cinq premiers kilomètres de la croûte martienne semblent secs, mais une nouvelle étude fournit des preuves de l'existence d'une zone de roche fracturée à 11,5 à 20 kilomètres sous la surface qui est remplie d'eau liquide — plus que le volume supposé avoir rempli les anciens océans martiens hypothétiques. © James Tuttle Keane et Aaron Rodriquez, avec l'aimable autorisation du <em>Scripps Institute of Oceanography</em>
    Une découpe de l'intérieur de Mars sous l'atterrisseur Insight de la Nasa. Les cinq premiers kilomètres de la croûte martienne semblent secs, mais une nouvelle étude fournit des preuves de l'existence d'une zone de roche fracturée à 11,5 à 20 kilomètres sous la surface qui est remplie d'eau liquide — plus que le volume supposé avoir rempli les anciens océans martiens hypothétiques. © James Tuttle Keane et Aaron Rodriquez, avec l'aimable autorisation du Scripps Institute of Oceanography

    Toutefois, les données sismiques analysées par les chercheurs indiquent aussi que cette eau imbibe en fait des roches poreuses de la croûte de Mars, comme le font sur Terre l'eau et le pétrole dans des aquifères souterrains et les champs pétrolifères. Il ne s'agit donc pas d'océans ou de lacs souterrains. Mais la découverte reste excitante, si elle se confirme, car l'eau liquide présente en profondeur dans des roches ignéesroches ignées fracturées et saturées par cette eau liquide, pourrait avoir conservé pendant des milliards d'années des formes de vie microscopiques bien vivantes et dont certaines remontent peut-être localement en surface.

    Impossible d'atteindre cependant ces roches poreuses à plus de 10 kilomètres, des forages sur Terre ayant déjà des problèmes considérables pour atteindre une telle profondeur.

    Mais tout cela est-il bien sérieux ?

    L'avis de Philippe Lognonné, le père de Seis

    Le communiqué de l'UC Berkeley dit bien que, selon l'article de PNAS -- que l'on doit à Vashan WrightWright, ancien chercheur postdoctoral de l'Université de Californie à Berkeley et aujourd'hui professeur adjoint à l'Institut d'océanographie Scripps de l'Université de Californie à San Diego avec son coauteur Matthias Morzfeld en poste dans le même institut, le troisième chercheur impliqué étant Michael Manga de l'Université de Californie à Berkeley --, « l'étude a analysé la croûte plus profonde et a conclu que les données disponibles s'expliquent mieux par une croûte intermédiaire saturée en eau sous l'emplacement d'Insight. En supposant que la croûte soit similaire sur toute la planète, l'équipe a avancé qu'il devrait y avoir plus d'eau dans cette zone de croûte intermédiaire que les volumesvolumes supposés avoir rempli les anciens océans martiens hypothétiques ».

    Pour tenter de le savoir, Futura a donc demandé l'avis de Philippe Lognonné, professeur à l'Université Paris Cité et planétologue à l'Institut de physiquephysique du globe de Paris. Il est Investigateur principal du sismomètre Seissismomètre Seis de la mission InSight et du sismomètre large bandelarge bande du projet FSS, qui sera déployé sur la face cachée de la Lune en 2026.


    Une conférence en 2023 de Philippe Lognonné « Insight après 1300 sols » (découvertes et conséquences sur la formation et l’évolution de Mars). La mission InSight s’est posée dans les plaines martiennes d’Elysée, il y a bientôt 1300 sols (un sol est un jour martien). Pour la première fois, la structure interne d’une planète tellurique autre que la Terre a pu être déterminée grâce à l’activité sismique de Mars et aux impacts de météorites. Et qui plus est, InSight a mis en évidence une forte activité sismique régionale. Après avoir présenté les signaux observés et leur analyse en termes de structure interne, les conséquences de ces découvertes sur la formation et l’évolution de Mars seront présentées. © Festival d'Astronomie de Fleurance

    Comme on va le voir, le chercheur ne cache pas son scepticisme et nous a expliqué que « l'eau liquide génère une forte atténuation des ondes sismiques et toutes les observations faites par InSight depuis les premières publiées (Lognonne et al. 2020, Nature geoscience) montrent que l'atténuation de la croûte est très faible. Cette faible atténuation est peut-être compatible avec des fins films d'eau dans la porositéporosité crustale, mais semble très peu compatible, voire impossible, avec une porosité remplie d'eau liquide. Bref, contrairement à ce que disent les auteurs, leur modèle n'a pas été confronté aux observations d'atténuation sismique et je doute que ce modèle survive à cette confrontation ».

    La prudence s'impose donc...