Lorsque les premières exoplanètes en orbite autour d'une étoile sur la séquence principale ont été découvertes en 1995, pouvait-on imaginer qu'à peine vingt ans plus tard, on pourrait en faire des images directement et, peu de temps après, des films montrant leurs mouvements ? C'est pourtant ce que les astronomes ont réussi à faire avec le cortège planétaire de l'étoile HR 8799.
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En ce début de mois de février 2023, la célèbre Encyclopédie des planètes extrasolaires affiche plus de 5 300 exoplanètes dont l'existence a été confirmée. Il y a un peu plus d'un mois, une vidéo est sortie sur YouTubeYouTube accompagnant une publication sur arXiv qui exposait des données ayant servi à sa publication.
On la doit à l'astronome Jason Wang de l'université Northwestern en bordure de Chicago, aux États-Unis. Le chercheur y montre une version améliorée d'une animation qu'il avait déjà faite il y a plusieurs années et qui ne concerne rien de moins que le film des mouvements d'un cortège d'exoplanètes directement imagé sur douze ans en orbite autour de l'étoile HR 8799 située à environ 133 années-lumière du Système solaireSystème solaire.
C'est une jeune étoile née il y a environ 30 millions d'années, contenant environ 1,5 fois la massemasse du SoleilSoleil avec 4,9 fois sa luminositéluminosité. Les images de son cortège planétaire concernent quatre géantes gazeusesgéantes gazeuses situées suffisamment loin de leur étoile hôte pour que des techniques de traitement de l'image puissent être appliquées faisant émerger ces exoplanètes de la lumière massivement dominante de HR8799 comme l'ont montré pour la première fois en 2008 trois astronomesastronomes québécois, René Doyon, David Lafrenière et Christian Marois.
En prenant la première photo d'un système exoplanétaire en 2008, trois astronomes québécois, René Doyon, David Lafrenière et Christian Marois, ont accompli un exploit qui a fait le tour du monde. © Radio-Canada
Des « super-Jupiters » en orbite autour de HR 8799
JasonJason Wang a donc combiné des images prises avec les instruments de l'Observatoire KeckObservatoire Keck sur le mont Mauna Kea, à Hawaï, sur une période de douze années. Bien évidemment, les images prises ne l'ont pas été en continu car c'est un observatoire très demandé de sorte qu'il a fallu traiter les images pour, en quelque sorte, interpoler les mouvements révélés par des photos prises par exemple à des mois d'intervalle. Le résultat obtenu montre donc des mouvements fluides et pas saccadés résumant une décennie en moins de cinq secondes.
Heureusement, les périodes orbitalespériodes orbitales des géantes gazeuses sont de l'ordre de un à quelques siècles, ce qui fait que les mouvements sont relativement lents mais pas trop, de sorte que l'on peut effectivement les voir clairement sur une décennie.
Dans l'ordre des découvertes, on trouve HR 8799b dont la masse est évaluée à 5,7 fois celle de JupiterJupiter, et qui avec une séparationséparation de 71,6 unités astronomiquesunités astronomiques à son étoile hôte boucle son orbite en 460 ans.
HR 8799c a une masse de 7,8 Jupiters et boucle son orbite à une distance de 41,4 unités astronomiques en 190 ans. Il y a de l'eau dans son atmosphèreatmosphère d'après les premières études spectroscopiques.
HR 8799d a la masse de 9,1 Jupiters et orbite à 26,67 unités astronomiques pour une période orbitale de 100 ans.
L'exoplanète la plus interne est HR 8799e, avec une masse de 7,4 Jupiters avec une période orbitale de 45 ans.
Le film réalisé par Jason Wang. © Video making & motion interpolation : Jason Wang (UC Berkeley), Data analysis : William Thompson (UVic) & Christian Marois (NRC Herzberg), Orbit determination : Quinn Konopacky (UCSD) Data Taking : Bruce Macintosh (Stanford), Travis Barman (University of Arizona), Ben Zuckerman (Ucla), Data from the W. M. Keck Observatory
On voit 4 exoplanètes autour de HR 8799 !
Article de Laurent SaccoLaurent Sacco, publié le 16 décembre 2010
On s'en doutait depuis près d'un an. Quatre géantes gazeuses sont bien en orbite autour de HR 8799. De nouveau, il a été possible de les prendre en photo. Mais leur existence reste incompréhensible...
Le catalogue HR (pour Harvard Observatory, Revised photometry) répertorie les étoiles brillantes. Compilé par l'astronome américain Edward Charles Pickering, il a été publié pour la première fois en 1908. Il comprend les étoiles de magnitudemagnitude photographique inférieure ou égale à 6,5, ce qui correspond plus ou moins aux étoiles visibles à l'œilœil nu. Ce catalogue comptait 9.110 objets dont 9.096 sont des étoiles de notre galaxiegalaxie (les 14 objets restants se sont avérés être des novaenovae ou des objets extragalactiques).
De nos jours, il a été remplacé par le Bright Star Catalogue (BSCBSC), de l'Université Yale, qui reprend les mêmes étoiles. L'étoile visible à l'œil nu située dans la constellation de Pégaseconstellation de Pégase, ayant fourni avec Fomalhaut b les premières images directes d'exoplanètes en 2008, y porteporte le nom de HR 8799.
À l'époque, les observations en infrarougeinfrarouge fournies au sol par les télescopestélescopes munis d'optique adaptative du W.M. Keck Observatory et du Gemini Observatory, à Hawaï, montraient clairement trois exoplanètes possédant chacune une masse d'environ cinq à sept fois celle de Jupiter. Parallèlement, le télescope spatialtélescope spatial Spitzer révélait autour de HR 8799 la présence d'une grande quantité de poussières, indiquant des processus de collisions très actifs dans une ceinture d'astéroïdes entourant cette jeune étoile.
Depuis lors, les astrophysiciensastrophysiciens ont continué à étudier HR 8799, aussi bien avec les instruments du Keck qu'à l'aide de simulations numériquessimulations numériques. Déjà, en 2009, l'existence d'une quatrième géante gazeuse en orbite était soupçonnée. Une publication dans le journal Nature confirme aujourd'hui non seulement que HR 8799e existe bel et bien, mais également qu'elle a été imagée. Comme HR 8799c et HR 8799d, sa masse est estimée à environ sept fois celle de Jupiter.
Des résonances orbitales à la frontière du chaos ?
Alors que notre propre Système solaire avec ses quatre géantes gazeuses est âgé de 4,6 milliards d'années, le système planétaire de HR 8799 n'aurait que quelques dizaines de millions d'années. Il n'est donc pas sorti des turbulencesturbulences de sa genèse, comme le montrent celles de ses ceintures d'astéroïdesceintures d'astéroïdes et de comètescomètes. Il se pourrait même que l'on observe actuellement une phase transitoire de ce système.
Les orbites pourraient bien être instables et ne pas pouvoir conserver leurs formes actuelles dans un futur proche, à l'échelle de l'évolution d'un système planétaire. Elles pourraient cependant rester peu chaotiques pendant des milliards d'années. Dans les années à venir, l'amélioration de la précision des mesures des paramètres orbitaux et des masses des exoplanètes devrait nous permettre d'y voir plus clair.
D'après les simulations des spécialistes de la mécanique céleste, les perturbations gravitationnelles qu'exercent les unes sur les autres les trois géantes internes sont importantes. Les orbites ne doivent jusqu'à présent leur stabilité qu'au fait que HR 8799e et HR 8799b bouclent leur orbite en respectivement quatre fois et deux fois moins de temps que HR 8799c. C'est un phénomène similaire à celui des résonances orbitales, qui s'observe dans le Système solaire. Le cas le plus connu est probablement celui de la résonancerésonance de Laplace, avec les luneslunes de Jupiter, IoIo, Europe et GanymèdeGanymède. Cependant, c'est la première fois qu'on observe ce phénomène à une si grande échelle.
Un casse-tête pour planétologue théoricien
Le plus fascinant, mais aussi le plus problématique, c'est que la structure actuelle du système planétaire de HR 8799 défie les modèles théoriques de formation planétaire ! Ces modèles avaient déjà été mis à mal en 1995 avec la découverte de la première Jupiter chaudeJupiter chaude. À l'époque, on comprenait mal comment une géante gazeuse pouvait se retrouver aussi proche de son étoile hôte alors qu'elle devait se former à grande distance. Par la suite, la multiplication des observations du même genre avait conduit à reconnaître l'importance du processus de migrations planétaires.
Pour Bruce MacintoshMacintosh, l'un des auteurs de l'article de Nature : « Il n'y a pas de modèle simple expliquant la présence de ces quatre planètes à leur emplacement actuel. C'est un défi pour nos collègues théoriciens ». Les observations ne peuvent être expliquées ni par le modèle d'accrétionaccrétion dans lequel les planètes se forment dans le voisinage proche (riche et dense en gazgaz et poussières) autour d'une étoile, ni par le modèle de fragmentation d'un disque protoplanétairedisque protoplanétaire turbulent.
Comme le disait Hamlet à Horatio : « Il y a plus de choses sur la Terre et dans le ciel, Horatio, qu'il n'en est rêvé dans votre philosophie ».