Le télescope Hubble n'a rien perdu de son pouvoir de découverte. Ses observations jettent une nouvelle lumière sur une énigme mise en évidence en 1951 par l'astrophysicien Fritz Zwicky, le découvreur de la matière noire dans les amas de galaxies.

Même s'il a fallu attendre le début des années 1930 pour que les astronomes soient convaincus par les travaux de Edwin Hubble que certaines des nébuleuses découvertes dès le XVIIe siècle étaient bien des galaxies semblables à notre Voie lactée et lui étaient donc extérieures, cela fait presque 250 ans que l’on connaît l’existence des amas de galaxies. Ainsi, dès les années 1780, le célèbre astronome français Charles Messier avait déjà constaté une concentration exceptionnelle de nébuleuses dans la constellation de la Vierge. Son contemporain, l'astronome germano-britannique William Herschel (né Friedrich Wilhelm Herschel), bien connu pour sa découverte de la planète Uranus mais aussi du rayonnement infrarouge, avait lui aussi remarqué l'existence des amas et notamment celui de l'amas de la Chevelure de Bérénice ou amas de Coma (Abell 1656).

L'étude des amas de galaxies va se développer considérablement au début du XXe siècle grâce notamment aux plaques photographiques. L'un des grands noms de l'astronomie des amas de galaxies des années 1930 aux années 1950 sera l’astrophysicien américano-suisse Fritz Zwicky qui va y découvrir le premier des indices de l’existence de la matière noire.

Zwicky va en plus découvrir en 1951 pour la première fois et dans l'amas de Coma un rayonnement fantomatique et diffus issu d'une matière entre les galaxies des amas (pour mémoire, rappelons qu'un amas de galaxies compte entre quelques centaines et quelques milliers de galaxies dans un volume d'une taille comprise entre quelques millions et quinze millions d'années-lumière environ).

Image des amas de galaxies MOO J1014 + 0038 (panneau de gauche) et SPT-CL J2106-5844 (panneau de droite) capturés par la caméra grand champ 3 de Hubble, avec clé de couleur, flèches de boussole et barre d'échelle pour référence. Cette image montre les longueurs d'onde de la lumière dans le proche infrarouge. Le graphique de la boussole indique l'orientation de l'objet sur la sphère céleste. Notez que la distance en années-lumière et en parsecs indiquée sur cette barre d'échelle s'applique à l'amas de galaxies, et non aux objets de premier plan ou d'arrière-plan. © Science : Nasa, ESA, STScI, James Jee (<em>Yonsei University</em>), Traitement de l’image : Joseph DePasquale (STScI)
Image des amas de galaxies MOO J1014 + 0038 (panneau de gauche) et SPT-CL J2106-5844 (panneau de droite) capturés par la caméra grand champ 3 de Hubble, avec clé de couleur, flèches de boussole et barre d'échelle pour référence. Cette image montre les longueurs d'onde de la lumière dans le proche infrarouge. Le graphique de la boussole indique l'orientation de l'objet sur la sphère céleste. Notez que la distance en années-lumière et en parsecs indiquée sur cette barre d'échelle s'applique à l'amas de galaxies, et non aux objets de premier plan ou d'arrière-plan. © Science : Nasa, ESA, STScI, James Jee (Yonsei University), Traitement de l’image : Joseph DePasquale (STScI)

Des étoiles errantes entre galaxies

L'origine de cette lumière intra-amas, comme l'appellent les astrophysiciens (en anglais Intracluster light ou ICL), n'est pas encore très bien comprise même s'ils ont des idées à ce sujet. Un groupe de chercheurs vient pourtant d'apporter de nouveaux éléments de réponse grâce aux observations du télescope Hubble qui est encore loin d'avoir dit son dernier mot, malgré la spectaculaire arrivée de son successeur, le James-Webb.

Comme l'expliquent dans un article de Nature James Jee et Hyungjin Joo, tous deux de l'université Yonsei à Séoul (Corée du Sud), les deux chercheurs se sont appuyés dans leurs travaux sur des observations de Hubble dans l'infrarouge concernant les émissions intra-amas de 10 amas de galaxies situés à au moins 10 milliards d'années-lumière. Ces émissions sont 10 000 fois plus faibles que celles mesurables en moyenne au sol en regardant la voûte céleste de nuit.

Il est généralement admis depuis quelque temps déjà que la lumière fantomatique des amas provient d'étoiles vagabondant entre les galaxies d'un amas. Mais la question dont la réponse divise les astrophysiciens est celle de l'origine de ces étoiles.

S'agissait-il d'étoiles nées par effondrement gravitationnel du gaz entre les galaxies ou d'étoiles éjectées de ces mêmes galaxies selon divers scénarios ?

D'après l'article de Nature, ces étoiles sont entre les galaxies depuis des milliards d'années et elles ne peuvent pas être le produit d'interactions rapprochées entre des galaxies les ayant conduites à être arrachées par des forces de marée, notamment lors de fusions récentes de galaxies.

Des étoiles nées avec les amas de galaxies

Les données de Hubble montrent en effet que la proportion de lumière intra-amas par rapport à celle émise par la totalité d'un amas reste constante pendant au moins les premiers milliards d'années du cosmos observable. Elles doivent donc être nées au moins en même temps que les amas. S'il s'agissait d'étoiles éjectées des galaxies, par exemple du fait de la pression exercée sur elles par le vent de gaz produit par le mouvement des galaxies dans le gaz intra-amas, on devrait avoir une population d'étoiles errantes qui croît avec le temps et donc aussi une croissance des émissions de la lumière intra-amas.

Il est possible d'imaginer cependant qu'un processus similaire ou un autre mécanisme d'éjection ait opéré pendant les premières centaines de millions d'années de l'existence des galaxies qui étaient alors plus petites et donc moins liées gravitationnellement. On en saura sans doute plus dans les années à venir avec le télescope James-Webb qui a été spécialement conçu pour nous donner accès à l'évolution primitive des galaxies.

En tout état de cause, comme l'explique un communiqué de la Nasa accompagnant les analyses des observations de Hubble par les astrophysiciens coréens, si les étoiles errantes étaient produites par un jeu de flipper relativement récent parmi les galaxies, elles n'auraient pas eu assez de temps pour se disperser dans tout le champ gravitationnel de l'amas et ne pourraient donc pas tracer la distribution de la matière noire de l'amas. Mais si les étoiles sont nées dans les premières centaines de millions d'années de l'amas, elles doivent être complètement dispersées dans tout l'amas. Cela permettrait aux astrophysiciens de se servir de ces étoiles pour cartographier la distribution de la matière noire à travers l'amas via une méthode alternative à celle utilisant les lentilles gravitationnelles.

Remarquablement, c'est encore Zwicky qui avait suggéré que les masses dans les amas de galaxies pouvaient être assez importantes pour dévier gravitationnellement et notablement les rayons lumineux provenant d'astres derrière un amas de galaxies et produire un effet de lentille.