L'exploration spatiale du Système solaire a montré qu'au début de son histoire, des collisions catastrophiques se produisaient entre les planètes et des petits corps célestes, parfois pas si petits que ça si l'on en croit la théorie de la formation de la Lune qui fait intervenir une collision entre la proto-Terre et une planète de la taille de Mars il y a plus de 4 milliards d'années. Des simulations numériques suggèrent maintenant que Ganymède, la plus grande lune de Jupiter et du Système solaire a elle aussi subi une collision géante il y a plus de 4 milliards d'années.


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    Le regretté André Brahic et Jean-Pierre Bibring ont expliqué à Futura que ce qui les avait frappés avec leurs collègues lors de l'exploration des planètes du Système solaire depuis presque 50 ans, c'est leur grande diversité.

    GaliléeGalilée était sans doute loin de s'en douter quand il a fait la découverte en janvier 1610, grâce à l'amélioration de sa lunette astronomique, des quatre principales lunes de JupiterJupiter. Ce bâtisseur du Ciel, pour reprendre les termes de Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet, en fait l'annonce dans l'ouvrage qu'il a publié en mars 1610, Sidereus nuncius (traduit en français sous le titre « Le Messager des étoiles »)), un court traité d'astronomie écrit en latin. Il désigne ces lunes en hommage à la famille Médicis qui a été son mécène, c'est-à-dire qu'il les appelle les Medicea Sidera (les étoiles « médicéennes »), en l'honneur des quatre frères de la maison Médicis (Cosimo, Francesco, Carlo et Lorenzo).

    Les quatre lunes médicéennes de Jupiter photographiées par Galileo. De gauche à droite, en partant de Jupiter et à l'échelle : Io, Europe, Callisto, Ganymède. © Nasa
    Les quatre lunes médicéennes de Jupiter photographiées par Galileo. De gauche à droite, en partant de Jupiter et à l'échelle : Io, Europe, Callisto, Ganymède. © Nasa

    Les lunes médicéennes révélées par les missions Voyager

    Les astronomesastronomes actuels les appellent souvent les lunes galiléennes, mais le grand public les connaît sans doute plus sous le nom que leur a donné un astronome allemand contemporain de Galilée, à qui l'on doit la première observation de la galaxie d'Andromède dans une lunette : Simon Marius. Sur une suggestion d'un autre bâtisseur du Ciel, le génial Kepler, Marius proposa donc les noms qui allaient rester et qui correspondent à des personnages de la mythologie grecque, maîtresses et amants de Zeus (Jupiter dans la mythologie romaine), soit respectivement en s'éloignant de Jupiter IoIo, Europe, GanymèdeGanymède et CallistoCallisto.

    Mais, c'est vraiment avec les missions Voyager célébrées par les regrettés Carl Sagan, aux États-Unis, et son collègue et ami André Brahic, en France, que l'on va vraiment découvrir la diversité des lunes galiléennes et en particulier rêver aux volcansvolcans d'Io et à l'océan global d'Europe. On espère en savoir plus à leur sujet d'ici une décennie avec Juice, pour Jupiter Icy Moons Explorer, une mission de l'ESA, et Europa ClipperEuropa Clipper, une mission de la NasaNasa.

    Des images de la surface de Ganymède prises par Voyager 2. Certaines structures font penser à la banquise d'Europe et sont peut-être les traces d'une époque où cette lune a été chauffée et malaxée par des forces de marée. © Nasa
    Des images de la surface de Ganymède prises par Voyager 2. Certaines structures font penser à la banquise d'Europe et sont peut-être les traces d'une époque où cette lune a été chauffée et malaxée par des forces de marée. © Nasa

    Parmi les passionnés de ces lunes, il y a le planétologue Naoyuki Hirata de l'université de Kobe, au Japon, qui vient de publier dans Scientific Reports un article également en accès libre sur arXiv au sujet de l'une de ces lunes.

    Il y explique, ainsi que dans un communiqué de l'université, qu'il a étudié de plus près la théorie issue des observations d'abord des sondes Voyager il y a plus de 40 ans (observations poursuivies ensuite par la mission GalileoGalileo et JunoJuno) et qui expliquait que certaines des caractéristiques de la surface de Ganymède, la plus grande lune du Système solaire et qui est même plus grande que la planète MercureMercure, suggéraient fortement un impact géant entre Ganymède et un astéroïdeastéroïde il y a longtemps.

    Sur une grande partie de sa surface, Ganymède, la lune de Jupiter, est couverte de sillons (à droite) qui forment des cercles concentriques autour d'un point précis (à gauche, croix rouge), ce qui a conduit les chercheurs dans les années 1980 à conclure qu'ils sont le résultat d'un événement d'impact majeur. © Naoyuki Hirata (CC BY)
    Sur une grande partie de sa surface, Ganymède, la lune de Jupiter, est couverte de sillons (à droite) qui forment des cercles concentriques autour d'un point précis (à gauche, croix rouge), ce qui a conduit les chercheurs dans les années 1980 à conclure qu'ils sont le résultat d'un événement d'impact majeur. © Naoyuki Hirata (CC BY)

    En effet, sur de grandes parties de sa surface, Ganymède est couverte de sillons qui forment des cercles concentriques autour d'un point spécifique. « Les lunes de Jupiter Io, Europe, Ganymède et Callisto ont toutes des caractéristiques individuelles intéressantes, mais celle qui a retenu mon attention était ces sillons sur Ganymède. Nous savons que cette caractéristique a été créée par un impact d'astéroïde il y a environ 4 milliards d'années, mais nous n'étions pas sûrs de l'ampleur de cet impact et de son effet sur la lune », explique Naoyuki Hirata dans le communiqué de l'université de Kobe.

    Une collision avec un astéroïde de 300 km de diamètre

    Le chercheur a donc cherché à en savoir plus en simulant plusieurs scénarios possibles d'impact avec un petit corps céleste. Il s'est finalement avéré que l'impact avait été suffisamment puissant pour changer l'orientation de l'axe de rotation de Ganymède ! Les calculs montrent également que l'impacteurimpacteur avait probablement un diamètre d'environ 300 kilomètres, soit environ 20 fois plus grand que celui qui a frappé la Terre il y a 65 millions d'années et a mis fin à l'ère des dinosauresdinosaures. L'événement aurait alors créé un cratère transitoire d'un diamètre compris entre 1 400 et 1 600 kilomètres dont on retrouve des traces malgré des modifications de la surface de Ganymède depuis plusieurs milliards d'années.

     Naoyuki Hirata de l'université de Kobe a été le premier à comprendre que l'impact d'un astéroïde sur Ganymède, la lune de Jupiter, se situe presque exactement sur le méridien le plus éloigné de Jupiter. Cela implique que Ganymède a subi une réorientation de son axe de rotation et a permis à Hirata de calculer quel type d'impact aurait pu provoquer ce phénomène. © Naoyuki Hirata (CC BY)
     Naoyuki Hirata de l'université de Kobe a été le premier à comprendre que l'impact d'un astéroïde sur Ganymède, la lune de Jupiter, se situe presque exactement sur le méridien le plus éloigné de Jupiter. Cela implique que Ganymède a subi une réorientation de son axe de rotation et a permis à Hirata de calculer quel type d'impact aurait pu provoquer ce phénomène. © Naoyuki Hirata (CC BY)

    « Je veux comprendre l'origine et l'évolution de Ganymède et des autres lunes de Jupiter. L'impact géant a dû avoir un impact significatif sur l'évolution initiale de Ganymède, mais les effets thermiques et structurels de l'impact sur l'intérieur de Ganymède n'ont pas encore été étudiés. Je pense que d'autres recherches sur l'évolution interne des lunes de glace pourraient être menées », ajoute Naoyuki Hirata.

    Le communiqué se conclut en expliquant : « Intéressante pour ses océans souterrains, Ganymède est la destination finale de la sonde spatiale JuiceJuice de l'ESA. Si tout se passe bien, le vaisseau spatial entrera en orbiteorbite autour de la lune en 2034 et effectuera des observations pendant six mois, envoyant une multitude de données qui aideront à répondre aux questions d'Hirata. »

    Une vue d'artiste de la mission Juice en orbite autour de Ganymède. Au fond à gauche, se montrent Io la volcanique avec son tore de soufre et en bas, au premier plan, Europe. L'étude du moment d'inertie de Ganymède ainsi que la découverte de son champ magnétique laissent fortement penser que cette lune constituée à plus de 40 % de glace contient un noyau ferreux liquide, comme la Terre, ainsi qu'un océan sous sa surface. Des mouvements verticaux, semblables à des diapirs, existent peut-être dans le manteau glacé de Ganymède comme on les voit (en rose) sur la coupe de ce corps céleste. © ESA, M. Carroll
    Une vue d'artiste de la mission Juice en orbite autour de Ganymède. Au fond à gauche, se montrent Io la volcanique avec son tore de soufre et en bas, au premier plan, Europe. L'étude du moment d'inertie de Ganymède ainsi que la découverte de son champ magnétique laissent fortement penser que cette lune constituée à plus de 40 % de glace contient un noyau ferreux liquide, comme la Terre, ainsi qu'un océan sous sa surface. Des mouvements verticaux, semblables à des diapirs, existent peut-être dans le manteau glacé de Ganymède comme on les voit (en rose) sur la coupe de ce corps céleste. © ESA, M. Carroll

    Le saviez-vous ?

    Ganymède, une future colonie humaine dans le Système solaire ?

    Si l’Homme devait un jour établir une colonie autour de Jupiter, on pourrait penser que Ganymède serait un excellent camp de base pour des missions d’exploration d’Europe, Callisto et peut-être Io. Un jour, peut-être, un nouvel Haroun Tazieff, le célèbre volcanologue dont on a fêté le centenaire en 2014, étudiera alors les coulées et les fontaines de lave de Paterae Tvashtar sur Io depuis sa base de travail installée sur Ganymède. Dans son roman, Rendez-vous avec Rama, Arthur Clarke envisageait d'ailleurs qu'au XXIIe siècle, plusieurs des lunes du Système solaire seraient colonisées, dont Ganymède. Toutefois, si l'on se fie à une étude réalisée par la Nasa, Hope (Human Outer Planet Exploration), le choix de Callisto serait meilleur. Il existe en effet une ceinture de radiations autour de Jupiter. Le bombardement des particules est approximativement dix fois plus élevé que ce que laisse passer la ceinture terrestre de radiations de Van Allen, et il décroît au fur et à mesure que l'on s'éloigne de Jupiter. Une sonde en orbite autour d'Europe aurait besoin d'un très fort blindage pour subsister longtemps et Ganymède, malgré sa magnétosphère et son éloignement plus important de Jupiter, n'est pas un environnement très accueillant pour l'Homme en surface. De ce point de vue, coloniser Callisto serait plus indiqué.

    En attendant ce jour et les résultats de la mission Juice, qui sera précédée par la mission Juno autour de Jupiter en 2016, les planétologues et les exobiologistes peuvent désormais se servir de la première carte géologique complète de Ganymède pour tenter de percer les secrets de son origine et préparer des missions d’exploration. Elle a été dressée récemment par des géologues planétaires de l’USGS (U.S. Geological Survey), à partir des données récoltées lors des différents survols de la lune effectués par trois missions, Voyager 1 et 2, en 1979, et Galileo entre 1995 et 2003. Ce travail de géologie n'avait encore jamais été fait pour une lune glacée. Ce sera donc un outil de travail précieux pour les planétologues d'aujourd'hui et de demain...